La « première fois »

Le début de la sexualité ne coïncide plus, comme il y a un siècle, avec l’âge du mariage. Mais de grandes différences subsistent selon les cultures.

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Il suffit de surfer sur Internet ou de feuilleter les magazines destinés aux jeunes pour découvrir que l’une des principales questions que se posent les adolescents, filles comme garçons, est de faire – ou ne pas faire – l’amour pour la première fois. Ils ont entre 15 et 18 ans, ne sont plus des enfants, et l’acte sexuel représente une étape vers le monde adulte. Longtemps, l’âge auquel commence la vie sexuelle n’a fait l’objet d’aucune étude : les spécialistes estimaient qu’il était lié à l’âge du mariage. Mais la seconde moitié du XXe siècle a vu se dissocier le moment de l’initiation sexuelle et le début de la vie conjugale, en Afrique comme dans les sociétés occidentales. Pour les sociologues, cette déconnexion signale un relâchement dans le contrôle des adultes sur les jeunes et, peut-être, l’émergence de nouveaux rapports entre hommes et femmes.
Curieusement, demander à quelqu’un à quel âge il a fait l’amour pour la première fois n’est pas si simple. Dans certains pays, c’est même une question « immorale ». Pour cette raison, deux zones géographiques sont absentes des statistiques : le monde arabe et l’Asie. Dans ces pays, les très rares enquêtes disponibles montrent que le début de la vie sexuelle coïncide avec le mariage. Pour les femmes mariées très jeunes, comme au Bangladesh ou au Pakistan, il peut même être plus tardif. Quant aux hommes, ils connaissent souvent des expériences prémaritales auprès de prostituées.
Les enquêteurs de l’Institut français d’études démographiques (Ined) qui ont réalisé l’étude (voir tableau) se sont heurtés à une triple difficulté. D’une part, il n’est pas rare que les gens soient incapables de déclarer leur âge ; d’autre part, la mémoire fait parfois défaut aux générations les plus anciennes ; enfin, il existe une tendance nette, dans certaines sociétés, à répondre en fonction des attentes sociales. En revanche, les enquêteurs ont pu confirmer quelques postulats. Par exemple, dans les pays occidentaux, si les femmes âgées répondent très souvent qu’elles ont eu leur premier rapport sexuel au moment de leur mariage, cela peut signifier qu’elles accordent une grande importance à la chasteté préconjugale, une attitude rare chez les générations plus jeunes.
Pour les individus nés dans les années 1950, l’enquête de l’Ined révèle trois grands types de comportements traditionnels. Dans les pays d’Afrique subsaharienne, comme le Sénégal, le Mali ou encore l’Éthiopie, tout retard des femmes à entamer leur vie conjugale, reproductive et sexuelle était considéré comme un handicap social. La famille poussait donc la jeune fille à se marier dès la puberté, souvent avec un homme sensiblement plus âgé qu’elle. La domination par le sexe se trouvait ainsi renforcée par celle liée à l’âge. Pour les hommes, la « première fois » avait lieu hors mariage, pas nécessairement avec une prostituée, comme dans les pays du sous-continent asiatique, mais plutôt avec une femme mariée, veuve ou divorcée.
En Europe du Sud (du Portugal à la Grèce et à la Roumanie), en Amérique latine (Brésil, Chili, République dominicaine), la famille faisait tout pour préserver la virginité des filles et retarder leur entrée dans la sexualité et, a contrario, encourageait fortement les garçons à avoir une vie sexuelle préconjugale. L’exemple le plus frappant a été relevé au Brésil où, pour la génération des 45 à 49 ans, il s’est écoulé en moyenne sept ans entre le premier rapport sexuel et le mariage.
Enfin, à Singapour, au Sri Lanka, probablement aussi en Chine et au Vietnam, mais également dans les pays catholiques non latins comme la Pologne ou la Lituanie, où les jeunes sont étroitement encadrés par leurs parents, garçons et filles entraient à peu près au même moment et plutôt tardivement dans la vie sexuelle. Cette tradition d’initiation sexuelle « égalitaire » se retrouve également, quoique plus précoce, en Europe du Nord, en Suisse, en Allemagne ou encore en République tchèque.
Les trente dernières années ont vu, de façon limitée, les comportements des jeunes changer. Au Sénégal, au Togo, au Cameroun, au Mozambique, au Zimbabwe, les calendriers des femmes se sont rapprochés de ceux des hommes. Fait exceptionnel : au Kenya, au Gabon et en Zambie, les garçons sont maintenant plus précoces que les filles. En revanche, au Niger, au Burkina Faso et en Éthiopie, rien n’a changé. Toutefois, les chercheurs ont constaté que les jeunes, dans leur ensemble, ont tendance à s’affranchir des contrôles parentaux. Les garçons entament leur vie sexuelle plus tôt, les filles luttent contre les mariages précoces sans pour autant renoncer à faire l’amour très tôt. Dans les pays d’Afrique orientale, 40 % à 50 % d’entre elles connaissent au moins deux ans de vie sexuelle active prémaritale. C’est là un indice significatif de l’augmentation globale de l’autonomie des jeunes dans les sociétés africaines, voire de leur émancipation du poids des traditions familiales.
Cependant, dans les pays où la contraception n’est pas utilisée de façon courante, les risques de grossesse continuent à peser fortement sur les jeunes femmes, ce qui contribue à maintenir un lien étroit entre premier rapport et mariage. Dans les autres pays, le comportement des jeunes a tendance à s’uniformiser : pour les garçons, la « première fois » est considérée comme une expérience qui ne les engage pas ou très peu. Les filles choisissent avec soin leur premier partenaire, souvent plus âgé et expérimenté qu’elles et attachent une grande importance à la relation qu’elles établissent avec lui.

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