À Mombasa, le thé noir se négocie à prix d’or
Première place d’échange du thé noir du globe, Mombasa est le centre névralgique de la filière pour toute l’Afrique de l’Est. Si le Kenya en est le premier exportateur mondial, la production rwandaise, d’excellente qualité, se vend désormais à prix d’or.
À Mombasa, les lundis et mardis sont des jours chargés pour les courtiers de la puissante Association est-africaine du commerce du thé (EATTA). Intermédiaires entre les producteurs de la région – qu’ils représentent – et les acheteurs internationaux, ils mettent aux enchères des thés venus de toute l’Afrique de l’Est.
La vente se fait encore à l’ancienne, sous les boiseries de la salle des ventes de l’association, installée au centre de la ville portuaire kenyane depuis 1956. Tour à tour, chacun propose un prix pour un lot, et l’adjuge avec le traditionnel coup de marteau au mieux-disant des 75 acheteurs agréés. Parmi eux, les représentants des plus grandes maisons de thé – Unilever, Twinings, James Finley, Mc Leod Russel et Tata – qui totalisent à elles cinq environ 40% du volume vendu.
Mombasa : plaque tournante
« Mombasa est devenue la plaque tournante du thé africain après 1999, date de la fermeture de la place de Londres, trop éloignée des centres de production, explique Bryan Ngwiri, directeur du marketing de l’EATA. Elle a entrainé une relocalisation des achats des grands négociants dans les bourses d’échanges du globe plus proches des plantations et usines. Celle de Mombasa a pris naturellement de l’importance : c’est ici qu’est embarquée la quasi-totalité du thé est-africain, qui y arrive par train ou camion », ajoute-t-il.
Le Kenya est depuis des décennies le premier exportateur mondial de thé noir. En 2012, il détenait 24% du négoce mondial devant le Sri Lanka (17%). La Chine et l’Inde en sont les premiers producteurs du globe -respectivement de thé vert et de thé noir -, mais ils consomment tous deux l’essentiel de leur production. Jadis l’apanage des grands commerçants et planteurs anglais, qui ont lancé l’industrie, la filière est aujourd’hui menée par des professionnels africains, même si les capitaux des plantations, brokers et maisons de négociants restent majoritairement détenus par des groupes basés à Londres, en Inde ou au Pakistan.
Qualité
Le thé kenyan représentait 75% des volumes vendus à Mombasa en 2012, mais la proportion de ceux venus d’Ouganda (15% ) et du Rwanda (6%) est en constante progression. « L’année 2012 a été bonne, reconnaît Brian Ngwiri. A Mombasa, la valeur des transactions a atteint 1,25 milliards de dollars pour 33 000 tonnes de thé. Cela représente 25 millions de dollars vendus chaque semaine ! Auparavant le Rwanda et l’Ouganda préférait vendre de gré à gré, c’est en train de changer ! », se réjouit-il, pariant sur une meilleure intégration régionale. En 2013, les prix de ventes moyens à Mombasa sont restés stables entre 2 et 3 dollars le kilo. Une belle performance compte-tenu de la croissance des volumes échangés.
En Afrique de l’Est les plantations se sont agrandies de 170 000 hectares. De 2003 à 2012, la production du Kenya a progressé de 27%, celles de l’Ouganda de 61%, et du Rwanda de… 67%. Le pays des mille collines est d’ailleurs celui où les prix atteignent des sommets aux enchères de Mombasa : « 5,4 dollars – un record – le kilo pour un thé des plantations rwandaises de Kitabi, sur les rives du lac Kivu », relève Ngwiri.
Dans ce contexte favorable, les 10 maisons de courtages agréées de Mombasa prospèrent. Chacune d’entre-elles a vendu plus de 100 millions de dollars de thé en 2013. Elles reçoivent une commission de 0,75% auprès du producteur, et de 0,5% auprès de l’acheteur. Ce dernier a 9 jours pour payer le thé au courtier après la vente aux enchères. D’après les standards de l’association, il ne doit pas s’écouler plus de 40 jours entre la date d’achat à Mombasa et la livraison. » Il est très difficile d’être agréé par l’EATTA, rappelle Brian Ngwiri. Les sommes en jeu sont considérables et engagent notre réputation. En 2005, la place de Mombasa a souffert d’une désaffection après qu’un courtier ait fui la ville. Cela ne doit pas se reproduire », martèle-t-il.
Dégustation
A 500m de la salle des ventes, dans les bureaux Combrock, quatrième maison de courtage de Mombasa, une dizaine de préparateurs s’activent pour préparer la salle de dégustation : « Chaque jour, je teste 70 lots. Ils nous parviennent par paquets de 4 kilos envoyés par les plantations. Nous regardons la granularité du thé, la consistance des feuilles après infusion, la couleur de la boisson et, bien sûr, nous la goûtons », explique Béatrice Muraguri, courtière chez Combrock, qui fait visiter les lieux.
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Née dans la région théicole de l’Ouest du pays et formée à la dégustation à Londres, cette Kényane expérimentée connaît toutes les ficelles du métier : « Nous représentons une vingtaine de producteurs, principalement du Kenya, du Rwanda et de l’Ouganda, et plus rarement, de Madagascar. Nous consultons les représentants des négociants présents à Mombasa, et nous fixons un prix au catalogue de la salle des ventes de l’EATTA. Et nous envoyons également un rapport mensuel à tous nos planteurs et usines en vue d’améliorer leurs production », précise-t-elle.
Label « Rwanda »
Comme Brian Ngwiri, elle aussi ne tarit pas d’éloges pour le thé rwandais : « Les feuilles sont plus claires, son infusion a une couleur rousse, mais beaucoup de goût, quand le thé kényan, coupé plus épais, est plus foncé », estime-t-elle. Une appréciation qui ravit le directeur commercial pakistanais d’une plantation basée à Gisenyi, en visite dans les bureaux de Combrock. « La qualité rwandaise est reconnue, et nous continuons à l’améliorer, notamment en écoutant les conseils de nos courtiers », se félicite-t-il.
« Les producteurs rwandais aiment mettre en compétition deux courtiers, ce qui leur permet souvent d’obtenir de meilleurs prix et conseils », observe Béatrice Muraguri. La filière africaine du thé doit encore relever plusieurs défis. D’ici deux ans, toutes les transactions doivent être informatisées, pour améliorer la traçabilité et la rapidité des ventes.
L’EATTA souhaite aussi optimiser sa logistique : « Nous attendons beaucoup des projets ferroviaires partant d’Ouganda et du Rwanda jusqu’à Mombasa, qui devraient nous permettre de réduire les délais d’acheminement. Nous espérons aussi une amélioration des performances portuaires de Mombasa et une diminution de la piraterie au large des côtes somaliennes », indique Brian Ngwiri, confiant dans la capacité de son industrie à se structurer pour continuer à prospérer.
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