Accusations et suspicions

Alors que la tension entre le camp présidentiel et les ex-rebelles était déjà très forte, l’« affaire IB » l’a fait monter encore d’un cran.

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 7 minutes.

Il voulait, profitant de la loi d’amnistie votée récemment par le Parlement ivoirien, retourner en Côte d’Ivoire « dans le courant du mois de septembre » pour voir sa mère restée seule au pays ainsi que « ses frères, ses amis » qu’il n’avait pas revus depuis trois ans. Le retour du sergent-chef Ibrahim Coulibaly (IB, ainsi que les médias se sont plu à le surnommer) est différé jusqu’à nouvel ordre. Arrivé à Paris « le 16 août, avec un visa régulier de court séjour, délivré par l’ambassade de France à Ouagadougou » précise un de ses amis, IB avait fait la une des médias et multiplié les déclarations à l’AFP, sur TV5, sur RFI… Il avait rencontré des « Ivoiriens de la diaspora » et des exilés politiques établis à Paris. À tous, assure-t-on dans son entourage, il aurait demandé de s’inscrire résolument dans le processus de réconciliation nationale de Côte d’Ivoire en respectant les accords de Marcoussis. Il en aurait fait de même avec des personnalités françaises « de haut niveau » à qui il avait dit toute sa disponibilité à travailler au retour de la paix dans son pays. Le 20 août, il s’était rendu le plus normalement du monde, en voiture, à Bruxelles, où résident son épouse et ses cinq enfants, puis était revenu le même jour dans la capitale française.
Pourtant, le 21 août, à la suite d’informations parvenues à la Direction de la surveillance du territoire (DST), une enquête judiciaire confiée à la juge antiterroriste Marie-Antoinette Houyvet avait été ouverte à Paris contre lui. Des éléments de la police suivaient ses moindres faits et gestes à l’hôtel Méridien-Montparnasse, où il était descendu. Ils l’auraient même filé lors de son aller-retour bruxellois. Le 23 août au matin, voilà donc l’ancien patron de la garde rapprochée du défunt général Gueï qui s’apprête à quitter son hôtel parisien pour l’aéroport de Roissy. Il y a là, avec lui, quelques-uns de ses amis : Mamadou Diomandé, avocat au barreau de Saint-Nazaire, dans l’ouest de la France, mais aussi secrétaire chargé des relations internationales du MPCI (Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire), Kouadio Gnamien Armand, résidant en France avec qui il a pratiqué jadis les arts martiaux, Hassan Fackour, Ivoirien d’origine libanaise, Diaby Bakaramoko alias Youl – dont IB a été le témoin de mariage. Vers 11 h 15, tous sont interpellés par une vingtaine d’éléments de la DST – qui n’avaient visiblement pas l’identité exacte du bonhomme – puis conduits manu militari dans les locaux de ladite direction.
Pratiquement au même moment, sont arrêtées, toujours à Roissy, d’autres personnes, « anciens de la légion étrangère » présentés comme des mercenaires en relation avec IB ainsi qu’une personne travaillant au consulat de Côte d’Ivoire en France. Tous sont en partance pour Abidjan. Déférés au parquet de Paris, IB et ses amis sont mis en examen le 27 août pour « appartenance à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et « recrutement spécial de mercenaires ». Certains parmi les mercenaires arrêtés à l’aéroport de Roissy – un Wallisien, un Malgache, un Calédonien et un Corse, rapporte Le Figaro dans son édition du 28 août – auraient reconnu avoir été recrutés par Coulibaly. Deux des personnes interpellées ont été libérées : Diaby Bakaramoko, à peine quelque heures après son arrestation, et Kouadio Armand, quelques jours plus tard.
Les amis de l’ancien putschiste crient au complot contre IB. Ils soutiennent que l’ex-sous-officier de l’armée ivoirienne n’avait pas l’intention de retourner en Côte d’Ivoire avant le mois de septembre. « Il l’a clairement affirmé dans les médias. Il devait d’abord repartir au Burkina Faso via le Mali, comme l’atteste son titre de voyage, avant de se rendre ultérieurement dans son pays. C’est une affaire montée de toutes pièces par le pouvoir ivoirien. Gbagbo veut rebondir sur le plan international. Comment ces présumés mercenaires pouvaient-ils embarquer dans un avion pour la Côte d’Ivoire sans que les autorités françaises et ivoiriennes ne soient au courant ? Qui leur a octroyé le visa ? » s’interroge Doumbia Major, un des responsable du MPCI en Europe, lui-même avec IB quelques minutes avant son arrestation.
L’ancien mouvement rebelle s’est, ces derniers jours, montré plus que préoccupé par l’arrestation de IB, dont il réclame ni plus ni moins la libération. Certains de ses responsables déclarent, sans vraiment convaincre, qu’il n’y a aucun lien entre le MPCI et Coubibaly : « Nous réclamons sa libération uniquement parce que c’est un camarade d’exil. Nous avons subi les mêmes brimades de la part du pouvoir actuel à Abidjan. C’est un symbole, une référence historique. »
À Abidjan, quoi qu’il en soit, la tension est montée d’un cran depuis début le début de cette affaire. En réalité, il y avait de l’eau dans le gaz depuis que le président Gbagbo a prononcé le 6 août dernier un discours où il a fait comprendre aux uns et aux autres qu’il reprenait la main, que sa feuille de route restait plus la Constitution ivoirienne que les accords de Marcoussis. Le numéro un ivoirien était d’autant plus mécontent que certains ministres des « Forces nouvelles » étaient allés célébrer la fête nationale à Bouaké, comme s’ils étaient encore « en dehors de la République ». Il s’en était ouvert à son Premier ministre et, semble t-il, une brouille était survenue entre les deux têtes de l’exécutif.
Le 20 août, Seydou Diarra, revenu d’une tournée en France, à Bruxelles et aux États-Unis qui lui a conféré une certaine légitimité internationale, a, dans un discours à la nation, réclamé plus de pouvoir et surtout l’application des accords de Marcoussis. Il aura ainsi répondu, à sa manière – certains de ses proches auraient voulu qu’il réagisse sur-le-champ à l’allocution du chef de l’État -, à Laurent Gbagbo. Le résultat a inévitablement irrité les partisans du président ivoirien. Surtout que, le 25 août, le MPCI, réuni à Bouaké, tirait dans la même direction en affirmant que « les conditions ne sont pas remplies pour l’organisation d’élections transparentes en 2005 ».
La démilitarisation des groupes armés, qui devait démarrer le 1er août, est au point mort, bien que, le 4 juillet, les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) et les Forces nouvelles (ancienne rébellion) ont déclaré la fin de la guerre. Un violent accrochage est intervenu le 25 août entre des militaires français qui effectuaient une patrouille fluviale sur le lac de Kossou – une zone située au centre du pays, théoriquement démilitarisée – et un groupe d’ex-rebelles. Deux soldats français – les premiers depuis le début de l’opération Licorne – y ont laissé la vie. La ministre française de la Défense Michèle Alliot-Marie a vite fait savoir que « cet événement ne remettra pas en cause la détermination et l’engagement de notre pays à contribuer activement au retour de la paix civile et à l’aboutissement du processus de réconciliation en Côte d’Ivoire ». Faut-il y voir la preuve que, désormais, entre la France et la Côte d’Ivoire, « pays ami et allié », selon l’expression du porte-parole du Quai d’Orsay Hervé Ladsous, c’est la convergence de vues ? Le diplomate a expliqué que les vagues d’arrestations survenues à Paris constituent le premier cas d’application de la loi du 15 avril 2003 contre le mercenariat. Dans le passé, le gouvernement français avait les mains liées. C’est pratiquement dans l’illégalité qu’il avait dû donner des instructions pour l’arraisonnement en Tanzanie, le 18 juin 2002, d’un Falcon 900 transportant une douzaine de mercenaires français à destination de Madagascar.
Abidjan a en tout cas apprécié le geste des autorités françaises. Le conseiller spécial du président Gbagbo pour la sécurité Bertin Kadet l’a fait savoir dans un communiqué. Puis le numéro un ivoirien lui-même, dans une allocution à la nation le 26 août au soir, a exprimé ses « vifs remerciements aux autorités françaises au plus haut niveau dont le précieux concours a permis de faire échec à cet énième projet de déstabilisation de la Côte d’Ivoire ».
Une atmosphère de suspicion règne de nouveau en Côte d’Ivoire, où des arrestations liées à l’affaire IB ont été opérées. Affirmant que le projet consistait à attenter à sa vie et à assassiner ses principaux collaborateurs, Gbagbo a souhaité que les investigations liées à cette affaire soient « menées avec diligence, rigueur, sérieux afin d’en démasquer tous les commanditaires et leurs complices, quels qu’ils soient et ou qu’ils se trouvent ». Le numéro un ivoirien songeait-il à quelqu’un en particulier ? Si lui ne l’a pas dit, Pascal Affi Nguessan, son ancien Premier ministre, d’habitude si pondéré, n’y est pas allé par quatre chemins. Il a tout simplement accusé le chef du gouvernement Seydou Diarra ! Si elles persistaient, ces accusations portées contre l’actuel chef du gouvernement ivoirien pourraient mettre un terme au mariage entre celui-ci et le chef de l’État ivoirien, mais surtout ouvrir un énième conflit entre Abidjan et Paris, qui, comme chacun sait, aimerait voir Seydou Diarra rester en fonctions jusqu’en 2005.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires