Cameroun : on va faire comment ?
Florian Ngimbis est écrivain et blogueur.
Comment parler du Cameroun quand on est trentenaire ? Pour moi, tout a commencé en 1983. J’ignorais alors que j’étais déjà dans un film dont je n’étais ni le scénariste ni le héros, juste un figurant destiné à boucher les trous d’un casting mal effectué.
Enfance heureuse. On surfe sur la vague des promesses d’un régime qui vient de succéder au "dictateur" Ahidjo. Un slogan est censé réguler la nouvelle ère : "Rigueur et moralisation". La grande promesse, le grand rêve. Tout va bien dans le meilleur des mondes.
Viennent les années 1990. On nous explique qu’à cause d’une décision des "bailleurs de fonds", notre monnaie doit être dévaluée. Du jour au lendemain, nous voilà passés de la classe moyenne à celle des moins nantis. Ou comment devenir pauvre en une seule nuit. Exit les habitudes de riche, on mange une fois par jour, on va à l’hôpital quand on est à l’article de la mort, on oublie la signification des mots "assurance" ou "vacances". À la vie se substitue la survie, rythmée par cette phrase désormais entrée dans le quotidien : "On va faire comment ?" Une phrase qui porte en elle la résignation de tout un peuple devant son rêve brisé.
Il y a pourtant cette rage qui monte, lentement, doucement, aussi inéluctable que la marée. Rage de voir ces grumes quitter le pays à peine transformées. Rage de voir ce cacao acheté à vil prix partir vers des confiseries helvétiques, où il crée des emplois. Rage d’un pays dont la richesse ne parvient à ses enfants que sous forme de miettes tombées de la table du banquet.
Trente et un ans plus tard, les acquis sont là. Paix, matières premières, main-d’oeuvre qualifiée, population jeune. Mais tout est vicié. À défaut de reconstruction, il faut tout repeindre. Ainsi naissent les "grandes ambitions", puis les "grandes réalisations", vision politique d’un régime "démocratique" vieux de trois décennies.
Paix, travail, patrie : devise si chère à nos coeurs. La paix. Absence de guerre, oui, mais les chiffres montrent un pays dévasté par le paludisme, la mortalité infantile, les accidents de la route… Le travail, cette denrée si rare. Les taux de chômage inavouables, savamment maquillés grâce au secteur informel. Métiers précaires, sans plan de carrière. La patrie, cette terre qu’on aime mais que beaucoup veulent quitter à tout prix, car ils pensent qu’elle ne peut rien leur donner.
Mais tout n’est pas noir, hein ? Le Cameroun est une terre d’espoir. Les Camerounais ne sont pas perdus. En 2035, mes amis, nous verrons le bout du tunnel. En 2006, grâce à des serrages de ceinture, nous avons atteint ce fameux point d’achèvement de l’initiative PPTE [en faveur des pays pauvres très endettés]. Depuis, le but ultime de notre développement c’est l’"émergence". Pas besoin de savoir ce qui se cache derrière, le mot en lui-même dit tout le bien que l’on en pense. Davantage de barrages hydroélectriques en 2035, l’anophèle femelle, vecteur du paludisme, vaincu ! Le miracle du robinet qui laisse couler un filet d’eau quand on tourne le pommeau, effectif. Oui, en 2035, les écoles cesseront d’être des dons japonais, les routes seront construites par des Camerounais et non par des Chinois. En 2035, nous aurons des salles de cinéma dans un pays qui n’en compte pour l’heure aucune. Nous aurons des rues portant les noms des héros locaux et non ceux des colons d’hier.
2035 : une date que nous autres trentenaires ne sommes pas certains de voir, puisque l’espérance de vie est inférieure à 55 ans. Non, je ne suis pas pessimiste, non je ne caricature pas les faits, je ne grossis pas non plus le trait. Je crie ma colère de devoir passer les meilleures années de ma vie dans un carcan de pauvreté quand tout me prédispose au bonheur. Être prisonnier n’est déjà pas facile, mais l’être au paradis l’est plus encore. Et je l’affirme, le Cameroun, cette Afrique en miniature, a tous les atouts pour être un jardin d’Éden tropical.
Comme beaucoup d’autres, je contribue au rêve camerounais en donnant de ma sueur, de mon sang. Je m’accroche en rêvant de 2035 et de ses promesses de félicité. Sauf que dans mes cauchemars, je vois un 2035 où le concept d’émergence pourrait n’être que le nouveau nom de la pauvreté. Bon, restons optimistes. Mais on va faire comment ?
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