Le roman de la malice
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Alain Mabanckou
Alain Mabanckou est écrivain et professeur de littérature francophone à UCLA (États-Unis). Depuis 2016, il occupe la chaire de création artistique au Collège de France.
Publié le 21 mai 2014 Lecture : 2 minutes.
Depuis la parution des Vertus immorales (Gallimard, 2009), qui narraient les aventures d’un Marocain du XVIe siècle fasciné par Marco Polo et parti à la découverte du Nouveau Monde, Kebir Mustapha Ammi est devenu incontestablement le plus grand conteur des « impostures » qui ont marqué l’histoire du Maghreb et, par ricochet, celle de ceux qui, de près ou de loin, sont entrés en contact avec cette région. Nous avions déjà célébré ici l’un de ses romans, Mardochée (Gallimard, 2011), dans lequel il laissait parler un vieux Juif au seuil de la mort narrant les dessous de l’un des derniers épisodes de la conquête coloniale française.
Dans son dernier roman, Un génial imposteur, Kebir M. Ammi présente un autre personnage historique atypique, un vrai chantre de la tromperie dénommé Shar. Le père de ce dernier fut partisan de l’indépendance de l’Algérie et mutilé pendant le massacre de Sétif, lui qui avait pourtant combattu aux côtés de la France durant la Seconde Guerre mondiale. Shar, qui n’a pas connu une enfance de tout repos, aura donc grandi sous le signe du malheur de l’ascendance, et sa propre vie sera ponctuée d’errances, d’incarcérations et de rencontres douteuses. Il quittera précipitamment l’Algérie, se retrouvera en Europe, en Asie ou encore en Amérique latine, s’accointant avec des organisations de mercenaires.
Son retour en Algérie en 1954 le catapulte en héros avec sa troupe de maquisards. L’homme connaît une ascension extraordinaire qui le propulse au sein du nouveau gouvernement. Sa vraie nature reprend le dessus, il retourne une fois de plus sa veste et se met aux côtés de la France, considérée pourtant comme l’ennemi. On le retrouvera ensuite parmi les membres de l’Organisation armée secrète (OAS) avant qu’il ne se positionne pour l’indépendance de l’Algérie !
Un génial imposteur est le roman de la malice – comme le fut L’Étrange Destin de Wangrin, d’Amadou Hampaté Bâ, dont le personnage principal avait toujours un tour dans son sac. Avec la même acuité du regard et la même élégance d’écriture que le grand écrivain malien, Kebir M. Ammi nous livre une fiction de haute facture et pleine de rebondissements. La forme « tentaculaire » du roman et les voix multiples lui donnent une singularité particulière.
Au fond, Les Vertus immorales et Mardochée forment désormais avec Un génial imposteur un triptyque solide qui raconte une autre Afrique, celle dessinée par des personnages marginaux, à la lisière du culot, et pourtant grandioses même dans leur immoralité !
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