« Colosse drapé dans les habits de lumière »

L’écrivain et ancien joueur de football Eugène Ebodé adresse un ultime salut à Marc-Vivien Foé, disparu le 26 juin dernier à Lyon.

Publié le 28 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

Colosse drapé dans la couleur qui est nuit, mais artiste rompu aux hautes voltiges ! Marc-Vivien, la planète du football s’étrangle et pousse ces longs sanglots qui viennent de la disparition d’un athlète, d’un homme, d’un lion indomptable soudainement à terre. Tu as brusquement quitté ton univers fait d’interceptions de balles, de râteaux, de dribbles de dégagement et de montées rageuses à l’assaut des cages adverses ! Tu es parti, tel un coup de fusil, au pays des ombres.
Colosse drapé dans la couleur qui est nuit et laissant un peuple comme abandonné aux chants du désespoir. Tu conjuguais le verbe jouer avec cette élégance qui subjugue en premier l’adversaire, au point de le rendre davantage spectateur qu’acteur de son action. Tu avais pour tâche primordiale de soutirer proprement le ballon des pieds malhabiles de l’adversaire pour le donner à tes partenaires dans des conditions les meilleures, autorisant les départs en fanfare et les attaques victorieuses. Tu récitais cette leçon avec bonheur et tu n’hésitais jamais à te porter vers l’avant, prompt à donner l’estocade.
Colosse drapé dans les habits de lumière ! De Yaoundé à Auxerre, de Lens à Londres, de Lyon à Manchester City, tu jouas presque à contre-emploi, chargé des missions défensives, alors que ton être, ton habileté, ta densité physique, ton volume de jeu comme ton adresse eussent exigé qu’on te désignât métronome ! Toi, pharaon d’ébène de l’entre-jeu, dominant le jeu et sortant toujours du lot comme une crevette de la nasse, pour transmettre aux attaquants des ballons précis, techniquement enrichis, roulant sur la note bleue de la réussite frappée par un maître du balafon.
Colosse drapé dans les boubous qui enchantent ! La cruauté éteint les mots, et voici que des maux viennent en nous, féroces et violents en ces instants où la douleur nous plie et où la rage nous étouffe ! Le temps s’ouvre donc aux arrachements indicibles ! Tu étais économe de tes mots, mais d’une générosité sans égale pour tenter de corriger les maux qui frappent et défigurent le visage de l’enfance. Ces petits ont perdu leur grand frère, le colosse expert en voltiges, toi qui as résumé ta recherche personnelle en affirmant : « Il faut savoir être petit avant d’être grand. » Tes souliers, mais aussi ta retenue, ton ardeur mais davantage encore ton coeur qui battait si fort aux accents de la générosité ont fait de toi un géant qui n’a pas eu le temps de livrer tous ses messages.
Colosse désormais retiré de la liste des mortels, mais colosse drapé dans les pagnes aux couleurs d’espoir, de feu et de rêve ! Le vert, le rouge et le jaune éclatants du drapeau national seront les fiers compagnons du colosse que la Grande Faucheuse a si prématurément soustrait à nos applaudissements. Et le linceul tissé aux coloris de la patrie reconnaissante recouvrira ton corps de statue d’ébène et te pressera dans une étreinte d’amour qui protège et sublime. Alors, Marc-Vivien Foé, les causeries qui ne peuvent s’interrompre se poursuivront au fil des ans, au fil des exploits des Lions indomptables, au fil des pages racontant tes oeuvres. Alors, tes exploits, les exploits d’une équipe, les exploits d’un pays des Crevettes, les espoirs des supporteurs, les hommages des adversaires émus aux larmes après ta disparition, les rêveries d’enfants, de tous les enfants, des tiens et de tous ceux à venir qui porteront ce numéro dix-sept en souvenir de toi.
Colosse dont la demeure est désormais nuit, il te manquera donc une finale, celle qui s’est jouée sans toi mais pour toi, dimanche 29 juin 2003 au Stade de France. Elle n’eut qu’un seul vainqueur drapé dans les habits de lumière : Marc-Vivien Foé !

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