Après la canicule, la douche froide

Vague de chaleur meurtrière, regain de violence en Corse, aggravation du déficit budgétaire, recul de la croissance, hausse du chômage… La rentrée s’annonce sous de mauvais auspices pour le gouvernement Raffarin.

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Pour un été torride, ce fut un été torride ! Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre, n’en est pas encore revenu, lui qui avait clos, le 31 juillet, un ultime Conseil des ministres sans passion, avant les vacances. Au menu des travaux, ce jour-là, une directive européenne sur la concurrence, la privatisation de France Télécom et une fournée de nominations de préfets et de hauts fonctionnaires. Le retour au train-train politique après un printemps et un début d’été agités, mais dont le gouvernement semblait être sorti, grosso modo, à son avantage.
Qu’on se souvienne des grèves et des manifestations à répétition, en mai et en juin, chez les profs, les cheminots et les fonctionnaires ; ils s’opposaient de toutes leurs forces à l’alignement des retraites de la fonction publique sur le secteur privé. À peine le mouvement avait-il été vaincu, en juillet, par le vote à l’Assemblée nationale du projet de loi contesté, que démarrait la protestation d’intermittents du spectacle menacés d’un régime d’indemnisation du chômage moins favorable ; les festivals de l’été avaient été annulés les uns après les autres, à commencer par celui d’Avignon, le plus célèbre.
Non pas que le gouvernement ait brillé dans l’art du dialogue et de la pédagogie, bien au contraire, mais finalement, il a résisté à la rue. Et fait mentir l’ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard qui avait pronostiqué, à la fin des années 1980, qu’avec le dossier des retraites, il y avait de quoi « faire sauter plusieurs gouvernements ».
Non seulement celui de Raffarin n’a pas « sauté », mais il a plutôt bien rebondi et réagi devant les gigantesques incendies criminels qui ont dévasté 50 000 hectares dans le midi de la France, en juillet et en août. On a vu à plusieurs reprises le Premier ministre ou son ministre de l’Intérieur sur le front des flammes qui ravageaient la Côte d’Azur ou la Corse !
Le gouvernement savait que les syndicats agricoles ne manqueraient pas de lui réclamer des centaines de millions d’euros pour aider les agriculteurs à surmonter la canicule qui jaunissait les prairies, tuait les volailles et grillait le maïs. Mais cela pouvait attendre la rentrée, d’autant que les vendanges, elles, s’annonçaient excellentes. C’est donc avec soulagement que les ministres sont partis en vacances pour reprendre des forces avant un automne que les augures prédisent « chaud ». Le pire était à venir.
En effet, la chaleur ne s’est pas démentie ; elle a tué, d’abord silencieusement, parce que la France en vacances est sourde et aveugle, puis de plus en plus ostensiblement. Les personnes âgées, très vulnérables aux variations de température, ont commencé à mourir en nombre, début août, dans les maisons de retraite ou dans la solitude de leur appartement. Ni les structures sanitaires nationales, ni les ministres, ni les élus ne se sont aperçus de cette surmortalité exceptionnelle qui semble avoir largement dépassé celles enregistrées lors des sécheresses de 1976 et de 1983.
Est-ce parce que Jean-Pierre Raffarin était en vacances au frais dans les Alpes, à Combloux, et que son ministre de la Santé, Jean-François Mattei, se rôtissait sur la plage du côté de Saint-Raphaël, que les deux principaux responsables de la santé des Français n’ont pas mesuré l’ampleur de la catastrophe ? Faut-il incriminer un système de veille rendu inopérant par la touffeur et par les trente-cinq heures ? Doit-on mettre en accusation le gouvernement, qui a pratiqué des économies dans les budgets destinés aux personnes âgées dépendantes ? Est-ce la société qu’il convient de mettre au pilori parce qu’elle déstructure les liens familiaux et pousse les enfants à moins s’occuper de leurs vieux parents ?
Toujours est-il que la polémique a vite fait rage et que le gouvernement s’est retrouvé sur la défensive. Pourquoi ne s’est-il pas mobilisé plus tôt pour les vieux ? Pourquoi Jean-Pierre Raffarin n’a-t-il pas montré à leur égard la même sollicitude que pour les pompiers mobilisés dans le Sud ? Pourquoi ne peut-on chiffrer les morts de la canicule ? 5 000 ou 10 000 ? Pourquoi aucun plan d’urgence n’a-t-il été encore adopté pour arrêter l’hécatombe ?
Face à ce drame, l’opinion s’est scindée en deux. Dans l’enquête Louis-Harris publiée le 28 août par le quotidien Libération, 56 % des personnes interrogées déclarent que le gouvernement a été « imprévoyant », mais dans l’enquête Ipsos publiée le même jour par Le Figaro, 62 % répondent que la canicule est une « fatalité », 50 % des réponses de l’enquête BVA parue le 28 août dans Le Nouvel Observateur jugeant que le président de la République lui-même n’a « pas fait ce qu’il devait faire ».
Ajoutez à ce hourvari médiatique que les indépendantistes corses ont recommencé à plastiquer à tout-va et à s’assassiner entre eux. Que le gouvernement est économiquement en difficulté en raison des promesses de Jacques Chirac de poursuivre une baisse des impôts de 3 % en 2004, alors que Bruxelles est mécontent de voir la France violer les règles du jeu européen en matière budgétaire (bientôt 4 % de déficit budgétaire au lieu des 3 % prescrits et 63 % d’endettement public par rapport au PIB au lieu des 60 % requis). Que la croissance a reculé de 0,3 % au deuxième trimestre. Que la poursuite des fermetures d’usine « normales » (ST Microelectronics) ou « sauvages » (Flodor) annonce une hausse du chômage et que le gouvernement, pourtant de coloration très libérale, a été obligé de voler au secours de la société Alstom – pour lui éviter un naufrage qui menaçait plusieurs dizaines de milliers d’emplois – et de prendre 35 % de son capital. On comprendra que l’équipe Raffarin a repris le travail en toute petite forme, le 21 août…
On aurait pu croire que l’opposition de gauche profiterait des déboires et des faux-pas du pouvoir. Pas le moins du monde, tant ses divisions et ses querelles de personnes ou de courants décrédibilisent ses critiques. Pendant que François Hollande, le patron du Parti socialiste, tire à boulets rouges sur l’impéritie de Jean-Pierre Raffarin, l’ancien ministre socialiste de la santé Bernard Kouchner critique une société « où on se tourne vers le gouvernement quand il fait chaud ou quand il fait froid » et déclare qu’un gouvernement de gauche n’aurait peut-être pas fait mieux cet été ! Les deux seuls responsables socialistes qui semblent ne pas succomber à la démagogie ambiante sont l’ancien Premier ministre, Laurent Fabius, qui tente un rapprochement habile avec les écologistes, et le maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui se démarque de l’extrême gauche omniprésente. Chez les Verts, on continue de s’entredéchirer à belles dents dans la perspective des élections régionales et de s’accuser de mener « une stratégie illisible ». Le Parti communiste, lui, est inaudible.
Reste la bruyante nébuleuse de l’ultragauche où cohabitent altermondialistes, trotskistes, agriculteurs de la Confédération paysanne de José Bové, enseignants amers, déçus du socialisme et du communisme. Elle ne se porte guère mieux depuis que le président d’Attac, Jacques Nikonoff, s’en est pris aux « gauchistes » qui décrédibilisent le mouvement protestataire par leur violence et leur sectarisme. Le démontage du stand du Parti socialiste, chassé le 9 août par lesdits gauchistes du gigantesque rassemblement du Larzac de « la gauche de la gauche », symbolise l’une des fractures qui réduisent à l’impuissance la gauche française toujours écartelée entre violence et réformisme.
Bilan ? Avec une droite au pouvoir particulièrement gauche dans le traitement de situations imprévues, une gauche trop maladroite pour donner une réplique intelligente au gouvernement, un lien entre les générations gravement fragilisé, la France rentre donc de vacances bronzée comme à son habitude, mais fort peu détendue et doutant de ses capacités à faire vivre le principe de fraternité qui figure pourtant au fronton de sa République.

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