Et si les savants irakiens avaient menti à Saddam ?

Terrorisés par le raïs, les scientifiques ont peut-être exagéré l’ampleur des programmes d’armes de destruction massive. Et induit tout le monde en erreur.

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Je pars de l’hypothèse qu’on ne découvrira pas dans les semaines et les mois à venir une cache de matériaux chimiques, biologiques ou nucléaires profondément enfouis dans un coin du désert irakien. Ma raison est simple : après trois mois au cours desquels les États-Unis ont eu toutes les possibilités imaginables de menacer, d’acheter et de flatter les savants irakiens impliqués dans les programmes d’armes de destruction massive (ADM) pour les persuader de dire où elles se trouvent, aucun d’entre eux n’est passé aux aveux. Bien au contraire, ils s’en sont tous tenus à la version officielle d’avant la guerre, selon laquelle ces armes ont existé, mais ont été détruites quelque temps après l’arrivée des premiers inspecteurs de l’ONU en 1991. Nous devons envisager la possibilité qu’ils disent la vérité.
Pourquoi la Commission spéciale des Nations unies (Unscom) et les services de renseignements américains sont-ils convaincus que les programmes d’armement se sont poursuivis bien après 1991 ? C’est parce qu’il y avait beaucoup d’indications que les Irakiens mentaient, sous la forme de documents, de communications interceptées, de déclarations de transfuges et autres comportements suspects. Mais ces preuves peuvent très bien avoir été le produit d’une tromperie plus profonde.
Nous savons avec certitude que les Irakiens avaient dans les années 1980 des programmes chimiques, biologiques et nucléaires très ambitieux. Ils ont utilisé des armes chimiques contre les Kurdes et les Iraniens, et avaient de toute évidence des stocks importants de VX et de gaz sarin prêts à l’utilisation. Les États-Unis ont été, de fait, surpris par l’ampleur de ces programmes, notamment par les progrès réalisés sur les armes nucléaires, lorsqu’ils ont été dévoilés par l’Unscom après la première guerre du Golfe. L’Unscom, soutenue par la menace implicite de la puissance américaine, a pu détruire une bonne partie de ces armes et pousser les Irakiens à se débarrasser de celles qu’elle n’avait pas trouvées. Après quoi, l’Irak étant isolé et sous le coup des sanctions de l’ONU, Saddam Hussein a probablement donné l’ordre de relancer ces programmes, et quelques efforts sporadiques ont été faits dans ce sens. Mais l’ampleur de cette reconstitution a été largement exagérée par les Irakiens eux-mêmes.
Les économistes ont une maxime très simple pour expliquer le comportement humain : les gens réagissent aux motivations. Et si l’on considère les motivations que pouvaient avoir à la fois les savants irakiens, l’Unscom et les services de renseignements américains, on découvre ce qui est probablement le fond du problème.
L’Irak était un pays totalitaire où chacun devait se plier aux caprices de Saddam. Nous savons aujourd’hui que son fils Oudaï, président du Comité olympique irakien, torturait les athlètes qui avaient été battus. Nous savons aussi que durant cette année de guerre, Saddam recevait de fausses informations sur les succès de ses troupes de la part des chefs militaires qui avaient peur de dire la vérité.
Les savants irakiens avaient eux aussi tous les motifs d’exagérer l’importance de leurs activités. Il semble que tel ait été le cas du malheureux chargé de la ricine. Il a expliqué aux Américains qui l’interrogeaient qu’il n’avait jamais réussi à en fabriquer en quantité suffisante et à atteindre une pureté suffisante pour que le produit puisse être utilisé comme une arme, mais que dans son rapport à Bagdad, il avait raconté que tout se passait très bien.
Les services de renseignements sont fortement incités au pessimisme lorsqu’ils ont été incapables de prévoir de graves menaces. Le pire qui puisse arriver à une personne responsable d’un secteur concernant la sécurité nationale serait d’être le prochain Husband Kimmel, l’amiral qui se trouvait être le commandant en chef des forces américaines du Pacifique le 7 décembre 1941. Avant Pearl Harbor, Kimmel était en possession de renseignements de source japonaise qui, rétrospectivement, indiquent qu’on pouvait prévoir l’attaque surprise. Il est passé à la postérité comme l’homme qui dormait d’un profond sommeil à ce moment critique de l’Histoire (Kimmel a été mis hors de cause par la Marine plus d’un demi-siècle plus tard).
L’Unscom et les services de renseignements américains ont été désagréablement surpris par l’ampleur des programmes irakiens d’ADM en 1991. Après quoi, ils ont été fortement incités à ne pas se laisser abuser une nouvelle fois.
L’Unscom a procédé à des estimations sur des travaux et des stocks irakiens clandestins dont l’existence ne pouvait être vérifiée. L’administration Clinton a pris ces évaluations comme un point de départ et les a complétées par des extrapolations fondées sur les derniers renseignements recueillis. L’administration Bush a fait de même. Les surévaluations ont continué jusqu’à ce que tout le monde (y compris le signataire de ces lignes) les prenne pour parole d’évangile et qu’elles servent à justifier la décision américaine de faire la guerre.
Le scénario que je propose ici est évidemment une spéculation. Mais il est plus vraisemblable que les autres explications. En supposant qu’on ne trouve jamais ces armes, les Irakiens s’en sont forcément débarrassés à un moment ou à un autre. Certains ont supposé qu’elles avaient été détruites ou « refilées » secrètement à d’autres pays juste avant la guerre. Mais si c’est le cas, pourquoi Saddam ne l’a-t-il pas fait savoir, ce qui lui aurait évité d’être envahi ? Et pourquoi les forces américaines, qui peuvent fouiller partout, n’ont-elles pas trouvé de traces de leur récent escamotage ?
Il est beaucoup plus probable que l’on s’est débarrassé de ces armes il y a longtemps, et que le comportement suspect de l’Irak par la suite a été provoqué par des tentatives plus ou moins convaincues de reconstitution qui, finalement, n’ont rien donné, mais que d’autres ont prises au sérieux.

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