Poutine l’Africain
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 19 mai 2014 Lecture : 2 minutes.
Rares sont ceux qui l’avouent, nombreux sont ceux qui le pensent, et leurs confidences vont toutes dans le même sens : les dirigeants africains ont pour Vladimir Poutine une admiration secrète. Pas tous bien sûr, mais ceux qu’il m’est arrivé de rencontrer ces derniers mois, qu’ils soient chefs d’État, ministres, hauts fonctionnaires, voire membres au sens large de la classe politique, projettent du néo-tsar de toutes les Russies une image sans rapport avec celle, globalement négative, qu’en ont les Européens et les Américains.
L’homme qui dit niet à l’Occident, refuse ses ingérences, exige qu’on le respecte, affecte des poses de macho viril et exhibe ses muscles en Ukraine a quelque chose de fascinant pour ceux d’entre eux qui, contraints par la loi du rapport des forces, ingurgitent quotidiennement des leçons de bonne gouvernance avec autant de grâce qu’un gamin avale de l’huile de foie de morue.
Poutine, c’est leur revanche par procuration, et certains vont jusqu’à rêver d’un retour à l’époque de la guerre froide.
Poutine, c’est leur revanche par procuration, et certains vont jusqu’à rêver d’un retour à l’époque de la guerre froide, quand la compétition entre les deux pôles du monde permettait aux plus malins des présidents africains de faire monter les enchères en leur faveur. Poutine et la puissance économique chinoise versus l’Occident et les institutions de Bretton Woods : the game is on !
On en est encore loin, certes. Mais ce qui est nouveau, c’est qu’après deux décennies d’atonie complète, la diplomatie russe se réveille en Afrique, avec des moyens limités, mais un activisme certain et des convictions affirmées. Les ambassadeurs en poste en Afrique francophone ont ainsi reçu pour consigne de comparer le rattachement de la Crimée à la Russie à l’annexion de l’île de Mayotte par la France. Argumentaire : les Français sont particulièrement mal placés pour condamner le retour de la péninsule dans le giron russe, alors qu’ils ont violé le droit international en organisant, en 1976, un référendum séparé dans leur colonie des Comores afin d’en détacher l’île de Mayotte. Un peu spécieux sans doute (on ne justifie pas une violation par une autre), mais imparable. Et avalisé comme tel par ce ministre malien, lequel se félicitait par ailleurs du fait qu’après avoir reçu une délégation de rebelles touaregs le ministère russe des Affaires étrangères ait immédiatement transmis à Bamako un compte rendu détaillé de la rencontre, ce que les Français et les Américains, eux, ne font jamais.
Les temps ont changé, bien sûr. Moscou n’exporte plus en Afrique ses conseillers militaires, ses commissaires du peuple, ses supplétifs cubains, a fortiori son influence. L’université Patrice-Lumumba a été débaptisée il y a vingt ans. Les centres culturels des ambassades sur le continent sentent le DDT et la vodka rance, entre leurs cours de russe déserts et la énième expo fanée sur Pouchkine, sa vie, son oeuvre et son bisaïeul kotoko du Nord-Cameroun. Mais Moscou a Vladimir Poutine, l’homme qui a promis de "buter les terroristes jusque dans les chiottes". Quand le FMI vous gourmande pour vos gaspillages et que John Kerry vient vous sommer de renoncer au pouvoir à durée indéterminée, se repasser du Poutine en boucle, ça vous remonte le moral !
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