Démissions
-
Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 19 mai 2014 Lecture : 2 minutes.
Je suis à Kinshasa. J’habite au quatorzième étage d’un immeuble qui en compte vingt-deux. Grande découverte : aucun moustique n’ose s’aventurer jusque-là. Chaque fois que je me retrouve sur le balcon, je m’imagine oiseau. Un oiseau prêt à voler pour contempler cette ville bruyante. Mais, heureusement, le vertige me rappelle très vite à l’ordre, m’évitant ainsi de finir en bouillie sur le trottoir. J’ai noté que les escalators de mon immeuble, construit dans les années 1970, sont tombés dans un coma éternel. Et puis, il y a cet ascenseur. Enfin, ce que je prenais pour un ascenseur. C’est plutôt un monte-charge étroit, antédiluvien, angoissant, et qui fonctionne de façon miraculeuse. Pour l’emprunter, il faut être accompagné par un agent, le seul à savoir comment l’appareil fonctionne. En tout cas, les manipulations auxquelles il se livre sont plus inquiétantes que rassurantes. Ce monte-charge est capricieux : il ne s’arrête jamais à mon étage lorsque je veux descendre.
Dans mon immeuble, il se passe bien d’autres choses bizarres. C’est le cas des factures d’eau et d’électricité. Quand elles arrivent, tous les habitants paient la même somme. J’ai alors demandé au syndic de me dire s’il était possible qu’une personne vivant seule consomme la même quantité d’eau et d’électricité qu’une famille. La réponse a été sèche : "Ici, c’est comme ça, tout le monde paie la même chose." Dites-moi si ce n’est pas une arnaque. Deuxième question : pourquoi les ascenseurs sont-ils en panne éternelle ? Réponse du syndic : "Les propriétaires n’ont pas tous payé leur part." Or, dans ce bâtiment, les loyers ne sont pas parmi les plus bas de la ville. Où va donc tout l’argent que les propriétaires encaissent ? Pourquoi les locataires acceptent-ils de prendre un monte-charge et de payer plus qu’ils ne consomment d’eau et d’électricité ? Je n’y comprends rien.
Un jour, alors que je m’apprête à m’engouffrer dans le fameux monte-charge, j’entends l’un des préposés se plaindre de devoir remplacer l’un de ses collègues empêché. Je me permets de lui dire que c’est plutôt une bonne nouvelle car son patron lui paiera des heures supplémentaires. Il me répond : "Ici, ça n’existe pas." Je lui dis que si ; il y a le code du travail, des conventions collectives. Qu’il peut aller se plaindre à l’inspection du travail s’il se sent lésé par son employeur. Là, il m’arrête net : "C’est mon patron qui aura raison." Je me suis alors demandé si les gens connaissent vraiment leurs droits, s’ils ne baissent pas trop vite les bras avant d’avoir entamé la moindre démarche. Bref, ce monsieur et des millions d’autres ne sont-ils pas tout simplement des victimes consentantes d’une exploitation éhontée ?
Me revient à l’esprit une phrase à la mode à Kinshasa. Traduite du lingala, elle donne ceci : "Fous-moi le camp. Tu crois que c’est toi, avec ta logique, qui vas améliorer ce pays ?" Le choix est clair : il faut tout accepter, tout subir, tout laisser faire parce que, en définitive, rien ne peut changer. J’appelle cela l’illogisme de la résignation. Et c’est une attitude stérile.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?