Ce qui attend Konaré

Difficultés financières, lourdeurs bureaucratiques, lancement des nouvelles structures… Lourde est la tâche à laquelle doit s’atteler, dès la mi-septembre, l’ancien chef de l’État malien élu président de la Commission de l’organisation continentale.

Publié le 28 juillet 2003 Lecture : 4 minutes.

Lorsqu’il prendra ses nouvelles fonctions, à la mi-septembre, Alpha Oumar Konaré devra au plus vite se faire, comme beaucoup d’autres fonctionnaires internationaux avant lui, à la bureaucratie éthiopienne et aux innombrables désagréments propres à Addis-Abeba, siège de l’Union africaine et, certainement, l’une des capitales les plus kafkaïennes du continent. « Il faut au moins six mois pour une plaque minéralogique, autant pour ouvrir un compte en devises, plusieurs jours pour obtenir du cash au guichet d’une banque et un an d’attente pour avoir une puce de téléphone cellulaire », assurent des diplomates ouest-africains.
Élu, le 10 juillet dernier, président de la Commission de l’Union africaine (au premier tour avec 35 voix pour, 6 nuls et 4 abstentions sur les 45 délégations autorisées à participer au vote), Konaré, 57 ans, héritera d’une structure lourde, bureaucratique, sclérosée et empêtrée dans d’inextricables difficultés financières. Installé dans un confort facile, avec des privilèges et des émoluments appréciables, bon nombre des 354 agents du siège et des bureaux régionaux de New York, Genève et Bruxelles sont démotivés et paraissent plus intéressés par les promotions internes que par la défense de la cause panafricaine. Au point que certains, profitant de la proximité d’Addis-Abeba avec plusieurs capitales arabes du Golfe, se transforment, les week-ends, en hommes d’affaires.
S’il veut placer son mandat sous le signe de l’innovation, l’ancien président malien devra donc rapidement dépoussiérer les meubles et se débarrasser des « brebis galeuses », d’autant plus qu’il doit composer avec un vice-président « politique », Patrick Mazimhaka, ancien ministre et influent conseiller diplomatique du président rwandais Paul Kagamé. Mais aussi, c’est la nouveauté, avec la Commission, sorte de « gouvernement continental » de huit membres eux-mêmes élus, qui doivent leur existence aux seuls États membres et qui, pour certains, connaissent bien la maison et ont les dents longues. « Ce sera mandat contre mandat, un peu comme si, dans un gouvernement, les ministres étaient choisis au suffrage universel, au même titre que le chef de l’État, explique un diplomate onusien. Cette situation limitera grandement les pouvoirs du président de la Commission. »
« Pour Konaré, ce ne sera pas du gâteau », ajoute un ambassadeur ouest-africain en poste à Addis-Abeba. Et pas uniquement pour des questions de préséance et pour des considérations liées aux ressources humaines. « L’organisation n’a pas de fonds propres. Elle est donc obligée de s’en remettre aux États pour espérer s’en sortir », explique l’Ivoirien Amara Essy, président intérimaire de l’Union africaine, qui passera le relais, à la mi-septembre, à Alpha Oumar Konaré. Les indicateurs sont donc au rouge, et les récentes tentatives pour trouver des sources de financement extrabudgétaires sont, pour le moment, restées infructueuses. « Afin que l’Union ne dépende pas uniquement des contributions statutaires et en raison des difficultés de certains pays à honorer leurs engagements financiers, les chefs d’État m’ont demandé, en 2002 à Durban, d’entreprendre des études, avec l’assistance d’experts, pour identifier d’autres sources de financement de nos programmes et activités », poursuit Essy. Un rapport, rédigé avec l’assistance de trois consultants, attend toujours le feu vert des pays membres…
Deux ans après sa naissance, en juillet 2001 à Lusaka, l’Union africaine fera ses premiers pas, en septembre prochain, avec un lourd handicap financier, legs de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA) et conséquence de l’insolvabilité chronique d’une dizaine d’États membres. Une situation qui, de toute évidence, n’est pas près de s’arranger à cause de la multiplication des crises, des conflits, et de la résurgence des coups d’État. Selon un document confidentiel communiqué aux chefs d’État et de gouvernement présents à Maputo, et dont Jeune Afrique/l’intelligent a pu avoir copie, les arriérés de contributions des membres avoisinaient, le 15 juin 2003, la bagatelle de 60 millions de dollars. L’examen au cas par cas de la situation des mauvais payeurs, qui sont privés du droit de prendre la parole, de voter et de présenter des candidats à des postes électifs (mais ne semblent en avoir cure), ne manque pas d’intérêt.
À elle seule, la République démocratique du Congo (RDC) doit aujourd’hui l’équivalent de dix années d’arriérés, soit près de 8 millions de dollars. En septembre 1996, Kinshasa accusait déjà quelque 3,8 millions de dollars d’impayés. Les autorités de l’époque avaient même négocié avec l’OUA un rééchelonnement de leur dette (500 000 dollars répartis sur sept ans), qui n’a, bien entendu, jamais été respecté. Pour ce qui les concerne, les Comores devaient toujours, à la date du 15 juin 2003, environ 1,8 million de dollars (soit neuf années d’arriérés !). Un plan de rééchelonnement rédigé en janvier 1998 n’a, là non plus, jamais été respecté. Et, hormis deux chèques remis à l’OUA par la Libye, au nom de cet archipel de l’océan Indien, respectivement, en septembre 1999 (736 634 dollars) et en mai 2002 (49 057 dollars), on n’a rien vu venir.
Avec une dette totale de 1,8 million de dollars, São Tomé e Príncipe, qui envisagea un moment de présenter un candidat, l’ancien chef de l’État Miguel Trovoada, à la présidence de la Commission de l’Union africaine, se trouve dans une situation comparable. Pas plus que la RDC et les Comores, cette ancienne colonie portugaise n’a respecté les termes d’un compromis financier établi en janvier 1997 avec le secrétariat général de l’OUA. Si l’on exclut, là aussi, deux chèques libyens : 591 993 dollars en septembre 1999, et 40 591 dollars en mai 2002.
Le colonel Mouammar Kadhafi a su également faire preuve de générosité vis-à-vis des Seychelles (386 605 dollars en septembre 1999 et 28 255 dollars en mai 2002), un pays qui affiche près de 1,2 million de dollars d’impayés. Et du Liberia (41 657 dollars déboursés en mai 2002 par Tripoli), qui accuse huit années de retard (1,6 million de dollars). Une chance que n’ont pas eu le Niger (1,9 million de dollars d’arriérés), la Sierra Leone (1,6 million de dollars), la République centrafricaine (1,1 million de dollars), la Guinée-Bissau (985 164 dollars). Ni, bien entendu, la Somalie, « État-néant » qui se situe hors catégorie, avec l’équivalent de dix-neuf années d’arriérés de contributions (plus de 5 millions de dollars). Autant dire que, pour Alpha Oumar Konaré, les quatre prochaines années ne seront pas, effectivement, « du gâteau ».

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