Abdel Alaoui, né dans une cuisine : « Je suis tombé dedans à la naissance »

Le chef marocain, qui interviendra bientôt dans l’émission La nuit du ramadan sur France 2, se raconte en recettes et en souvenirs.

Le chef cuisinier bdel Alaoui. © Pierre-Olivier pour JA

Publié le 1 avril 2022 Lecture : 7 minutes.

D’aussi loin qu’Abdel Alaoui se souvienne, il a toujours été commis de cuisine. Petit déjà, il épluchait des légumes dans les jupes de sa mère. « J’étais très gourmand, alors je restais près d’elle », sourit-il, cassettes VHS à l’appui en guise de preuve. Il a 7 ou 8 ans quand il se dit que la nourriture est une passion : « Mes potes adorent le foot et moi, ce que j’aime, c’est couper les carottes pour le couscous de ma mère », raconte-t-il souvent.

Traditionnellement, au Maroc, la chère est plutôt « l’affaire des femmes qui éduquent les enfants et restent à la maison », note-t-il, si bien qu’il s’est régulièrement demandé comment les fourneaux avaient pu prendre une telle place dans sa vie.

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Ce n’est que récemment qu’il a trouvé la réponse : il a appris, un peu par hasard, que la cuisine était la pièce de la maison dans laquelle il avait vu le jour. C’est sa grand-mère qui a accouché sa mère et pour y voir clair, il lui fallait un support surélevé : le plan de travail a été choisi pour la délivrance. C’était à Oujda, au Maroc, en 1979. « En fait, je suis tombé dedans à la naissance », plaisante le chef, aujourd’hui chroniqueur chez France Télévisions.

Gratin dauphinois au cumin

Il a 3 ans quand toute la famille s’installe en France. Ce qu’il raconte de son enfance, c’est ce qu’on trouve dans les assiettes de la tablée familiale : surtout du marocain. Mais « avec la parabole, ma mère regarde des chaînes culinaires et commence à mélanger les traditions », se souvient-il.

La cuisine de sa mère est une madeleine de Proust

À l’école, quand il revient du déjeuner, Abdel demande à ses copains ce qu’ils ont mangé chez eux, au déjeuner : « Je demandais tous les jours, ils me le rappellent encore aujourd’hui ! », rit-il. Leurs réponses sont autant d’idées de commandes à passer à sa mère, qui contribuent à diversifier les menus des Alaoui. Vers 11 ou 12 ans, il déguste son premier gratin dauphinois, mais toujours avec une touche marocaine, un peu de cumin en l’occurrence.

La cuisine de sa mère est une madeleine de Proust. « Je viens de passer quelques jours avec mes parents à Marrakech, ville qui regorge d’adresses superbes où manger, mais ce que je voulais c’était son tajine de cardons aux olives ». « Spoiler… C’était délicieux ! » signale-t-il avec un clin d’œil.

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Référence sacrée

Ces précieuses recettes sont prisées de toute la fratrie d’Abdel qui réclame le partage des secrets maternels : « Elle nous envoie des heures de notes vocales sur WhatsApp pour nous expliquer tous les détails », raconte le fils devenu chef.

Le couscous est vraiment son plat signature. « Elle en fait deux, un aux fèves avec du lait et de la semoule complète, l’autre avec de la semoule moyenne, du poulet ou de l’agneau et des carottes, courgettes, choux, navets ». Elle ne pèse, ni ne mesure rien et c’est chaque fois précisément le même, comme si le proverbe « ton œil est ta balance » avait été écrit pour elle. Malgré la carrière fulgurante et la longue liste d’expériences d’Abdel Alaoui en la matière, la cuisine de sa mère reste une référence sacrée.

C’est la hchouma, tu peux pas

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Avant de devenir le roi du métissage gastronomique, avant d’être un « chef comédien » capable de faire rire son audience en préparant un kebab végétarien, avant d’être entendu à la radio et de passer par les fourneaux de grands chefs comme Pierre Gagnaire ou encore Michel Rostang… Abdel Alaoui a dû convaincre ses parents.

« Ce n’était pas évident pour ma famille, on a grandi dans une ZUP [zone à urbaniser en priorité], les familles prêtent beaucoup d’importance aux regards des voisins et du reste de la famille. Au départ, on m’a dit “c’est la hchouma (la honte), tu peux pas”. Et puis, j’ai emmené mon père dans un restaurant étoilé, au Cazaudehore, il a vu des hommes en cuisine. Il a dit qu’il était d’accord », raconte-t-il.

S’il est plutôt branché par la carte française au départ, sa gastronomie est aujourd’hui le fruit d’un métissage, les traditions marocaines se dégustant par exemple chez lui sous forme de rolls qui évoquent des sushis, mais au goût de tajine.

Il s’apprête à publier un livre de recettes orientales, Choukran, aux éditions Marabout. Entre toutes ses activités, il a aussi plusieurs adresses parisiennes, dont Yemma. « Quand je l’ai ouvert, j’étais déjà passé par Londres où j’avais appris beaucoup de choses sur l’acidité. Alors j’ai conçu mon couscous en ajoutant des pickles d’oignons. Je fais aussi une compotée de raisins secs, d’oignons et de cannelle, et j’ajoute du piment à la semoule. » Sa signature de couscous, c’est celle-là.

Souvenirs de confinement

Ses trucs et astuces culinaires, Abdel les partage depuis des années sur des plateaux télé : dans l’Édition spéciale de Canal +, puis dans C à vous sur France 5, dans Bons baisers d’Europe avec Stéphane Bern, sur sa chaîne Youtube, Abdel Kook… Mais aussi dans les pages gastronomie du site féminin Elle, où l’on retrouve quelques souvenirs culinaires de confinement.

Chez lui, il élabore tout un tas de recettes sous les commentaires d’une petite voix en fond qui pose des questions, celle de Basile, son fils de 8 ans. « Il adore cuisiner avec moi », note son père. Les frichtis en famille ne se sont pas arrêtés à la génération d’Abdel, il les vit aussi avec ses deux garçons. Le plus petit, Lazare, est d’ailleurs « un grand gourmand », du haut de ses 3 ans.

Son fils fait ses propres expériences gastronomiques

« Pendant le confinement, je ne pouvais pas vraiment faire sans eux et je ne voulais pas me déconnecter de la cuisine et des gens. Basile participait en commentant la recette, en posant des questions, les spectateurs ont adoré. Quand j’ai repris tout seul après, on m’a dit que c’était dommage… » Ses fils l’accompagnent au marché, le grand fait ses propres expériences gastronomiques, « il prend des risques », admire le père qui précise quand même que ce n’est pas toujours bon.

Abdel s’étonne (et se réjouit) de voir de si petits enfants manger de tout, adorer le Roquefort, préférer « un camembert bien fait qui pue, alors que moi-même je ne peux pas », précise-t-il. Leur plat préféré à eux, c’est un poulet à la thaï, mariné dans du gingembre et de la citronnelle, de la sauce soja et de sésame, avant d’être grillé au four avec un riz cuisiné à l’indienne. Bien entendu, ils adorent le couscous, quand leur père s’y attèle, ils le repèrent, « ils savent qu’ils vont passer un bon moment », remarque-t-il, amusé.

Ramadan, Ukraine et toujours du couscous

Abdel participe cette année encore à l’émission La nuit du Ramadan, sur France 2, pendant laquelle il va préparer une chorba et des gâteaux, entre autres. « Je veux raconter, à travers ces plats, une gastronomie de partage. Une cuisine qui se fiche de savoir si la recette est plutôt originaire d’Algérie, du Maroc ou de Tunisie. Une cuisine que l’on trouve sur toutes les tables du ramadan, le soir, et qui réunit tout le monde. »

Il s’apprête lui-même à entamer son jeûne au mois d’avril et détaille ce qui régalera sa famille le soir. « La semaine, ce sera plutôt léger : thé à la menthe, une bonne soupe pour commencer, un sellou, genre de muesli à partir de miel, de graines de sésame, de cacahuètes, de farine torréfiée. Mais aussi des pâtisseries au miel ramenées de Marrakech, et des salades ! »

Le week-end, avec ses frères et sœurs, ils se réuniront comme le veut la tradition : « C’est très important pour nous, c’est ce qu’on aime, ce sont des souvenirs d’enfance inoubliables et on veut le faire perdurer pour nos enfants », raconte-t-il. Cette fois-ci, les repas seront plus musclés, « plus de comfort food, plus gras quoi ! » Des bricks à la viande et au thon frits, des beignets, des tajines, des couscous, bien sûr.

Pour ce mois de ramadan, Abdel a un autre projet de couscous sur le feu. Il s’apprête à partir pour Varsovie à la rencontre des réfugiés ukrainiens, « avec deux tonnes de semoule et une tonne de légumes, dans le but de cuisiner 5 000 plats sur place », détaille-t-il.
C’est un bon plat pour apporter un brin de réconfort, parce qu’il se partage
À chaque conflit, Abdel essaye de donner un coup de main, qui se transforme souvent en coup de toque. Il a contacté des chefs polonais avec qui il a gardé des contacts de voyages passés, ils ont répondu par la positive à cette initiative. Le couscous ferait partie des repas préférés des Polonais, a-t-il appris au passage. C’est un bon plat pour apporter un brin de réconfort, parce qu’il se partage. « La semoule a l’avantage de multiplier son grammage par trois une fois cuite, les légumes apportent des tas de vitamines, c’est un repas qui réchauffe. Je trouve que l’image du couscous qui voyage dans ces moments-là est belle », termine-t-il.

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