Capitalisme africain, es-tu là ?
Alors que les fonds étrangers affluent toujours plus massivement sur le continent, notamment dans les start-up, le bénéfice réel pour les économies locales est loin d’être acquis. Une solution : favoriser l’émergence de sociétés détenues par des capitaux africains.
Les 500 premières entreprises africaines en 2022
La 23e édition du Top 500 porte les stigmates de la pandémie. Ce classement exclusif fondé sur les performances de 2020 – on était alors au plus fort de la tourmente – le reflète. Les grandes entreprises ont subi un choc inédit.
Dans l’effervescent microcosme de la tech africaine, ce fut l’un des faits marquants de la fin de 2021. L’entreprise nigériane MainOne, créée en 2010 et devenue l’un des principaux gestionnaires de centre de stockage de données et fournisseurs de services de communication en Afrique de l’Ouest, annonçait en décembre avoir été rachetée par l’américain Equinix (6 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2020). Finalisée ce début avril pour un montant de 320 millions de dollars, l’opération a été applaudie par l’ensemble de la communauté parce qu’elle vient confirmer l’attractivité des entreprises fondées et gérées par des Africains tout en attirant un grand nom de la Silicon Valley sur le continent. Coté à Wall Street, Equinix possède quelque 220 centres de stockage de données dans le monde.
Le rachat de MainOne ne constitue pas un cas isolé. Ces dernières années, le continent a vu émerger une multitude de start-up, nombre d’entre elles connaissant un succès fulgurant. « Des jeunes férus de technologie ont créé des types d’entreprises que nous n’avions jamais vus auparavant », s’enthousiasmait récemment dans les colonnes de JA, Ngozi Okonjo-Iweala, la patronne de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Flutterwave, InstaDeep, Copia Global…
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La valorisation de ces jeunes pousses monte en flèche tout comme l’appétit des investisseurs étrangers, notamment les fonds de capital-risque venus des États-Unis, d’Europe et même d’Asie. Au cours de l’année écoulée, elles ont attiré un montant 5 milliards de dollars. Un record. Et 2022 a démarré très fort pour ces entreprises en matière de levées de fonds puisque, entre janvier et février, le seuil symbolique du milliard de dollars avait déjà été franchi.
Créer une entreprise est une bonne chose mais en être propriétaire, c’est encore mieux !
Pourtant, cette révolution en cours soulève déjà de sérieuses questions : l’Afrique tire-t-elle vraiment parti de l’engouement des capitaux étrangers pour sa tech ? Ou se fait-elle tout simplement déposséder de ses pépites ?
Forte valeur ajoutée
Il est vrai que grâce à ces fonds qui investissent en capital pour lancer ou financer la croissance des start-up africaines, « c’est toute une énergie qui se libère dans un secteur à très forte valeur ajoutée », concède Cyrille Nkontchou, le cofondateur du gestionnaire d’actifs Enko Capital. Reste que « tout se passe comme si l’essentiel de la valeur ainsi créée est ensuite exporté, ce qui est un peu dommage », note cependant le financier.
Au-delà de la tech, dans de nombreux domaines allant des infrastructures à l’agro-industrie en passant par l’énergie, « on voit bien que l’appareil productif n’est souvent pas détenu par les Africains », complète Bernard Ayitee, diplômé de la London School of Economics et fondateur, en 2018, d’Obara Capital, le premier hedge fund africain. On le sait tous, créer une entreprise est une bonne chose, mais en être propriétaire (ou copropriétaire), et donc principal bénéficiaire des profits générés, c’est encore mieux !
Protéger ses fleurons
Certains pays l’ont bien compris et mettent en place des dispositifs réglementaires pour mieux encadrer les investissements étrangers. Ainsi, récemment, alors que le spécialiste américain de la défense Teledyne a tenté de racheter Photonis, start-up française axée sur la vision nocturne, l’opération a finalement tourné court. L’État français tenant absolument à ce que Bpifrance, sa banque publique d’investissement dont la vocation est de financer le développement des entreprises nationales, prenne part à l’opération à travers une prise de participation minoritaire. Ce qui lui aurait donné un droit de véto sur certaines opérations et sur la gestion de l’entreprise.
Toujours avoir cette question à l’esprit : qu’est-ce que l’économie de mon pays gagne à long terme ?
De manière plus générale, l’Hexagone a développé ces dernières années un arsenal législatif et réglementaire qui lui permet de protéger ses fleurons tout en maintenant un certain équilibre entre attractivité et contrôle des investissements étrangers, notamment dans des secteurs jugés stratégiques tels que : la défense, l’énergie, l’eau, les transports ou encore l’hébergement des données.
« Il ne s’agit pas de développer des réflexes protectionnistes, explique Alex Bebe Epale, avocat aux barreaux de Paris et du Cameroun. Mais d’avoir, dans le cadre de ce type de deal, des exigences fortes en matière, par exemple, d’utilisation du contenu local, de partenariats obligatoires avec des PME locales ou encore de transfert de technologies. L’on doit toujours avoir cette question à l’esprit : qu’est-ce que l’économie de mon pays ou celle de ma région gagne à long terme ? »
Encadrement des capitaux étrangers
Cette démarche est d’autant plus cruciale que les flux des capitaux étrangers à destination du continent vont être de plus en plus importants et ce dans tous les domaines, si l’on en croit les spécialistes. L’entrée en vigueur en janvier 2021 de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), et la possibilité d’accéder ainsi à un marché commun (encore en construction) de 1,4 milliard de personnes va inévitablement inciter les groupes étrangers à mener l’offensive sur le continent.
Les pouvoirs publics africains ont assisté, impuissants, à la cession de l’empire logistique du français Bolloré au suisse MSC
Au-delà de l’encadrement des capitaux étrangers, une question de fond se pose aux dirigeants du continent, a fortiori dans le contexte de mise en place de la Zlecaf : comment favoriser également l’émergence d’entreprises africaines, détenues par des capitaux africains ? Le modèle de développement sur le continent doit « davantage s’appuyer sur l’épargne locale que sur des capitaux internationaux dans le financement des fonds propres », insiste Cyrille Nkontchou.
Pour cela, il faut créer des structures permettant de sécuriser cette épargne et de rassurer les particuliers africains qui préfèrent envoyer leurs économies sur d’autres continents. Les fonds de pension africains peuvent constituer un précieux levier : « C’est de l’argent de long terme avec lequel on peut prendre un peu plus de risques en investissant dans les meilleures idées », suggère-t-il.
L’avocat Alex Bebe Epale ne pense pas autre chose. Pour lui, il est tout aussi indispensable d’envisager un nouveau modèle de banque, adapté à la spécificité des économies africaines, et dont « la mission serait par exemple d’accompagner et de financer le secteur informel pour faire émerger de véritables PME ».
Intérêt souverain
Bernard Ayitee complète : « Au départ, il faut une vision. Puis, on doit mettre en place des structures financières suffisamment puissantes, à l’instar de Lazard ou de Rothschild en France, pour accompagner l’émergence d’un noyau dur d’entreprises performantes dans des secteurs identifiés comme revêtant un intérêt souverain pour les États africains. »
Des exportateurs de matières premières se retrouvent complètement hors-jeu sur leur propre terrain
Des propos qui trouvent un écho particulier dans le cadre de ce qui restera comme l’un des plus gros deals de l’année sur le continent : la vente des activités africaines de Bolloré Transports & Logistics à MSC pour 5,7 milliards d’euros ? Un tycoon français qui cède une partie de l’empire logistique qu’il a bâti sur le continent à un autre magnat, suisse celui-là, le tout devant des pouvoirs publics africains qui ont assisté, impuissants, à cette opération qui touche à un secteur hautement stratégique de leurs économies. MSC s’est semble-t-il trouvé en concurrence avec d’autres potentiels repreneurs de BTL. Parmi les compagnies citées, des noms français, moyen-orientaux ou encore asiatiques. Mais aucun nom africain !
Ainsi, des exportateurs de matières premières – pour lesquels le transport des ressources naturelles depuis leur lieu de production jusqu’aux côtes d’où elles sont expédiées vers le reste du monde est vital – se retrouvent complètement hors-jeu dans une affaire qui se joue sur leur propre terrain.
Pourquoi, plus de soixante ans après leur indépendance, les États côtiers d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale ne sont-ils pas parvenus à favoriser l’émergence d’acteurs locaux ou de champions dans cette activité essentielle pour leurs économies ? À méditer !
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