Croquer le monde

Regards personnels sur un pays, les carnets de voyage sont à la mode. Tous les baroudeurs en font, certains les publient. Sélection.

Publié le 28 juillet 2003 Lecture : 7 minutes.

Si le carnet, dans son usage pratique et courant, n’est qu’un « petit cahier de poche, destiné à recevoir des notes, des renseignements », quand il est de « voyage », il devient un assemblage de feuillets détachables, de tableaux impressionnistes, un réceptacle de mots et d’émotions. Du voyage, bel et bien vécu – souvent des billets de train ou des factures d’hôtel sont reproduits comme autant de preuves – l’auteur-dessinateur n’en retient qu’une vision subjective, parfois littéraire ou imaginaire. Depuis le succès de librairie des aquarelles, gouaches et autres montages du navigateur Titouan Lamazou qui a publié chez Gallimard ses Carnets de voyage en 1998 puis en 2000, l’expression est devenue une marque déposée. Le marin-dessinateur a lancé la mode, et les autres maisons d’édition se sont engouffrées dans la brèche. Les séries se développent : « Mes carnets » et « Voyage », chez Flammarion, « Carnets », chez Glénat. Le principe est quasiment toujours le même, jusqu’à créer une sorte de confusion et d’uniformité : des dessins à l’aquarelle ou au crayon, des légendes plus ou moins incrustées dans le dessin pour mimer l’immédiateté du croquis, des réflexions intimes sur le pays et sur soi. Et puis des détails historiques ou des descriptions de monuments. Mais la pire des insultes pour un auteur de carnet de voyage serait certainement de confondre son ouvrage avec un guide de voyage. Même si le but reste le même : l’invitation au voyage…
Quel est le meilleur moment pour lire un carnet de voyage ? Avant ou après le départ ? Pour donner envie ou pour se souvenir ? Sûrement un peu des deux à la fois. Voici une sélection.

Mes carnets du Mexique Cloé Fontaine, éd. Flammarion, 144 pp., 23 euros
Huit escales pour raconter le Mexique, « cet arc-en-ciel qui s’accompagne de noir » : de Zacatecas, niché au cur du désert à San Blas, lové au bord d’une mer bleu turquoise, en passant par Mexico, « ville tentaculaire, étouffante, épuisante ». De sa formation d’architecte, Cloé Fontaine a gardé le goût du détail et de la composition : portes,
encadrements ou patios servent de prétexte à la découverte. Quand le propos se fait moins
descriptif, l’aquarelle se fond souvent dans la dureté des traits de la photographie.
Et les mots prennent place au cur du dessin : simples légendes, citations d’auteurs aimés
(Antonin Artaud, Le Clezio), mais aussi souvenirs de rencontres et d’échanges avec les indiens tarahumaras. Dans ses carnets, Cloé Fontaine raconte son Mexique en en choisissant les détails et les couleurs. Parfois même jusqu’au dépouillement, ne laissant parler que le symbolisme de l’agencement des pierres ou des fleurs. Tout le livre semble se décliner autour de ce simple aveu qui conclut l’introduction : « J’ai l’impression d’avoir séjourné des mois, des années dans ce pays démesuré. Je suis épuisée, j’ai adoré, j’ai détesté. Au Mexique, rien n’est linéaire ni intermédiaire, tout est excessif et superlatif. »

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Burkina Faso Anne Steinlein, Presses de la renaissance, 104 pp., 23 euros
Anne Steinlein est une jeune nasara (« Blanche ») qui a eu envie de découvrir l’Afrique. Du coup, elle a embarqué à bord du vol Air France 7234, le 28 juin à 13 heures, direction
Ouagadougou. On connaît tous ces détails puisque son carnet de voyage est un joyeux fourre-tout où l’on retrouve pêle-mêle sa carte d’accès à bord, un moustique écrasé, des feuilles et des fleurs de bougainvilliers, des plumes de poulet, un sachet de thé, des étiquettes d’eau minérale et de bière, des timbres, une enveloppe de préservatif (vide)
et toute une série de croquis, plus ou moins fouillés, qui restituent bien l’ambiance du Burkina. Les commentaires sont naïfs, mais sans prétention. Le graphisme, séduisant.

Carnet de voyage à Djibouti Michel Montigné, éd. Sépia, 104 pp., 38 euros
« La richesse de Djibouti est ailleurs ; elle est même nulle part ou immatérielle. Sa richesse, c’est d’être là et pas ailleurs ; au débouché de la mer Rouge vers le golfe d’Aden » Le décor est posé, le voyage peut commencer. Michel Montigné exhorte le lecteur à le suivre : Oh ! toi mon frère d’errance [] il faut venir ici en pèlerin.» Sur ce petit bout de terre, berceau de l’humanité. Le livre se déroule comme une succession de tableaux : le trait du dessin reste dans le vague des contours, esquissant le vide que les couleurs pastel de l’aquarelle viennent combler. Peintre officiel de l’armée, Michel Montigné travaille comme un photographe, croqueur d’éphémère, capteur d’instants : la mosquée Hamoudi, à l’heure de la prière du vendredi, le marché sur l’ex-place Arthur-Rimbaud ou l’activité du port de pêche et commercial. Mais l’artiste se fait aussi paysagiste en essayant de circonscrire en une double page les lacs Assal ou Abbé. C’est un
livre que l’on regarde une fois, feuilletant un peu distraitement les pages, retenant quelques informations distillées dans les légendes, puis que l’on a envie d’ouvrir à nouveau pour s’attacher à la vitalité et à la beauté de certains croquis.

Mission Vietnam Jean-Charles Kraehn, Serge Le Tendre, Patrick Jusseaume, éd. Glénat, 144 pp., 30 euros
Dessinateur-enquêteur un peu bourru, George voudrait se fondre si bien dans le décor qu’il en deviendrait invisible. Il vit, voit et rêve : « Il est un artiste, pas un diplomate, et tout ce qu’il vous raconte, émotions, sensations, rencontres, il l’a vécu. Mais aussi tout ce qu’il a imaginé, il doit le transmettre. Sinon à quoi bon imaginer ce livre ? Là est la différence entre un carnet de voyage et un livre touristique », précisent ces concepteurs, un trio d’auteurs de BD préférant se cacher derrière un personnage fictif plutôt que de se mettre à nu. Mais George est comme eux, habité par ses joies et ses doutes de voyageur : fasciné par le pays et ses hommes, un brin ironique dans sa description des touristes « les chenilles » qui déambulent, envoûté par la beauté des paysages De pages en chapitres, le lecteur suit George dans ses pérégrinations, ses dessins, ses discussions. Et toujours les aquarelles et les croquis au fusain viennent corroborer ses réflexions intérieures et ses impressions. Mais le dessinateur n’est pas seulement un impressionniste, une éponge à sensations, il est aussi venu au Vietnam pour réaliser une mission : relater les actions humanitaires réalisées sur place dans la cadre de Fasevie, un programme d’aide à la réduction de la malnutrition des enfants vietnamiens. C’est alors que « Mission Vietnam », réalisé en collaboration avec l’initiateur du programme, le Groupe de recherche et d’échanges technologiques, acquiert une dimension quasi pédagogique, voire humaniste.

Brésil Emmanuel Lepage et Nicolas Michel, éd. Casterman, 80 pp., 15,50 euros
Ces carnets du Brésil se donnent à lire comme on le ferait d’une énigme à décrypter. Sous le titre, une première piste : « Fragments d’un voyage ». La réalité sera donc partielle et fugitive. Le choix est assumé. Reste alors à laisser l’imagination prendre son envol. Partir avec l’auteur sur les traces d’un mystérieux dessinateur qui a envoyé tous ses croquis chez lui, en poste restante. Que lui est-il vraiment arrivé pendant ce voyage au Brésil ? A-t-il trouvé l’amour ? S’est-il lié d’amitié avec ce vieux monsieur qui aime tant raconter des histoires ? A-t-il vraiment séjourné dans cette chambre d’hôtel miteuse ? Le doute plane. Le voyage se fait à rebours : il s’agit de trouver des mots qui donneront sens aux dessins ou peut-être est-ce l’inverse. Mais pour cela, il faut fouiner, interroger et surtout se perdre dans les méandres des villes brésiliennes, sur les traces de ce Lepage insaisissable. Le résultat : un peu plus d’une vingtaine d’histoires, de chroniques et de portraits. Une fois, on découvre São Paulo en compagnie d’un mendiant bossu. Une autre, ce sera Rio de Janeiro avec José, chantant au pied du Christ rédempteur. L’exercice de style est très réussi, entre la BD et le récit illustré. Évitant le piège des impressions fugaces du voyageur, ce Brésil possède ce quelque chose de la magie des contes.

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Cambodge
Damien Chavannat, Elsie et Justin Creedy Smith, éd. du Seuil, 192 pp., 35 euros
Ils se font appeler « les trois moustiquaires » et se sont déjà fait remarquer avec leur riche carnet de voyage sur l’île de Zanzibar. Aujourd’hui, Elsie l’aquarelliste, Damien l’illustrateur et Justin le photographe nous emmènent avec eux dans leur périple cambodgien. Même principe, un journal de bord dans le style reportage illustré de photos, de dessins, de croquis et autres aquarelles. Mais cette fois, nos trois moustiquaires ont déniché un quatrième larron, qui leur sert à la fois de guide et de viatique pour un pays à l’histoire aussi complexe que tourmentée. Leur D’Artagnan n’est pas n’importe qui. Benoît Duchâteau Arminjon, dit « Bénito », est le fondateur de Krousar Thmey, première ONG cambodgienne d’aide à l’enfance, à laquelle les bénéfices du livre seront reversés. De Phnom Penh à Ratanakiri, d’Angkor aux rives du Mékong, une promenade servie par une attention délicate aux uns et aux autres, qui parfois laisse deviner l’horreur. À Tuol Sleng, nos baroudeurs ont visité la S-21, ancien lycée ou 17 000 personnes furent torturées et exterminées

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