Monarchies du Golfe : dégel dans le désert

Sous la pression de ses voisins, irrités par son activisme, le Qatar multiplie les gestes de bonne volonté. Pas question, en revanche, de céder aux diktats saoudiens.

Salman Ibn Abdelaziz Al Saoud, ebtouré de l’amir du Koweït (g.) et de Tamim, émir du Qatar. © AFP photo/SPA

Salman Ibn Abdelaziz Al Saoud, ebtouré de l’amir du Koweït (g.) et de Tamim, émir du Qatar. © AFP photo/SPA

Publié le 23 mai 2014 Lecture : 4 minutes.

Il ne fait pas encore l’objet d’un culte aussi fervent que Moussa Sadr. Mais, depuis fin mars, il offre au Qatar une autre version (sunnite) de l’imam occulté. Jusque-là habitué de la mosquée Omar Ibn al-Khattab, à Doha, le cheikh Youssef al-Qaradawi n’est plus apparu au minbar pour le traditionnel prêche du vendredi. Le 2 mai, c’était la dixième absence de suite. À 87 ans, ce théologien d’Al-Azhar, président de l’Union internationale des oulémas musulmans, est au centre d’une crise diplomatique sans précédent entre l’Arabie saoudite et le Qatar. Ce dernier a offert à ce trublion un confortable asile et surtout la nationalité qatarie depuis qu’il a été banni d’Égypte par Nasser en 1961 pour son soutien aux Frères musulmans, dont il est toujours considéré comme l’un des principaux idéologues. Le 5 mars, Riyad a rappelé son ambassadeur à Doha, immédiatement imité par les Émirats arabes unis et Bahreïn. À l’époque, le nom de Qaradawi était apparu très haut dans la longue liste de griefs adressés au régime de Tamim Ibn Hamad Al Thani, le jeune (33 ans) émir du Qatar. Son éclipse prolongée s’explique peut-être par la volonté d’apaiser le puissant voisin, mais cela suffira-t-il ?

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Le Koweït médiateur

Si la relation entre le poids lourd saoudien et le petit émirat gazier a longtemps été orageuse (conflit frontalier au début des années 1990, refus de reconnaître le pouvoir du prince Hamad quand il renversa son père Khalifa Ibn Hamad Al Thani, quasi-rupture des relations diplomatiques de 2002 à 2008), la constitution d’un front anti-Doha est inédite depuis la création, en 1981, du Conseil de co­opération du Golfe (CCG). Au sein de ce dernier, deux États ont pourtant résisté à la pression saoudienne : Oman, qui fait habituellement bande à part – le sultan Qabous a même menacé, fin 2013, de quitter le CCG si l’Arabie saoudite insistait pour accélérer le projet d’union politique entre monarchies du Conseil -, et le Koweït, qui a préféré jouer la carte de la neutralité, proposant immédiatement ses services de médiateur entre "frères voisins". Ces efforts ont visiblement porté leurs fruits. Et, contrairement aux rumeurs pointant des médiations algérienne ou marocaine, le linge sale a été lavé en famille.

Tard dans la soirée du 16 avril, un communiqué officiel du CCG annonçait la conclusion d’un accord-cadre aux termes duquel les six pétromonarchies de la péninsule s’engagent collectivement ne pas porter atteinte aux intérêts, à la sécurité, à la stabilité et à la souveraineté de l’un ou l’autre des pays membres". Les détails de ce plan n’ont certes pas été clarifiés publiquement et renvoient à l’application de l’accord de Riyad du 23 novembre 2013. Ce jour-là, en présence de ses aînés, Abdallah d’Arabie et Sabah du Koweït, Tamim se serait engagé à ne plus s’immiscer dans les affaires internes de ses voisins. Si le document de Riyad est resté secret, diverses indiscrétions permettent d’entrevoir les contours du compromis du 16 avril. Il est certain que les trois États, ostensiblement poussés par l’intransigeance du ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al Fayçal, ont exigé que le Qatar respecte ses engagements avant tout retour des ambassadeurs rappelés.

Un "bizutage" de l’émir Tamim

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Signe que la confiance n’est pas encore revenue, la plus grande parade militaire de l’histoire de l’armée saoudienne (baptisée le "Glaive d’Abdallah" : 130 000 hommes, tanks, jets et même, pour la première fois, des missiles balistiques chinois DF-3) s’est déroulée en présence du roi de Bahreïn, du prince héritier émirati, du ministre koweïtien de la Défense et… du chef d’état-major de l’armée pakistanaise. Nulle trace, en revanche, d’un dignitaire qatari. À en croire la presse pro-saoudienne, Doha se serait pourtant engagé à expulser les Frères musulmans accueillis sur son territoire, à mettre un terme à l’activité de centres de recherche (Rand et Brookings) sur son territoire, à museler, enfin, sa chaîne Al-Jazira, principal vecteur d’influence médiatique. La réalité est certainement plus nuancée.

Dès le lendemain de l’accord, des sources qataries assuraient qu’elles n’accepteraient aucun diktat. C’est là le noeud du différend avec Riyad. L’Arabie saoudite, qui a aussi été une terre d’accueil pour les Frères musulmans dès le milieu des années 1950, se sent menacée depuis les années 1990 par une contestation interne retournant contre les Saoud l’arme de la religion. Sous la direction de l’émir Hamad Ibn Khalifa et de son cousin Hamad Ibn Jassem, le Qatar est alors devenu la nouvelle Mecque des Frères. Cette stratégie est jugée hostile par les Saoudiens. De leur côté, les Qataris s’agacent de la posture de grand frère de leur gigantesque voisin. Pour la chercheuse Fatiha Dazi-Héni, les récentes poussées d’autoritarisme de Riyad s’apparentent à un "bizutage" de l’émir Tamim. Lui dont le père se targuait d’aimer les lettres françaises devrait méditer ces mots de La Fontaine : "La jeunesse se flatte et croit tout obtenir ; la vieillesse est impitoyable."

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