Présidentielle en France : Zemmour assimile les Sénégalais à des trafiquants, émoi à Dakar

L’émotion est vive au Sénégal après les propos tenus le 26 mars par le candidat d’extrême droite à l’élection française, à deux semaines du scrutin.

Éric Zemmour, invité de Morandini Live en direct de la porte de Porte de la Villette, le 25 mars 2022. © VSPress/SIPA.

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Publié le 28 mars 2022 Lecture : 4 minutes.

« Le Sénégal condamne avec la plus grande fermeté [l]es attaques irresponsables d’Eric Zemmour contre une communauté exemplaire pour son intégration et son respect des lois de la République française. » La réaction de Dakar ne s’est pas fait attendre après des propos injurieux tenus le 26 mars par Éric Zemmour lors d’une sortie médiatique sur CNews dans laquelle l’ancien polémiste de la chaîne d’information en continu assimile les Sénégalais à « des trafiquants » de drogue.

La scène s’est déroulée lors de l’émission « Morandini Live », du nom d’un des journalistes-vedettes de la chaîne, Jean-Marc Morandini, qui suivait en direct la descente sur le terrain du candidat d’extrême droite à la présidentielle française Porte de la Villette, un quartier du 19e arrondissement de Paris en proie à la délinquance et au trafic de drogue.

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« Racisme primaire »

Dans la séquence vidéo surréaliste qui a fait le tour des réseaux sociaux, on voit Éric Zemmour être interpellé par un habitant qui dénonce un campement de consommateurs et de vendeurs de crack. « Cela fait six mois qu’ils sont là, les gamins sont agressés et l’État, qu’est-ce qu’il fait ? Il regarde. […] Les gens, ils en ont marre, les commerçants en ont marre », lance l’homme. « Je suis d’autant plus d’accord avec vous que c’est pour ça que je viens. C’est pour ça que je dis que, moi, ces gens-là, je vais les renvoyer chez eux », répond Éric Zemmour.

Et d’insister ensuite en secouant la tête devant les objections de son interlocuteur sur le fait que les consommateurs en question sont tous Français et qu’il faut trouver des solutions alternatives. « Non, il faut une solution simple. Il faut que la police reprenne possession de cet endroit-là. Puis, il faut renvoyer tous les étrangers et tous les trafiquants. La plupart des trafiquants sont Sénégalais, clandestins et ils n’ont rien à faire ici. »

Cela dénote un acharnement obsessionnel de Monsieur Zemmour contre le Sénégal et sa communauté établie en France

Le lendemain, dans un communiqué publié sur Twitter, l’ambassadeur du Sénégal à Paris, El Hadji Magatte Seye, a dénoncé des « propos d’un racisme primaire incontestable [qui] relèvent d’une stigmatisation injurieuse portant gravement atteinte à l’honorabilité de toute une communauté sénégalaise ». « Cela dénote un acharnement obsessionnel de Monsieur Zemmour contre le Sénégal et sa communauté établie en France », ajoute le communiqué.

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Dans son communiqué, El Hadji Magatte Seye a annoncé que le Sénégal « engagera des actions idoines pour que Monsieur Zemmour, récidiviste en la matière, réponde des propos dégradants tenus dans un contexte de campagne électoral leur conférant un plus large écho ».

Le Pastef, parti de l’opposant Ousmane Sonko, a regretté, dans un communiqué publié ce 28 mars, l’absence de réactions de la part du président sénégalais Macky Sall et d’Aissata Tall Sall, ministre des Affaires étrangères. Le parti exige que l’ambassadeur du Sénégal « soit mandaté dans les meilleurs délais auprès des autorités françaises compétentes pour porter les contestations de l’État du Sénégal ainsi que pour obtenir « des excuses publiques de Monsieur Zemmour au peuple sénégalais ».

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Une communauté déjà ciblée

Ce n’est pas la première fois que le polémiste s’en prend à la communauté sénégalaise. Le 13 mai 2021, déjà sur CNews, dans l’émission « Face à l’info » à laquelle participait régulièrement l’éditorialiste, il avait affirmé que « tous les trafiquants de crack sont Sénégalais ». Cette fois-là, Dakar avait réagi aux propos « stigmatisants » d’Éric Zemmour en adressant un courrier signé d’Abdoulaye Diop, le ministre de la Communication, au groupe Canal+, détenu par Vincent Bolloré et dont fait partie CNews. Le ministre protestait « face à l’absolution dont bénéficie » l’ancien journaliste, qui a fait de l’immigration le sujet phare de son programme de campagne électorale.

« L’immigration, c’est la mère de toutes les batailles. C’est pour ça que nous avons une délinquance aussi explosive. Avec l’immigration zéro, il n’y aura quasiment plus de délinquance, j’en suis sûr », avait clamé Zemmour en janvier, fidèle à sa rhétorique selon laquelle les migrants sont responsables de tous les problèmes de la France.

Le même mois, le candidat d’extrême droite avait été condamné à 10 000 euros d’amendes pour complicité de provocation à la haine raciale et injure raciste pour des propos, tenus toujours sur CNews, en septembre 2020.  Il avait alors affirmé que les migrants mineurs isolés étaient des « voleurs, assassins, et violeurs ».

Marchandises électorales

À deux semaines de la présidentielle française, la sortie d’Éric Zemmour ne surprend par Boubacar Seye, président de l’ONG Horizons sans frontières, basée à Dakar. « L’islam et l’immigration extra-européenne sont devenus des marchandises électorales dans un pays comme la France, terre d’immigration depuis la seconde moitié du 19e siècle, affirme-t-il. Ces thématiques sont mises au banc des accusés pour permettre aux politiques de gagner des voix. C’est assez inquiétant. Parce que la mondialisation consacre aujourd’hui le culte de la diversité. »

Ce spécialiste des questions migratoires déplore que les propos de l’ancien polémiste, lui-même issu d’une famille juive d’Algérie, n’aient pas été plus fortement dénoncés par la classe politique française. « Tout ce que dit Éric Zemmour arrange bien Valérie Pécresse ou Emmanuel Macron. Il ne fait que le sale boulot. Cela doit cesser. »

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