Maroc – Ultras : pourquoi tant de violences dans les stades ?
Depuis la réouverture des stades, les violences en marge des matchs de foot se multiplient. Face à ce phénomène inquiétant, la fédération, les clubs et les groupes ultras se renvoient la balle.
Le 25 février, face à l’amélioration de la situation sanitaire, le gouvernement marocain et la Fédération royale marocaine de football (FRMF) ont annoncé la réouverture des stades au public. Mettant fin à deux ans de matchs à huis clos, les autorités n’ont imposé aucune restriction aux supporteurs : ni pass sanitaire ni jauge.
Dans un communiqué publié à la suite de cette décision gouvernementale, le président de la FRMF, Fouzi Lekjâa, a appelé « les présidents et responsables de club à assumer leur responsabilité pour redonner vie aux stades et donner ainsi une image civilisée du ballon rond marocain ». Une déclaration aux allures d’avertissement, dont la nécessité n’a pas tardé à se vérifier.
Des dizaines de blessés
Le 20 mars, en marge du huitième de finale de la Coupe du Maroc, plusieurs échauffourées ont ainsi éclaté lors du match opposant le Hassania d’Agadir au FUS Rabat. Les violences impliquant les supporteurs des deux équipes ont fait des dizaines de blessés, dont sept membres des forces de l’ordre.
Selon plusieurs sources, le incidents auraient commencé dès le début du match, lorsque plusieurs supporteurs, empêchés d’accéder aux gradins, ont forcé le passage.
Bilan des arrestations : 84 personnes, dont 56 mineurs, toutes soupçonnées de « participation à des actes de violence », de « possession d’armes blanches », « d’ivresse sur la voie publique » et de « détérioration de biens d’utilité publique ».
Le 13 mars, 160 personnes ont été interpellées à la suite des rixes survenues après le match AS FAR-MAS
Deux enquêtes ont également été ouvertes par le ministère public. La première concerne 42 suspects détenus pour « constitution de bande criminelle, sabotage d’équipements au moyen de la force, vol qualifié et tentative de viol ». La deuxième implique 10 mineurs poursuivis pour les mêmes chefs d’accusation.
Une semaine plus tôt, le 13 mars, 160 personnes, dont 90 mineurs, avaient été interpellées par les forces de l’ordre à la suite des rixes survenues après le match AS FAR (Forces armées royales) de Rabat contre le Maghreb Association sportive de Fès (MAS).
En cause, la colère des supporteurs de l’AS FAR après la défaite de leur club. La Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) a fait état de 103 blessés au sein des forces de l’ordre et 57 parmi les supporteurs. À la suite de ces débordements répétés, la Commission centrale de discipline (CCD) de la FRMF a infligé de lourdes sanctions aux deux équipes.
L’AS FAR devra disputer cette saison le reste de ses matchs à domicile à huis clos. La CCD lui impose également l’interdiction de déplacement de ses supporteurs, le paiement d’une amende de 120 000 dirhams (11 000 euros), en plus de la prise en charge des frais de réparation des dégâts causés au Complexe sportif Moulay Abdellah de Rabat (estimés à 10 millions de dirhams, soit 900 000 euros). De son côté, le MAS devra, lui, disputer deux matchs à huis clos et verser une amende du même montant.
Sanctions et préjudice financier
Interrogé sur le sujet, le président de la Ligue nationale du football professionnel et du club Wydad de Casablanca (WAC), Saïd Naciri, est resté diplomate : « Il s’agit avant tout de jeunes. La violence est évidemment inacceptable. Mais on doit les encadrer, les gérer, on a besoin de les comprendre. »
Avant d’ajouter, faisant allusion aux événements du 13 mars : « Les gens ont le droit de manifester et de critiquer, mais sans violence. Je reste convaincu que le rôle des supporteurs, c’est d’aider les clubs. »
Pour les clubs concernés par les sanctions, les matchs à huis clos impliquent une importante perte financière
Pourtant, les violences dans les stades nuisent doublement aux clubs : d’une part en termes d’image et d’autre part sur le plan économique, les sanctions devenant de plus en plus difficiles à supporter, d’autant que les revenus des clubs proviennent en grande partie de la billetterie. Les matchs à huis clos impliquent ainsi une importante perte financière. De facto, la présence assidue des supporteurs est vitale pour les clubs.
À ce propos, le cas du Raja de Casablanca (RCA), l’un des deux clubs les plus populaires du pays, est emblématique. Les deux groupes ultras du club casablancais (les Green Boys et les Ultras Eagles) boycottent officiellement les stades depuis leur réouverture, le 25 février.
Les raisons officielles invoquées par les ultras du Raja : le prix des billets, jugé excessif, et la désorganisation consécutive à la décision précipitée de rouvrir les stades. « On a été très surpris par cette décision. Personne n’a été avisé, personne n’a été préparé. Il n’y a eu aucune réunion d’organisation en interne », explique un membre des Green Boys.
« Mais pour ne rien vous cacher, il y a aussi beaucoup de différends au sein même du public rajaoui [entre les ultras Green Boys et les Ultras Eagles, ndlr]. On a choisi de boycotter le retour au stade également pour éviter que ce type de conflit interne ne dégénère en confrontations physiques sur le gradin et ne nuise au club », confie-t-il.
Des stades passoires ?
Autre point important : au Maroc, les stades sont la propriété de l’État et non des clubs. Cela signifie que le contrôle est du ressort de la police et non des stadiers, lesquels sont souvent employés par des sociétés privées et ne sont pas formés pour assurer la sécurité des enceintes. L’accès aux gradins et la sécurité des stades échappent ainsi aux clubs.
« Le problème commence dès l’entrée des stades, insiste la même source ultra. On fait croire à une billetterie en ligne organisée et à un dispositif de sécurité supposé strict. Mais la réalité est tout autre : tout le monde peut accéder aux gradins, notamment des groupes de mineurs non accompagnés qui entrent soit en usant de bakchich, soit en trompant la vigilance des forces de l’ordre. »
Un grand nombre des jeunes supporteurs marocains sont désœuvrés, ne vont plus à l’école ou sont au chômage
En 2017 déjà, Fouzi Lekjâa qualifiait, lors d’une interview, le fléau de la violence dans les stades marocains de « phénomène social qui interpelle les politiques publiques ».
« Il faut se poser aujourd’hui de véritables questions par rapport à notre système éducatif, par rapport à notre système d’intégration de la jeunesse […], par rapport à la politique de l’emploi qui permet l’intégration des jeunes en leur donnant une stabilité et une visibilité », avait-il affirmé.
Fouzi Lekjâa avait salué les mesures techniques envisagées – tourniquets, billets numérotés, etc. –, mises en place dans quelques stades, tout en insistant sur l’idée qu’elles ne pouvaient se substituer aux « politiques publiques ».
« Un grand nombre des jeunes supporteurs marocains sont désœuvrés, ne vont plus à l’école ou sont au chômage. Pour la plupart, ils sont issus de milieux défavorisés. Mais face à ce constat, les groupes ultras ne peuvent pas être responsables de la faillite du système éducatif, voire celle d’une société tout entière », tente de se justifier un membre du groupe Ultras Askary, supporteurs de l’AS FAR de Rabat.
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