Maroc : un café avec Saïd Naciri, président du Wydad Athletic Club
À la tête du Wydad depuis huit ans, Naciri est un taiseux, allergique à toute forme de communication publique. Pour Jeune Afrique, il s’est pourtant prêté au jeu. Rencontre.
Dans l’univers du football marocain, Saïd Naciri est un président de club clivant. Tout le monde a un avis tranché sur lui. Il y a les inconditionnels, supporters du Wydad Athletic Club (WAC) depuis le berceau, convaincus que Naciri est le « grand manitou » de la remontada du club en Afrique ces dernières années.
Et puis, il y a les détracteurs – nombreux – révulsés par la supposée « omnipotence » du président, sa flopée de litiges et ce qu’il incarne : un enfant du Sud, né à Zagora en 1969, désormais homme d’affaires, élu régional, député et patron de l’un des plus grands club de foot au Maroc depuis 2014.
Dans son opulente villa du quartier Californie à Casablanca – « Calif » pour les initiés – située à côté de celle d’Aziz Akhannouch, l’actuel chef du gouvernement, c’est une certaine idée de la réussite à la marocaine qui s’exprime : un mélange entre le penthouse new-yorkais de Donald Trump et n’importe quelle villa de Dubaï détenue par une vedette de téléréalité, le tout gardé par une ribambelle de jeunes gardiens. Saïd Naciri arrive à son propre rendez-vous avec vingt minutes de retard, souriant, simple, un peu méfiant.
Je n’aime pas communiquer, ce n’est pas mon truc
Entre la presse et Naciri, c’est loin d’être un long fleuve tranquille. En novembre 2020, une équipe de reporters de Chouf TV – connue pour ses méthodes peu orthodoxes –, a fait le pied de grue devant chez lui pendant plusieurs jours, caméra braquée sur sa porte d’entrée. « Ils sonnaient chez lui en pleine nuit pour lui demander des comptes sur des transferts de joueurs », raconte l’un de ses proches.
Au final, Naciri, connu pour son tempérament bouillonnant, a cassé la figure à l’un des journalistes. Interrogé sur le harcèlement dont il a été victime, le boss du WAC affirme qu’il est passé à autre chose : « Je suis le président d’un très grand club, alors je dois accepter et assumer les critiques. J’ai oublié ce qu’il s’est passé avec Chouf TV, j’ai commis une faute. Je n’aime pas communiquer, ce n’est pas mon truc. »
Apéros zoom
C’est d’ailleurs le but de sa rencontre avec Jeune Afrique : communiquer et éteindre les différentes polémiques à son sujet, notamment sa gestion du club, sur le conseil de ses proches. Mais Saïd Naciri n’est pas à l’aise dans l’exercice, qui semble l’ennuyer profondément. C’est aussi un politicien, membre du Parti Authenticité et Modernité depuis sa création en 2008, très ami avec l’ex-secrétaire général du PAM, Ilyas El Omari, au point d’avoir enchaîné avec lui les fameux « apéros zoom » du confinement de 2020.
Par conséquent, Naciri maîtrise l’art de la langue de bois. Sur le fait d’incarner une nouvelle génération de président de club de première division, hors du giron de l’armée et qui n’est plus nommée par le Palais, il répond évasivement : « On est tous des Marocains, sur un pied d’égalité, qualifiés pour prendre des responsabilités. Il y a un grand changement, le Maroc bouge et continue d’évoluer sur le plan démocratique, ça influence même le sport. »
Naciri, Tapie, même combat ?
Quant à lui, qui n’a jamais eu d’expérience sportive avant le Wydad, il évoque le « hasard » avant de concéder : « Je suis un supporter du WAC depuis mon enfance, j’étais proche des dirigeants du club. J’ai d’abord été vice-président du Wydad sous Abdelilah Akram, et quand il a été destitué, j’ai pris la présidence de façon démocratique. Bien sûr, le fait d’être influent en politique et dans le business, ça aide. »
J’ai bien le temps de rencontrer Jeune Afrique
Enfin, lorsqu’on l’interroge sur sa capacité à mener de front toutes ses activités (promotion immobilière, média, partie visible de l’iceberg d’un empire financier estimé à plusieurs centaines de millions de dirhams) et ses différents mandats politiques (député, président du conseil préfectoral de Casablanca), le président botte en touche et répond, façon parrain Don Corleone : « J’ai bien le temps de rencontrer Jeune Afrique », avant de se ressaisir et de glisser un petit mot – qui fait bien – sur « l’égalité homme-femme ; le cheval de bataille du PAM ». Et si l’on ose faire la comparaison avec Bernard Tapie, il rétorque laconiquement : « Je suis Saïd Naciri. »
Premier pourvoyeur de fonds du WAC
En revanche, sur les dossiers brûlants, le président joue le jeu. Après huit ans à la tête du WAC, et de nouvelles élections prévues pour l’été 2022 (Naciri lâchera la section foot mais continuera de présider WAC Omnisport), l’heure est au bilan :
« Le club avait déjà tout gagné avant que je n’arrive à la présidence. Au cours des sept dernières années, on a réussi à se hisser à l’avant-garde des clubs marocains et africains : plusieurs demi-finales de la Champion’s League africaine, un trophée en Ligue des champions, un autre en Super League. Maintenant, il faut répondre aux vrais besoins des supporters : la restructuration du club, les finances, les infrastructures… Plusieurs sections sportives ont lancé leur direction, on construit beaucoup de salles pour le handball, la boxe, le taekwondo, on a un club omnisports en construction. Nous avons pris un peu de retard, mais on accélère pour progresser. »
Naciri est un homme rugueux, sanguin, qui a beaucoup de mal à déléguer
Concernant les finances justement, la majorité des clubs de foot de la Botola (le championnat du Maroc de football) sont régulièrement critiqués pour leur opacité. En 2011, l’inoxydable patron du football marocain, Faouzi Lekjaâ – très proche de Naciri – a promulgué une loi stipulant la transformation des clubs de foot (qui étaient auparavant des associations) en sociétés. La section foot du WAC est l’une des rares à avoir passé le cap en 2018, mais 99,9 % de ses actions sont toujours détenues par l’association.
« C’est à cause des remarques sur la transparence financière qu’on a créé cette société. Je suis prêt à ce qu’un expert indépendant vienne faire un audit pour voir s’il y a des failles dans les comptes, une mauvaise gouvernance. Au niveau du WAC, on a toujours publié notre bilan financier », se défend Naciri.
« Évidemment, on ne peut pas nier que nous sommes en crise avec la pandémie. C’est moi le responsable et je vais régler ça. » Responsable et généreux donateur : lorsqu’il était vice-président du club, Saïd Naciri avait l’habitude d’offrir 2,5 millions de dirhams tous les ans. En 2022, pour équilibrer les comptes, il a fait un don de 21 millions de dirhams.
Des dizaines d’affaires
Certains le considèrent comme un homme providentiel, mais c’est aussi à cause de lui que le club est empêtré dans des dizaines d’affaires auprès des instances nationales et internationales de football. Au début de l’année, le Wydad a été interdit de « mercato hivernal » par la Fifa, qui l’a aussi sommé de s’acquitter d’une amende de 10 millions de dirhams.
En cause, des paiements non versés à l’adresse de plusieurs joueurs, tous étrangers : William Jebor, Alejandro Quintana et Joel Madondo. Saïd Naciri est formel : « On va payer et tout cela va s’arranger. Même avec William Jebor. » Un clin d’œil au joueur libérien dont la bataille juridique avec son ancien club a été rude.
Naciri est un homme rugueux, sanguin, qui a beaucoup de mal à déléguer. En 2020, peu de temps après avoir quitté le club, l’entraineur Houcine Ammouta, a dit dans les médias qu’il avait appris son licenciement sur le site web du WAC. Résultat ? « Saïd a fait fermer le site ! », s’écrie un proche.
Dans la foulée, Ammouta a encaissé un chèque de plusieurs millions de dirhams. « Tout ce qu’il peut dire, c’est qu’il a gagné la Champion’s League avec le WAC. Je suis persuadé qu’il a gagné de l’argent qu’il ne mérite pas. Il doit remercier le club, qu’il a eu le privilège de servir et qui lui a donné sa carrière », lance un tantinet agacé Naciri.
Envergure nationale
Mais après tout, la remarque est aussi valable pour lui : sans le WAC, Naciri n’aurait probablement pas atteint cette envergure nationale. « C’est bien pour ça que je dis que le club nous donne beaucoup, et que je veux tout lui rendre. »
Une passion bien réelle, presque palpable ; il est tombé dans la marmite des « rouges » tout gamin, alors qu’il venait de débarquer dans un quartier populaire, Sidi Othman, à Casablanca, élevé par un père notable à la campagne, ferrailleur en ville.
Encore aujourd’hui, chaque match de son club est synonyme de stress intense : « Je ne peux pas rester dans le stade, c’est trop de pression, du coup j’y vais rarement », confie-t-il. Par contre « il appelle ses proches toutes les deux minutes pour savoir où on en est, quel joueur a fait quoi ; on sent l’angoisse dans sa voix, c’est à la fois touchant et hilarant », témoigne un ami.
Le rêve de Naciri ? « Que l’équipe nationale choisisse 24 joueurs du Wydad. » Pour l’instant, la sélection des Lions de l’Atlas en a retenu trois, un exploit parmi les clubs de la Botola.
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