France : Alain Juppé et Nicolas Sarkozy sont dans un bateau…

Alain et Nicolas sont dans le bateau qui, si le temps reste au beau, conduira l’un des deux à l’Élysée. Longtemps mal-aimé, le premier est aujourd’hui l’homme politique préféré des Français. Le second conserve les faveurs des sympathisants UMP. Et si leur duel était arbitré par… un juge d’instruction ?

Alain Juppé (à g.) et Nicolas Sarkozy. Ils reviennent du royaume des ombres. © Sipa

Alain Juppé (à g.) et Nicolas Sarkozy. Ils reviennent du royaume des ombres. © Sipa

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 30 avril 2014 Lecture : 8 minutes.

L’élection présidentielle de 2017 semble jouée : un sondage OpinionWay publié le 16 avril par Le Figaro donne François Hollande éliminé dès le premier tour avec 19 % des suffrages, contre 29 % à Nicolas Sarkozy et 25 % à Marine Le Pen. Un remake de la présidentielle de 2002 à l’issue de laquelle le socialiste Lionel Jospin avait été lui aussi devancé par le candidat de la droite, Jacques Chirac, et celui de la droite extrême, Jean-Marie Le Pen.

Il faut certes se garder de projeter dans le futur – trois ans – les tendances d’une opinion par nature changeante. Tombé dans tous les sondages à un niveau d’impopularité jamais atteint par un de ses prédécesseurs (17 % d’opinions favorables), le chef de l’État pourrait redevenir crédible si une franche embellie sur le front de l’emploi se dessinait à partir de 2015 – c’est d’ailleurs son calcul -, mais aussi en faisant preuve de la fermeté et de la pédagogie que réclament les Français. Reste qu’en ce printemps 2014, l’Élysée semble promis à deux hommes de droite : Nicolas Sarkozy, qui avait juré mettre fin à sa carrière politique après sa défaite de 2012, et Alain Juppé, donné pour politiquement mort il y a dix ans. À fleurets mouchetés, la compétition a commencé entre ces deux ressuscités de la vie publique.

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Sarkozy, l’impossible retour ?

On avait failli croire l’ancien président de la République quand, le 24 janvier 2012, en Guyane, il avait déclaré aux journalistes : "En cas d’échec, j’arrête la politique. Vous n’entendrez plus parler de moi." Et puis on a appris que, trois mois après sa défaite, il recevait des élus UMP par fournées… En juillet 2013, l’annulation de ses comptes de campagne par le Conseil constitutionnel lui a donné l’occasion de rafraîchir sa popularité pour collecter sans coup férir les 11 millions d’euros perdus dans l’affaire par l’UMP. L’écoute de ses conversations téléphoniques sur ordre des juges d’instruction chargés de l’affaire Kadhafi lui a permis, en mars, d’attaquer un pouvoir coupable, selon lui, d’employer les méthodes de la défunte Stasi, la police politique d’Allemagne de l’Est.

Outre cette autovictimisation dont il est coutumier, d’autres indices prouvent qu’il est sur le retour : la déclaration de Bernadette Chirac affirmant que "Nicolas" serait "évidemment" candidat en 2017 ; les concerts de Carla Bruni, son épouse, auxquels il assiste, déchaînant du même coup l’enthousiasme de ses sympathisants : "Nicolas, reviens !" ; la réactivation de son compte Twitter ; son aphorisme longuement répété par ses proches : "Quand on a été président, on le reste."

Mais pas question de revenir "par le bas", comme l’avait fait en son temps Valéry Giscard d’Estaing en se faisant élire d’abord simple conseiller général. Pas question non plus de se soumettre en 2015 à une élection primaire, procédure pourtant inscrite dans les statuts de l’UMP et demandée à cor et à cri par ses concurrents potentiels : de Jean-François Copé à François Fillon, en passant par Bruno Le Maire, Xavier Darcos et, bien sûr, Alain Juppé.

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Sa tactique consiste à se servir de son étonnante popularité auprès des militants de son parti pour dissuader les outsiders de concourir, puisqu’il est le seul légitime, le seul chef. Son discours de plus en plus explicite est celui qu’il a tenu en décembre 2013 : "La question n’est pas de savoir si je veux ou ne veux pas revenir. Je ne peux pas ne pas revenir, je n’ai pas le choix. C’est une fatalité." La multiplication des négations suggère qu’il n’y tient pas, mais que la mauvaise gouvernance de son successeur, la démoralisation de la France et la poussée du Front national l’obligent à se représenter. Sarkozy ou le recours.

Il semble avoir compris que son inclinaison vers l’extrême droite avait contribué à son échec en 2012. Il a donc mis le cap sur le centre. Désormais, il vante les mérites de l’ouverture et il est redevenu keynésien. Plus question de prôner la fin des 35 heures ou le report à 65 ans de l’âge de la retraite !

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Mais, comme le dit malignement Copé, le président de l’UMP, "il faudra un alignement de planètes" pour que Sarkozy réussisse son "opération Phénix". Autrement dit, que quatre conditions soient réunies. 1. Que François Hollande soit au plus bas ; 2. que Marine Le Pen soit au plus haut ; 3. que les autres prétendants UMP soient hors jeu ; 4. qu’aucune affaire judiciaire ne le cloue au sol. Maître de conférences à Sciences-Po et auteur de Nicolas Sarkozy, chronique d’un retour impossible ? Thomas Guénolé estime que, des quatre épées de Damoclès qui menacent l’ancien président, "c’est l’affaire des sondages de l’Élysée qui est la plus dangereuse pour lui, car il s’agirait d’un détournement de fonds publics". Il poursuit : "S’il n’est pas abattu par les juges, il prendra la présidence de l’UMP fin 2015 et n’aura aucun challengeur pour la présidentielle. S’il est empêtré dans une affaire judiciaire – et je suis convaincu que ce sera le cas -, le seul candidat capable de garantir l’unité du parti, le plus ancien dans le cadre le plus élevé, le "sage", ce sera évidemment Alain Juppé."

>> Lire aussi : Nicolas Sarkozy: enregistrements secrets, écoutes… Le fantôme de Kadhafi pourrait-il réapparaître ?

Inoxydable Juppé !

En 1997, il était le Premier ministre le plus mal aimé des Français – il faudra attendre 2013 pour que Jean-Marc Ayrault batte ce peu enviable record. En 2004, il avait été condamné à une peine de prison avec sursis et à un an d’inéligibilité pour l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris. Lui qui incarne la droite régalienne "droite dans ses bottes", il avait été crucifié par l’attendu du jugement de première instance l’accusant d’avoir "trompé la confiance du peuple souverain". Il était alors donné pour fini. Dix ans plus tard, il vient d’être réélu, dès le premier tour et pour la quatrième fois, maire de Bordeaux avec 60,95 % des suffrages. Et il s’est installé en tête des hommes politiques préférés des Français.

Faut-il le croire lorsqu’il répond aux journalistes qui l’interrogent sur son hypothétique candidature élyséenne qu’on veuille bien "le laisser en paix avec ça" ? En fait, il en rêve ! Sa mère l’a programmé pour être le premier en tout, et partout.

Meilleur maire de France, selon l’hebdomadaire L’Express… Meilleur ministre des Affaires étrangères, selon ses pairs… Remarquable rénovateur de Bordeaux, comme du quartier de la Goutte-d’Or, à Paris… Il sait pourtant que ces titres d’excellence pèseront peu face aux sympathisants de l’UMP, qui lui préfèrent "Nicolas" à 65 %. C’est pourquoi il milite pour une primaire où son hostilité jamais démentie au Front national, son acceptation du mariage homosexuel (mais pas de l’homo­parentalité) et des mosquées, sa proximité avec la sensibilité du centriste François Bayrou comme du socialiste Michel Rocard lui permettraient de ratisser plus large que l’ancien président de la République.

Mais voilà, Alain Juppé n’est pas un tueur. Il a été le "fils" préféré de Jacques Chirac, qui l’a présenté comme "probablement, le meilleur d’entre nous". Mais il a dû céder le pas à Nicolas, le "fils" bâtard", quand la justice lui a "coupé les jarrets". En rageant, il s’est rallié à celui-ci en 2007, puis de nouveau en 2012, ne s’estimant pas en position de prendre part à la course.

Entre Nicolas et Alain, la fascination et l’exaspération sont réciproques. Le premier a un culot phénoménal, le second doute. Nicolas rêve de faire d’Alain son Premier ministre en 2017, mais Alain entend n’être le vassal de personne. Nicolas redoute la formidable machine intellectuelle d’Alain, qui est bluffé par l’énergie diabolique de Nicolas. Le premier est un homme d’argent, le second, un ascète. Ils se connaissent par coeur pour avoir combattu ensemble, en 1989, contre Charles Pasqua et Philippe Séguin sous la bannière de Jacques Chirac. Six ans plus tard, ils se sont trouvés dans des camps opposés, l’un pour Balladur, l’autre pour Chirac. Alain a fondé l’UMP en 2002 pour s’en servir comme d’une rampe de lancement, mais Nicolas lui en a chipé la présidence pour assurer sa propre élection en 2007.

Juppé-l’authentique reconnaît : "Nicolas a un bon bilan." Et Nicolas-le-séducteur lui répond en écho : "Ils sont tous nuls, il n’y en a que deux, toi et moi." Ce qui n’exclut naturellement pas les crocs-en-jambe. L’ancien Premier ministre fera tout pour contraindre l’ancien président à une primaire. Celui-ci laisse ses porte-flingues persifler : "Devient-on président à 71 ans ?" – l’âge qu’Alain Juppé aura en 2017. Ce serait la dernière chance pour celui-ci de concourir pour l’Élysée. Car le temps file, même si la crise a démodé le jeunisme. En vérité, tout dépendra des juges.


Lors du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif),
en février 2011 à Paris. © Mousse-Orban-Pool/Sipa

Épées de Damoclès et chemin de croix

Pas moins de quatre "affaires" concernant Nicolas Sarkozy intéressent actuellement les juges d’instruction.

o Les sondages de l’Élysée. Les sondages à répétition commandés pour plusieurs millions d’euros par la présidence de la République à la société de Patrick Buisson, à l’époque conseiller en communication de Sarkozy, ont-ils été attribués sans appels d’offres et constituent-ils un détournement de fonds publics ?

o L’affaire Karachi. Ministre du budget et porte-parole d’Édouard Balladur en 1994, Sarkozy était-il informé de l’existence de rétrocommissions liées aux contrats d’armement naval avec le Pakistan ? Celles-ci sont soupçonnées d’avoir contribué au financement de la campagne présidentielle de l’ancien Premier ministre…

o L’affaire Tapie. Sarko a-t-il manoeuvré pour mettre en place une procédure d’arbitrage avec le concours de Christine Lagarde, alors ministre des Finances, afin de faire condamner le Consortium de réalisation (CDR) du Crédit lyonnais à verser la somme de 404 millions d’euros à l’homme d’affaires Bernard Tapie ?

o L’affaire Kadhafi. Le dictateur libyen a-t-il financé la campagne présidentielle du candidat Sarkozy en 2007 ?

Maire de Bordeaux, député de Paris, président de l’UMP, plusieurs fois ministre, chef du gouvernement… Le parcours d’Alain Juppé est impressionnant. Il comporte pourtant plusieurs accidents.

1995 l’impopularité. Nommé par Chirac à Matignon, il projette de réformer le financement de la Sécurité sociale et de supprimer les régimes de retraite spéciaux. Les grèves paralysent la France, il est contraint de renoncer à une partie de ses projets et devient le Premier ministre le plus impopulaire de la Ve République.

1997 la dissolution ratée. Chirac dissout l’Assemblée pour maintenir Juppé à Matignon. La victoire annoncée n’est pas au rendez-vous : c’est le socialiste Lionel Jospin qui l’emporte.

2004 la condamnation. Jugé responsable de la mise à disposition du RPR de sept chargés de mission de la Ville de Paris, il est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et dix ans d’inéligibilité, peine ramenée en appel à un an d’inéligibilité. Il abandonne la mairie de Bordeaux et la direction de l’UMP. Meurtri, il s’exile un an au Québec.

2007 l’échec électoral. Réélu maire de Bordeaux en 2006, il est, l’année suivante, battu aux législatives par une socialiste. Les Bordelais n’ont pas apprécié son cumul potentiel de mandats, puisque Sarkozy l’a nommé numéro deux du gouvernement Fillon. Il démissionne de son poste de ministre de l’Écologie.

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