Publicité française : appellation d’origine contrôlée
L’artiste et publicitaire Ali Guessoum, originaire de Petite Kabylie, invite la France oublieuse à se regarder dans le miroir de son humour.
Ali Guessoum aurait de bien bonnes raisons de se ranger dans la catégorie des revanchards. Il avait à peine 7 ou 8 ans quand, fraîchement débarqué d’Algérie par la grâce du regroupement familial, une institutrice lui asséna une sèche remarque sur son odeur corporelle, alors que c’était un petit camarade blond coiffé "à la Claude François" qui avait fait sous lui. S’excuser, elle n’y pensa même pas. Mais Ali Guessoum, 49 ans, originaire de Mahfouda en Petite Kabylie, semble plutôt du genre à saisir la vie avec bonhomie. Et humour. C’est d’ailleurs ce qui transparaît dans "Attention travail d’Arabe", récemment exposé à Paris et de nouveau visible à la Manufacture de Nantes, dès la mi-mai. Un ensemble de 26 visuels détournant les clichés liés à l’immigration et invitant à réfléchir sans se prendre la tête : Maure pour la France, Camembeur Résident, Absolut Burka, La Pompe à fric… La provocation est douce, mais chaque fois riche de sens, s’appuyant sur la double culture de son promoteur.
"Ces enseignants qui font aimer la devise Liberté, Égalité, Fraternité"
De ses sept premières années passées en Algérie après 1965, "l’année du coup d’État de Boumédiène", Ali Guessoum retient la nature, l’espace, le rituel des saisons, les odeurs d’olive et de terre, la pauvreté. "Voir qu’en ville on peut ouvrir un robinet pour avoir de l’eau, alors qu’on doit soi-même parcourir plusieurs kilomètres à dos d’âne pour aller en chercher permet de prendre conscience très tôt de sa condition", dit-il. Chauffeur de taxi clandestin, son père rejoint la France vers 1968. Ali reste, mais "le coup de règle de trop" l’envoie sur les chemins de l’école buissonnière. Il ne retrouvera les pupitres qu’en 1972, "sous Pompidou", dans le 12e arrondissement de Paris.
Lui qui aujourd’hui apprécie les jeux de mots (Mots dits arabes) évoque un "trou noir" quant à sa période d’apprentissage du français. "Bonjour Madame, je voudrais une baguette pas trop cuite, s’il vous plaît" est le seul résidu de par-coeur dont il se souvienne. Après… Après, il fut un excellent élève et en dépit des épisodes précédemment narrés, il loue "l’investissement de ces enseignants progressistes qui font aimer la devise Liberté, Égalité, Fraternité avec le souci de permettre l’émancipation par la culture et le savoir, sans la violence".
La famille qui s’agrandit, le déménagement en banlieue rouge (Villejuif, Val-de-Marne) n’altèrent pas ses résultats scolaires. Pourtant, le début des années 1980 marque une "nette dégradation du climat social". "Suite à l’élection de Mitterrand, l’entreprise de siphonnage du Parti communiste entraîne une désaffection des militants sur le terrain, se souvient-il. La ghettoïsation s’accroît au moment même où les drogues dures débarquent dans les cités, comme si quelqu’un avait ouvert le robinet." Hésitant entre le journalisme et la publicité, Ali Guessoum opte pour cette dernière, le nombre d’heures de présence exigées au Celsa (l’école de journalisme réputée) ne lui permettant pas de travailler pour payer ses études.
>> Lire aussi : France : heurs et malheurs de la diversité
À Jussieu, "en face de l’IMA, qui était en train de se construire", il abandonne l’économie pure pour "essayer de comprendre l’individu sous toutes ses formes". Puis, en cette période bénie de la publicité, une rencontre avec un photographe réoriente le cours de sa vie : il crée sa propre agence, Sansblanc, à 25 ans. Le titre est un pied de nez et le résultat d’une bonne cuite. Ils sont quatre en 1989, deux l’année suivante, et "le commercial se mue en concepteur". Par affinité, l’agence travaille surtout avec le secteur culturel (affiches de théâtre et de festivals, pochettes de disques, éléments visuels pour les musées), les municipalités de gauche "qui permettent plus d’audace aux graphistes" ou les associations engagées du genre Attac. Attentif à l’évolution de la société, effrayé à l’idée que l’on puisse passer "du borgne à 4 % à sa fille en HD à 33 %" ou "donner des palmes académiques au racisme", Guessoum réfléchit sur "les non-dits à propos desquels la France devrait faire amende honorable".
Deux modes opératoires, deux libertés
À l’occasion d’une discussion avec l’association Tactikollectif et avec le groupe Zebda, à Toulouse, la nécessité d’aborder les questions liées à l’immigration en jouant sur l’humour s’impose. Guessoum présente ses premières images lors du festival Origines contrôlées dans la même ville. Succès immédiat auprès des populations concernées comme des enseignants et des éducateurs spécialisés. "Il y a dans ces images des éléments de langage très variés, qui sont autant de tiroirs permettant une grande diversité de réactions. Les élèves peuvent en discuter entre eux. Souvent, ils s’exclament : "Ah, mais on peut déconner avec ça ?"" Depuis, l’exposition tourne, se développe, et Ali Guessoum concilie travail publicitaire et gestion de l’association Remem’beur, "deux modes opératoires, deux libertés" qu’il entend bien conserver. S’il aimerait aujourd’hui présenter son "travail d’Arabe" dans les cités et s’orienter vers des installations en volume, il est encore à la recherche de soutiens et de relais. "Je serais d’ailleurs ravi d’aller le proposer à Béziers, à Fréjus et surtout à Poitiers ! Ce serait sympa, non, le retour des Arabes à Poitiers ?"
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