Mali : Tiken Jah Fakoly, gentleman reggaeman

Salle de concert, station de radio, nouvel album… Installé à Bamako depuis 2002, Tiken Jah Fakoly multiplie les projets sans dévier de l’essentiel : la cause panafricaine et la lutte contre l’obscurantisme.

Tiken Jah Fakoly se veut plus que jamais un afro-optimiste. © MIGUEL MEDINA / AFP

Tiken Jah Fakoly se veut plus que jamais un afro-optimiste. © MIGUEL MEDINA / AFP

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Publié le 19 mai 2014 Lecture : 3 minutes.

Derrière l’ambassade d’Algérie, dans le quartier de Niamakoro, à Bamako, flotte un intrigant drapeau, inconnu des chancelleries étrangères. Vert, jaune, rouge, le tout frappé d’une devise en deux mots : "États-Unis d’Afrique".

L’étendard est accroché au-dessus d’une imposante bâtisse de trois étages, aux murs peints des mêmes couleurs. Sur les façades, de grands portraits en noir et blanc d’icônes du reggae, tels Bob Marley et les Wailers, mais aussi d’anciens leaders politiques africains comme Thomas Sankara ou Haïlé Selassié. En face de la porte d’entrée, le poing levé sur fond de carte du continent, celui du maître des lieux : Tiken Jah Fakoly.

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Le reggaeman ivoirien, 45 ans, exilé au Mali depuis 2002 après avoir reçu des menaces de mort, a inauguré Radio libre en septembre 2010. Ce lieu, entièrement consacré à la musique reggae, compte deux salles de concert, un restaurant et un local d’enregistrement, le studio Patrice Lumumba. L’artiste Moussa Doumbia Fakoly de son vrai nom – y a enregistré une partie de son prochain album, Dernier appel, qui sortira le 2 juin. "J’ai choisi ce titre car il s’agit du dernier appel au peuple africain pour qu’il prenne son destin en main. Ce ne sera pas pour autant mon dernier album !", précise Tiken, installé sur la terrasse ensoleillée de son fief bamakois. Réalisé entre Paris, Bamako et Londres, ce nouvel opus sera "beaucoup plus roots, pour répondre aux demandes des fans". Alpha Blondy, Patrice et Néka seront présents dans certains titres. Quant au contenu des chansons, le ton sera, une fois de plus, très engagé. "Cet album est teinté de messages panafricanistes, parce que je suis convaincu qu’aucun pays africain ne gagnera seul, assène l’artiste à la barbe désormais grisonnante. En revanche, si les 54 pays d’Afrique – ce que j’appelle les États-Unis d’Afrique – se regroupent, nous pourrons nous en sortir."

Il utilise la musique pour transmettre ses messages

Ce discours d’unité, Tiken Jah Fakoly, qui se décrit comme "afro-optimiste convaincu", n’a eu de cesse de le tenir au Mali. Durant la crise qui a ébranlé son pays d’adoption, il s’est publiquement opposé au coup d’État de mars 2012 et a milité contre l’obscurantisme des groupes islamistes armés.

Comme certains de ses amis maliens, il a utilisé la musique pour transmettre ses messages. D’abord fin décembre 2012, avec "An ka willi", un titre destiné à "galvaniser les Maliens" en vue de la reconquête d’un Nord tombé sous la coupe des jihadistes. Puis, en janvier 2013, en participant à la chanson "Mali ko". Réunis par Fatoumata Diawara, près de quarante artistes maliens y défendaient l’unité nationale.

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"Avec ce coup d’État et le débarquement des islamistes, le Mali avait mal des deux côtés : à la tête et aux pieds, se souvient la star du reggae africain. Aujourd’hui, la situation s’est améliorée, mais il faut continuer à apaiser les coeurs et à montrer l’importance de la réconciliation et de l’unité. La stabilité du pays en dépend." L’Ivoirien, qui a vu ses compatriotes s’entre-tuer pendant des années, ajoute : "Maliens du Nord et du Sud doivent se parler, s’expliquer, se dire que l’intérêt commun est dans la grandeur du pays, et non dans sa division."

En janvier, Tiken Jah Fakoly a organisé deux grands concerts gratuits à Bamako et à Sikasso, dans le Sud. Des spectacles destinés à "féliciter le peuple malien" qui s’est mobilisé avec ferveur et sans violences durant les élections.

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Populariser le reggae au Mali

Au-delà de son engagement politique, le chanteur aux fines dreadlocks entend aussi populariser le reggae au Mali. Largement répandu en Côte d’Ivoire et au Burkina, ce genre musical, né en Jamaïque, se développe tout juste au pays des griots. Tous les soirs, sauf le lundi, des concerts ont lieu à Radio libre. La liste des groupes programmés est affichée chaque semaine à la craie sur un tableau noir, près de l’entrée. Certains seront peut-être produits par le label de Tiken, Fakoly Production, dont l’emblème, une vieille 2 CV verte, jaune et rouge, trône au-dessus de la porte du club.

L’idole ne compte pas en rester là. Sur la terrasse de Radio libre, une immense antenne se dresse au-dessus d’une petite maison ronde, en forme de yourte. Notre hôte se courbe pour y entrer. À l’intérieur, un studio avec cabine d’enregistrement et table de mixage est en cours d’aménagement. "Bienvenue dans notre future radio 100 % reggae, sourit-il. Tout est presque prêt, nous n’attendons plus que l’obtention d’une fréquence FM des autorités." La future station diffusera du reggae 24 heures sur 24. Tiken espère l’inaugurer au mois de juin, au moment de la sortie de son nouvel album. Avec ce nouvel émetteur, Radio libre s’imposera définitivement comme le temple du reggae à Bamako.

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Benjamin Roger

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