Guinée : les assises nationales, une diversion de Mamadi Doumbouya pour rester au pouvoir ?
Ce mardi 22 mars s’ouvrent des assises nationales sensées réunir les forces vives de la nation. Mais ce processus de consultation est déjà critiqué par une partie de la classe politique qui y voit une diversion du président de la transition.
« Consultations nationales » en septembre 2021, « tournée de concertation » du CNT début mars et maintenant, assises nationales sur tout le territoire à partir de ce 22 mars : avec autant d’initiatives, le colonel Mamadi Doumbouya passerait pour un dirigeant qui ne dort pas sans l’aval de ses administrés. Et pourtant, ses initiatives ne convainquent pas tout le monde dans l’opinion guinéenne : beaucoup y voient des manœuvres pour que la transition s’éternise.
Alors que Mamadi Doumbouya reste muet sur la date des prochaines élections et que les discours des autorités de transition évoquent plus des questions de développement que de scrutin, cette semaine politique sera marquée par le démarrage de ces Assises.
Impréparation ? Précipitation ? Plusieurs questions demeurent sans réponse
Un évènement déjà critiqué : s’il avait annoncé dans son discours du nouvel an qu’elles se tiendraient « à la fin du premier trimestre 2022 », c’est il y a moins de deux semaines que le gouvernement a annoncé qu’elles s’ouvriraient ce jour.
Craintes légitimes
Impréparation ? Précipitation ? Plusieurs questions demeurent sans réponse. « Les termes de référence et les activités seront annoncés lors du lancement. Pour le moment, je réserve la communication du chronogramme des assises à la commission nationale chargée d’animer et de coordonner les débats », explique à Jeune Afrique Mory Condé, le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation qui pilote l’évènement.
Douze ONG de défense des droits humains ont, dans une déclaration commune, exprimé leurs « craintes légitimes quant à la réussite d’une réconciliation vraie et sincère à travers les assises nationales. Ne désirant pas servir de caution en nous associant à des évènements aux objectifs indéfinis et imprécis, nous tenons à exprimer des conditions à notre participation effective ».
L’État a toujours été le bourreau de ses propres citoyens
Il s’agit de décliner les termes de référence, objectifs, missions, acteurs, activités et durée de l’événement, l’engagement des autorités à créer, à terme, une commission de réconciliation à la composition et au mandat définis de manière consensuelle. Faute de quoi, « nous n’y prendrons pas part », martèlent les signataires.
Sur la même ligne, l’ancien médiateur de la République et spécialiste des questions de conflits et de consolidation de la paix, Sékou Kouréissy Condé, salue la tenue de ces assises mais dénonce leur impréparation. « La feuille de route est venue un peu tardivement, ce qui n’a pas favorisé une bonne préparation. Il fallait également associer tous les courants de pensée : universitaires, acteurs politiques, société civile, religieux… Les Assises sont un grand évènement. Nous ne connaissons même pas la composition de la Commission et ne savons pas si on est invité. »
Pardon et réconciliation
Selon une source proche de la commission d’organisation, Mamadi Doumbouya, qui prononcera le discours d’ouverture, se donne pour priorité la vérité et la réconciliation. « Une des hypothèses est qu’à la fin du processus, il demande pardon au nom de l’État guinéen et encourage la justice », confie-t-elle. L’événement doit durer un mois selon la même source.
« Notre pays vient de loin : de l’indépendance à nos jours, il y a eu des crises, des violences… L’État a toujours été le bourreau de ses propres citoyens, explique Mory Condé. Pendant ces assises, renchérit-il, nous allons exposer les faits pour la reconnaissance des crimes afin que les Guinéens décident du mode de réparation : faut-il une indemnisation symbolique ? Ériger des stèles ? Renommer des rues du nom de certaines victimes ? Doit-on mettre en place une prise en charge sanitaire et/ou scolaire des orphelins de parents victimes de répression ? »
Ce n’est pas la première fois que des grandes entreprises de réconciliations sont lancées par les autorités mais jusque là, elles n’ont jamais abouti. En son temps, Alpha Condé avait créé une Commission provisoire de réflexion sur la réconciliation nationale, coprésidée par El Hadj Mamadou Saliou Camara, premier imam de la Grande mosquée Fayçal et monseigneur Vincent Koulibaly, archevêque de Conakry. Les consultations menées par les deux religieux dans tout le pays ont été consignées dans un rapport de 243 pages remis en juin 2016 à l’ancien président.
Oublié dans les tiroirs
« S’agissant du droit à la vérité, les consultations ont permis de relever qu’il est fondamental de faire la lumière sur les violations des droits de l’homme, de 1958 à 2015, précise le document consulté par Jeune Afrique. Les Guinéens sollicitent de créer une institution de 5 à 9 membres, dotée du mandat et des prérogatives nécessaires pour piloter le processus de réconciliation nationale ».
Alors que ce rapport est oublié dans les tiroirs de la présidence, les assises nationales sont-elles bien utiles ? « Nous allons l’actualiser », justifie le ministre de l’Administration du territoire. Une manière de gagner en temps, protestent certains. Tout comme la tournée de consultation organisée par le Conseil national de transition, ajoutent d’autres, convaincus que le CNT devrait plutôt s’échiner à produire le très attendu chronogramme de la transition.
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