Irak, Liberia…

Publié le 28 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Journées très riches en informations. Voici, dans le désordre, celles qui m’ont paru les plus significatives, avec mon commentaire.
1. Joschka Fischer, le ministre allemand des Affaires étrangères, était à Washington du 14 au 17 juillet.
Lors de cette visite, passée presque inaperçue, il a rencontré tour à tour :
– les têtes du pouvoir américain : Dick Cheney, vice-président ; Colin Powell, secrétaire d’État ; et Condoleezza Rice, chef du Conseil national de sécurité ;
– les dirigeants des principaux journaux et télévisions, après leur avoir fait savoir qu’il avait des choses importantes à dire.
Aux uns et aux autres, il a calmement annoncé que son pays, qui avait pu, au début de cette année, donner l’impression de participer, avec la France et la Russie, à une fronde contre les États-Unis et leur unilatéralisme, rentrait dans le rang.
Il militera à nouveau pour une alliance entre l’Europe et les États-Unis – dirigée par l’Amérique – et renoncera à ses velléités de chercher à « équilibrer » la surpuissance des États-Unis par d’autres pôles de pouvoir.
Sans le dire expressément, Joschka Fischer a fait comprendre à ses interlocuteurs que l’Allemagne réunifiée reprenait sa place de meilleur allié des États-Unis sur le Vieux Continent.
Ce qui signifie que la France perd un allié et que la Grande-Bretagne voit revenir un rival dans les bonnes grâces de Washington.
De leur côté, l’Italie, l’Espagne et la Pologne, qui avaient cru entrer dans la cour des grands à la faveur de la crise de confiance entre les États-Unis, d’une part, et l’Allemagne et la France, d’autre part, se trouvent de nouveau reléguées en deuxième division.
Quant aux États-Unis, ils renouent de plus belle avec leur politique du harem.

2. Au Liberia, la guerre civile se poursuit sans merci, chaque jour plus meurtrière et dévastatrice. Seigneurs de guerre contre seigneurs de guerre, sans autre but que de garder le pouvoir (et la vie) ou de le prendre (et de tuer).
Les États-Unis, qui ont inventé ce pays au XIXe siècle et y ont implanté l’actuelle classe dirigeante, répètent imperturbablement, tout en revendiquant le rôle de gendarme du monde : « Au Liberia, nous ne voulons pas et ne pouvons pas agir seuls. »
Irak, oui : 150 000 hommes et 1 milliard de dollars par semaine. Liberia, non : pas un soldat, pas un dollar. Ou alors le plus tard possible et pas en chef de file (voir pp. 48-51).

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3. L’Irak, précisément. L’Amérique, qui a claironné qu’elle venait libérer le pays, s’y comporte… comme une puissance occupante. Pour s’en convaincre, il suffit de compter les morts. Et, surtout, de regarder les images (voir pp. 28 à 31).
L’ancien dictateur-assassin est désormais, juste retour des choses, en fuite, clandestin dans son propre pays. Il est traqué par des gens qui ne se cachent pas de vouloir non pas le capturer, mais le tuer. Les Israéliens appellent cela « assassinat ciblé ».
À l’exemple de ses deux fils, assassins eux aussi : au lieu d’être capturés et remis à des juges, ils ont été écrabouillés au point qu’on a beaucoup hésité à montrer ce qu’il en reste (voir pp. 12-13).
« La guerre n’est pas terminée », assure Saddam. Peut-être, mais lui est fini.
Ses enfants ayant été trahis pour une (grosse) poignée de dollars, il est probable qu’il le sera à son tour, alors qu’Oussama Ben Laden, pour sa part, n’a été victime, jusqu’ici, d’aucun délateur cupide.

L’Irak est occupé depuis trois mois par une armée de 150 000 hommes qui n’a toujours pas trouvé ces armes de destruction massive que « Saddam pouvait déployer en quarante-cinq minutes » et qui ont motivé l’offensive.
Mais, au fait, ne nous avait-on pas donné comme deuxième motif principal de cette guerre les liens du régime de Saddam avec el-Qaïda ?
Sur ce sujet, deux experts(*) ont écrit ceci, qui me paraît frappé au coin du bon sens : « Quatorze semaines ont passé depuis la chute de Bagdad, et les forces de la coalition n’ont toujours pas démontré le lien entre l’Irak et el-Qaïda, alors que ce devrait être plus facile que de trouver des armes de destruction massive. Plutôt que de devoir fouiller des centaines de sites suspects à travers le pays, les militaires et les services secrets n’ont qu’à chercher dans les documents de l’agence irakienne de renseignements et des ministères.
« C’est ce que font les experts américains depuis le mois d’avril, et, jusqu’à maintenant, ils n’ont publié aucun rapport sur le sujet. (Gageons que, s’ils avaient trouvé quelque chose, ils se seraient empressés de le faire savoir.)
« Sur les quelque 3 000 membres d’el-Qaïda arrêtés dans le monde entier, seuls quelques-uns, prisonniers à Guantánamo – et tous encouragés par leurs geôliers -, ont déclaré qu’il existait un lien entre l’organisation d’Oussama Ben Laden et le régime de Saddam. Leurs déclarations n’ont pas été corroborées par les officiels irakiens qui sont aux mains des Américains.
« De leur côté, les deux plus hauts responsables d’el-Qaïda détenus par les Américains, Khaled Cheikh Mohamed et Abou Zoubeïda, ont déclaré aux enquêteurs que Ben Laden s’abstenait de collaborer avec Saddam. »
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Quelle que soit l’évolution de l’Irak, ce malheureux pays est déjà entré dans le Livre des records (édition 2003), par la grâce des États-Unis et de la Grande-Bretagne : le pays, qui a occupé et annexé un pays membre de l’ONU, en 1990, est à son tour occupé.
Il n’est certes pas annexé, mais il n’a plus d’existence juridique. De fait, en tout cas, rejoignant la Somalie, jusqu’ici exemple unique, il n’est plus membre de l’ONU, de la Ligue arabe, de l’Opep ni des Non-Alignés.

4. Milton Friedman, le célèbre économiste américain, héraut du libéralisme économique, inspirateur de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, a porté ce jugement sur le FMI et la Banque mondiale : « Le FMI est un échec complet. Il a peut-être empêché certaines crises. Mais il a surtout eu pour effet de les multiplier. Quant à la Banque mondiale, elle porte une lourde responsabilité vis-à-vis de l’Afrique – un continent qui, globalement, se retrouve aujourd’hui dans une situation pire qu’il y a cinquante ans.
« La Banque a financé les dictateurs et renforcé leurs pouvoirs, alors que ces pays avaient besoin de moins d’État. Loin d’affaiblir le pouvoir des États centraux, la Banque mondiale a renforcé leurs moyens de répression. »
Qui d’autre que lui, faisant autant autorité, aurait pu porter sur ces deux institutions un jugement aussi net ?

* Daniel Benjamin est chercheur au Centre d’études internationales et stratégiques. Steven Simon est analyste à la Rand Corporation. Ils ont écrit ensemble The Age of Sacred Terror.

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