Turquie : Ahmet contre Goliath
Le 2 mai, le journaliste Ahmet Sik a reçu le Prix mondial de la liberté de la presse. Un pied de nez à la politique répressive d’Erdogan.
Il voulait devenir avocat, mais, un peu par hasard, il a trouvé sa voie. Le journalisme. Un métier à risque en Turquie. "Dans les années 1990, quand le régime était dominé par les militaires, on me traitait de terroriste et, menacé par la police, j’ai dû me réfugier à Paris pendant dix mois ; aujourd’hui, sous l’AKP [islamiste], on me traite aussi de terroriste", confie Ahmet Sik. À 44 ans, ce Stambouliote natif d’Adana (sud du pays), réputé pour ses talents d’enquêteur, a reçu, le 2 mai à Paris, le Prix mondial de la liberté de la presse Unesco-Guillermo-Cano, qui distingue chaque année une personnalité "ayant apporté une contribution notable à la défense de la liberté d’expression".
Un camouflet pour la "démocratie musulmane" de l’AKP, qui figure en 154e position sur 180 pays dans le classement mondial 2013 de Reporters sans frontières et où Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre, a bloqué l’accès à Twitter et YouTube au moment où lui et ses proches étaient soupçonnés de corruption.
"Dans un pays où les violations des droits de l’homme sont fréquentes, le journalisme sert à revendiquer ces droits et à critiquer l’action des gouvernements successifs. Mais quand on critique la violence d’État, on en devient la victime", souligne Sik. Bien qu’il ait dédié son prix à ses confrères emprisonnés et ne s’épanche jamais sur ses propres souffrances, le journaliste sait de quoi est capable un "régime qui devient de plus en plus fasciste". En mai 2013, son visage ensanglanté avait fait la une des quotidiens après qu’il eut été molesté par la police lors du mouvement de protestation de Gezi, à Istanbul. Avant cela, en mars 2012, c’est ce même visage, fatigué mais radieux, qui était apparu sur les écrans de télévision : il venait d’être libéré après avoir passé treize mois en prison. Une peine qu’il attribue à ses enquêtes sur la confrérie de l’imam Fethullah Gülen, naguère alliée de l’AKP. Il en explorait les réseaux tentaculaires dans le monde entier, la structure et les finances opaques. Surtout, il dénonçait son entrisme, inquiétant selon lui, dans les rouages de l’État : police, armée, services secrets et justice.
>> Lire aussi : Turquie : police de la pensée
La police détruit tous les fichiers contenant son manuscrit
En mars 2011, lors de plusieurs perquisitions, la police détruisait tous les fichiers informatiques contenant son manuscrit, L’Armée de l’imam, avant même sa publication. Et le journaliste était incarcéré. Son "crime" supposé ? être membre du gang Ergenekon – une organisation soupçonnée de complot contre le gouvernement et dont il avait pourtant contribué à dévoiler l’existence !
Exclu depuis 2007 des médias à grande diffusion, Sik est parvenu à publier L’Armée de l’imam sous un autre titre, Le Livre000. Il donne aujourd’hui des cours à l’université Bilgi d’Istanbul, travaille pour le quotidien BirGün et surtout à son prochain livre, qu’il espère voir publié en anglais : le fruit de ses enquêtes sur la guerre que se livrent l’AKP et la confrérie Gülen, désormais ennemis.
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