Combats de chefs

Tandis que la querelle entre Marc Ravalomanana et son prédécesseur à la tête de l’État bat son plein, un autre ex-président entre dans la partie.

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Les présidents de la République malgache – qu’ils soient en fonctions ou retraités – sont de plus en plus procéduriers. En témoignent les accusations que s’échangent actuellement les trois hommes – encore en vie – à avoir assumé cette fonction depuis 1960, date de l’indépendance du pays.
Premier par ordre d’entrée en scène, Didier Ratsiraka a été condamné le 6 août par contumace à dix ans de travaux forcés et à 1 million de francs malgaches (FMG) d’amende. Celui qui a quitté le pouvoir en juillet 2002 à l’issue d’une crise institutionnelle longue de plus de six mois a été jugé coupable de détournements de deniers publics pour une valeur de 49 milliards de FMG, soit un peu plus de 7 millions d’euros. Les fonds ont été prélevés entre le 8 juin et le 4 juillet 2002 dans les coffres de la succursale de la Banque centrale à Toamasina. Ces décaissements étaient jugés illégaux, car commis après le 6 mai 2002, date de l’investiture de l’actuel président, Marc Ravalomanana. Blandin Razafimanjato, ministre des Finances au moment des faits, et Ferdinand Velomita, alors gouverneur de la Banque centrale délocalisée à Toamasina, ont écopé pour leur part de six ans de travaux forcés et de la même amende.
Reste que la forme prise par ce procès suscite bien des critiques. Les trois personnalités, qui ont choisi de s’exiler en France, n’ont pas comparu. En leur absence, les avocats commis d’office, qui n’ont pas eu accès au dossier, ont refusé de plaider. « Si l’on voulait demander des comptes à Ratsiraka, il fallait le faire convenablement, regrette un journaliste proche de l’ancien régime. L’audience s’est tenue à la sauvette, et l’ex-président a été condamné entre deux voleurs de zébus, comme un prévenu ordinaire. » L’État, qui s’était porté partie civile, ne s’est même pas fait représenter à l’audience.
Le verdict également peut sembler contestable : « Seulement 1 million d’amende pour avoir volé 50 milliards de FMG. Le rapport entre le délit et la peine est ridicule », souligne la presse malgache, qui parle de mesquinerie. La procédure choisie, enfin, est sujette à caution. Logiquement, les faits reprochés à Ratsiraka auraient dû être examinés par la Haute Cour, estiment certains juristes. Une opinion relayée par L’Express de Madagascar : « Les questions de compétence juridique ont été contournées », estime le quotidien, qui précise que la période particulièrement floue au cours de laquelle deux régimes antagonistes revendiquaient simultanément le pouvoir ne manquera pas d’alimenter la controverse sur les procès politiques.
Un mandat d’arrêt national a été lancé contre le condamné VIP. Or les autorités malgaches le savent, Ratsiraka réside à Paris, et la France n’a été saisie d’aucune plainte ni d’aucune demande d’extradition à son encontre. « Le véritable objectif de ce procès n’était pas d’arrêter l’Amiral, confie un dignitaire de l’ancien régime, mais de le mettre dans l’incapacité d’exercer une fonction publique. En lui interdisant de briguer un nouveau mandat, on voulait juste le déclarer définitivement hors jeu, poursuit-il. Cette chasse aux sorcières n’épargne pas non plus ses proches, puisque son neveu, Roland Ratsiraka, a été suspendu de ses fonctions de maire de Toamasina par le ministère de l’Intérieur une semaine plus tôt. »
Condamné par contumace, Didier Ratsiraka a été le premier à dénoncer cette procédure, qu’il a qualifiée de « mascarade ». Sortant de sa réserve juste après sa condamnation, l’ancien chef de l’État a revendiqué les faits qui lui sont reprochés. Il a notamment expliqué sur RFI que les mouvements de fonds étaient destinés à payer les fonctionnaires des provinces qui lui étaient restés fidèles et à honorer les échéances de la dette malgache auprès du FMI et de la Banque mondiale. Mais l’ex-président estime avoir agi dans l’exercice de ses fonctions, et se défend d’avoir voulu se constituer un trésor de guerre. « Je ne suis parti qu’avec deux valises. Si quelqu’un doit être jugé, c’est Ravalomanana », conclut-il.
Un point de vue que semble partager son homologue Albert Zafy. Élu président de la République en 1993 et débarqué en cours de mandat, le célèbre chirurgien d’Ivandry a pris la tête de la fronde anti-Ravalomanana en se faisant bombarder à la tête du Comité pour la réconciliation nationale (CRN). Dénonçant la « dictature » exercée par le nouveau régime, l’ex-chef d’État figure désormais parmi les adversaires les plus virulents du pouvoir. Dans deux lettres datées du 14 août, l’une adressée au procureur de la République d’Antananarivo, l’autre à celui de Fianarantsoa, il a « porté plainte contre le sieur Marc Ravalomanana, maire de la commune urbaine d’Antananarivo, candidat à l’élection présidentielle du 16 décembre 2001, et consorts pour infractions multiples ». Selon le patron du CRN, le président en exercice se serait rendu coupable, entre autres, de « trahison, atteinte à la sûreté de l’État, entrave à la liberté de travail, rébellion, usurpation de fonction, arrestation et détention arbitraire de l’ex-Premier ministre Tantely Andrianarivo, réunions publiques sans autorisation, destruction d’ouvrages d’art, soustraction de dossiers judiciaires et fiscaux, offense au chef de l’État, sabotage économique, etc. ». Last but not least, l’ancien président porte également plainte pour « meurtres, pillages et incendies, torture et tentative d’assassinat ».
Albert Zafy, qui considère que « le régime Ravalomanana n’était légal qu’à compter de l’investiture du 6 mai 2002 », estime donc que les actes commis avant cette date sont « illégaux comme étant perpétrés après un coup d’État avec toutes les conséquences qui en découlent ». Après ceux de Tana et de Fianarantsoa, il envisage de poursuivre l’actuel chef de l’État devant les tribunaux provinciaux de Toamasina, Antsiranana et Majunga. Enfin, si sa démarche demeure sans suite, ce retraité pour le moins actif n’exclut pas de soumettre le contentieux à une instance supranationale, comme la Cour internationale de justice. Autoproclamation, investiture… les querelles sur la date d’accession de Marc Ravalomanana à la tête de l’État sont loin d’être terminées. Suite du feuilleton au prochain épisode judiciaire.

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