Tunisie : le décret sur la spéculation a-t-il été copié sur une loi algérienne ?

Kaïs Saïed a émis un décret punissant sévèrement la spéculation illicite. Mais le texte semble largement inspiré d’une loi algérienne. Explications.

Le président tunisien Kaïs Saïed. © Khaled Nasraoui/dpa Picture-Alliance via AFP

Publié le 24 mars 2022 Lecture : 3 minutes.

Depuis qu’il s’est arrogé l’essentiel des pouvoirs, le 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed s’est lancé dans une offensive contre les spéculateurs et les monopoles. Il a ainsi promulgué le 20 mars 2022 un décret pour contrer la spéculation illicite, comme les opérations de stockage ou de dissimulation de marchandises à l’origine d’une pénurie ou d’une perturbation du marché. Une décision qui intervient dans un contexte de pénurie de biens alimentaires de base du fait de la crise ukrainienne. 

Problème : après un premier examen, le texte se révèle être une copie conforme de la loi adoptée par l’Algérie le 20 décembre 2021, en particulier dans ses articles 1, 2 et 15, mais aussi sur l’ensemble du texte, avec quelques aménagements. De quoi alimenter les moqueries sur les réseaux sociaux mais aussi un sentiment de malaise au sein de l’opinion.

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« Reproduit tel quel »

Certains hauts commis de l’État tentent de masquer leur embarras en supposant que « ceux qui ont élaboré ce décret ont été influencés par la version algérienne dans leur exercice du droit comparé ».

Mais rien n’y fait, le plagiat semble établi. Ce sont d’ailleurs des tournures de phrase inusitées en Tunisie qui ont attiré l’attention des observateurs, à qui il a suffi de soumettre la mouture à un logiciel de détection de plagiat pour découvrir le pot aux roses.

Dans les deux textes, le législateur adopte une définition identique des termes de spéculation illicite, de rareté des denrées et de recours à des moyens électroniques. Aucune de ces notions n’est présentée à l’aune du corpus législatif tunisien et notamment de l’ensemble des lois organisant le commerce.

« Le président veut accélérer le pas », plaident des membres de la campagne explicative du projet de Kaïs Saïed

La version tunisienne du décret algérien fait ainsi l’impasse sur l’obligation de l’État d’approvisionner le marché en produits de première nécessité, mais reprend exactement les mêmes peines et les mêmes sanctions, qui vont jusqu’à la confiscation des biens personnels. « Le texte algérien a été reproduit tel quel sans prendre en considération le principe de proportionnalité des peines », déplore le politologue Kerim Bouzouita.

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« Le président veut accélérer le pas », plaident des membres de la campagne explicative du projet de Kaïs Saïed. La pénurie de produits de première nécessité et les difficultés de réassort dues à des finances publiques exsangues impactent son projet politique et alimentent la grogne populaire.

Décidé à en finir avec les spéculateurs et « ceux qui complotent pour nuire au pays », le locataire de Carthage est passé à la vitesse supérieure pour produire un décret qui fait l’effet d’un couperet tant il est sévère.

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De 10 ans à la perpétuité

Publié en même temps que deux autres décrets majeurs, l’un sur la réconciliation nationale, l’autre sur les entreprises citoyennes, le décret 14 du 20 mars 2022 prévoit une série de sanctions similaires à celles prises par Alger, avec des amendes allant de 100 000 à 500 000 dinars, assorties de peines de prison de dix ans jusqu’à la perpétuité quand le délit est commis en bande organisée ou relève de la contrebande.

« C’est un décret issu en temps de paix mais qui prévoit des sanctions inhérentes à la guerre »

Kaïs Saïed n’est pas le seul à avoir déclaré la guerre à la spéculation. Tous ses prédécesseurs s’y sont essayés, mais ils ont perdu la partie face au secteur informel, dont la part dans le PIB serait passée de 30% à 53% en 2021, selon une étude du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).

« Certaines dispositions vont à l’encontre des lois tunisiennes, surtout que le régime de mesures exceptionnelles qui régit la Tunisie depuis septembre 2021 dispose que les décrets doivent être en lien avec cette situation exceptionnelle, ce qui n’est pas le cas avec les décrets du 20 mars.

Ils correspondent à la vision personnelle de Kaïs Saïed de la pratique du pouvoir », fait observer le professeur de droit public Sghaier Zakraoui. Son collègue, le professeur de droit Rabeh Khraifi, régulièrement consulté par la présidence, défend de son côté l’idée d’une production originale des juristes tunisiens, mais estime que « c’est un décret issu en temps de paix mais qui prévoit des sanctions inhérentes à la guerre ».

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