Djibouti : pourquoi l’ex-ministre du Budget a été incarcéré
La justice a ordonné, le 23 mars, le placement en détention provisoire d’Abdoulkarim Aden Cher, accusé de corruption passive et de détournement de fonds. Son entourage dénonce un procès politique.
Le 23 mars, l’ex-ministre du Budget, Abdoulkarim Aden Cher (AAC), a été incarcéré à la prison de Gabode. La date de son procès n’a pas encore été fixée, mais d’autres membres du ministère, tels que le trésorier et le secrétaire général des finances, ont également été arrêtés.
Nommé en 2019, l’ancien responsable à Djibouti du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs de l’Union africaine avait été interpellé une première fois, avant d’être relâché le 7 mars et placé sous contrôle judiciaire. Il a donc été à nouveau incarcéré à la suite d’une décision rendue par la Cour d’appel. Celle-ci avait été saisie par la procureure de Djibouti, qui réclamait l’annulation de la remise en liberté.
Abdoulkarim Aden Cher avait été été démis de ses fonctions dès le début du mois de janvier, après la publication d’un rapport interne du ministère faisant état de soupçons de fraudes et de conflits d’intérêts. Mais c’est à la suite d’un rapport détaillé de l’Inspection générale de l’État et d’une enquête de la gendarmerie nationale mettant en évidence une dilapidation du budget qu’un mandat d’arrêt a été émis contre lui.
D’importantes sommes
À en croire l’accusation, il aurait utilisé à de multiples reprises son statut pour attribuer à des proches des contrats, et notamment des commandes de matériel ou d’opérations de maintenance, sans qu’aucune preuve de prestation n’ait pu être apportée. Il aurait également outrepassé sa fonction pour contourner la Commission des marchés, chargée d’examiner les contrats supérieurs à 5 millions de francs djiboutiens (environ 25 000 euros).
Le ministre se savait sur la sellette mais aurait tenté de profiter au maximum de sa position
Les perquisitions à son domicile n’ont pas abouti à la saisine d’importantes sommes d’argent. Le grand coffre-fort retrouvé chez lui contenait approximativement un million de francs djiboutiens, un montant relativement modeste au vu des accusations qui pèsent sur lui. Selon une source judiciaire proche du dossier, c’est sur les comptes bancaires de certains proches et membres de sa famille qu’ont été identifiées et saisies d’importantes sommes. Plusieurs centaines de milliers d’euros en argent liquide auraient également été retrouvés chez l’ancien directeur adjoint des finances, qui se trouve aujourd’hui en prison.
Selon nos informations, le ministre se savait sur la sellette mais aurait tenté de profiter au maximum de sa position. Ainsi, et d’après l’enquête, le ministre aurait, durant le seul mois de décembre 2021, distribué plusieurs contrats très avantageux, dont les montants atteignaient parfois plusieurs millions de dollars.
Jusqu’à vingt ans de prison
Le Budget est l’un des portefeuilles les plus influents de Djibouti, une loi datant du début des années 2000 lui conférant d’importants pouvoirs. C’est par lui que transitent toutes les demandes de financement de tous les ministères pour leurs propres budgets, mais aussi en ce qui concerne les dépenses communes. C’est également lui qui est chargé des recettes, et donc de collecter les impôts et les droits de douane.
L’ancien ministre sera donc jugé pour « détournement de deniers publics, corruption passive, trafic d’influence et entrave à la loi ». Selon la loi djiboutienne, des malversations de cette nature commises par une personne dépositaire de l’autorité publique sont considérées comme « criminelles ». La même source proche du dossier affirme qu’AAC encourt jusqu’à vingt ans de prison.
« Plusieurs commerçants impliqués ont reconnu avoir participé à des exactions relatives aux activités de l’ancien ministre et ont accepté de payer afin d’échapper aux poursuites, nuance une autre source. Il n’est donc pas à exclure que le même procédé s’applique au principal mis en cause et aux membres de sa famille également inculpés, s’ils venaient à rembourser l’intégralité des montants qu’on leur reproche d’avoir détournés. »
« Procès politique »
Au sommet de l’État, l’affaire a des airs de « déjà-vu », du moins sur la forme : le prédecesseur d’AAC au ministère du Budget, Bodeh Ahmed Robleh, est lui aussi en passe d’être jugé, mais pour « atteinte à la sureté nationale » et « ventes d’écoutes téléphoniques ».
L’entourage d’AAC dénonce un procès politique. Contactée par Jeune Afrique, la nièce de l’ancien ministre, Fatouma Omar Doualeh, parle de « fausses accusations » et dénonce un procès politique qui s’expliquerait par la popularité de son oncle. « AAC est apprécié par le peuple djiboutien, qui voit en lui le futur président de la République. La justice et les droits humains ont été bafoués », s’exclame-t-elle.
Ismaïl Omar Guelleh a concédé en interne s’être senti trahi par les agissements de Abdoulkarim Aden Cher
Le président Ismaïl Omar Guelleh, réélu en 2021, aurait quant à lui concédé en interne s’être senti trahi par les agissements de Abdoulkarim Aden Cher, un ministre qu’il avait lui-même nommé et en qui il avait placé sa confiance. Cette affaire s’inscrit dans le cadre plus large d’une opération « mains propres » menées par les autorités djiboutiennes. En témoigne l’arrestation, le 27 mars, d’autres fonctionnaires du ministère, actuellement interrogés par les enquêteurs. Pour AAC, remplacé par l’ancien ministre du Travail, Isman Ibrahim Robleh, la prochaine étape devrait être un pourvoi auprès de la Cour suprême, car davantage d’investigations sont requises par les autorités compétentes avant la tenue du procès.
Enfin, selon nos informations, un parquet financier devrait prochainement voir le jour. Il pourra s’autosaisir sur les affaires de corruption et de détournement d’argent.
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