Maroc : une diplomatie souveraine

Domaine réservé du Palais au Maroc, la gestion des affaires étrangères participe du prestige de Mohammed VI, qui s’appuie sur des hommes de dossier. Avec, comme fil rouge, la question du Sahara.

Le roi Mohammed VI avec Barack Obama, le 22 novembre 2013 à Washington. © WIN MCNAMEE / AFP

Le roi Mohammed VI avec Barack Obama, le 22 novembre 2013 à Washington. © WIN MCNAMEE / AFP

Publié le 12 mai 2014 Lecture : 7 minutes.

Le 14 avril, Mohammed VI nommait Omar Hilale comme représentant permanent du royaume auprès de l’ONU. Le nouvel ambassadeur s’est envolé pour New York dès le lendemain pour reprendre la négociation annuelle sur la reconduction de la mission onusienne au Sahara occidental (Minurso). Hilale, diplomate de carrière, a été pendant plus de dix années ambassadeur au bureau de l’ONU à Genève, où il s’est illustré récemment lors d’une passe d’armes avec son homologue algérien. Pour la presse d’Alger, il est l’homme "qui a comparé Ghardaïa [la cité mozabite secouée par des violences] à Alep", la syrienne. Comment expliquer cette décision tactique et ce changement d’atout en plein match ? Mohammed VI s’est beaucoup impliqué sur le terrain diplomatique ces dernières années, multipliant les visites, et pas seulement en Afrique. Après les États-Unis, en novembre 2013, il est attendu avant l’automne prochain à Pékin. "Au-delà des alliances traditionnelles, le Maroc entend bien marquer qu’il y a cinq membres permanents au Conseil de sécurité, souligne une source diplomatique. En dernier ressort, il suffit d’un seul veto."

Le 12 avril, deux jours avant ce changement, le roi avait eu une conversation téléphonique avec le secrétaire général Ban Ki-moon. Une discussion "franche", selon la terminologie diplomatique. Une litote. Le souverain chérifien a en réalité profité du coup de fil pour rappeler les positions marocaines sur le conflit sahraoui et sur le rôle de l’ONU dans sa résolution. Selon la transcription par le Palais du contenu de la discussion, le roi a mis en garde le diplomate coréen contre les "options périlleuses" sur le Sahara. Une allusion à peine voilée au contenu du rapport du secrétaire général de l’ONU en date du 10 avril, sur la base duquel se construit le projet de résolution. Dans une première version, celui-ci y fixait l’objectif de mettre en place un "mécanisme de surveillance durable, indépendant et impartial" de la situation des droits de l’homme au Sahara occidental. La version finale, datée du 15 avril, ne mentionne plus de "mécanisme". Une petite victoire pour Rabat.

la suite après cette publicité

De réelles avancées institutionnelles

Le "monitoring des droits de l’homme" est l’option défendue avec force par le Polisario, Alger, les ONG internationales des droits de l’homme Human Rights Watch et Amnesty International. En 2013, Susan Rice, alors ambassadrice des États-Unis à l’ONU, l’avait évoqué, avant de se rétracter devant la colère de Rabat. Ces dernières années, l’héritière Kerry Kennedy, présidente de la fondation Robert F. Kennedy, a fait le tour des capitales pour défendre cette extension du mandat de la Minurso, aux côtés du comédien espagnol Javier Bardem et de la pasionaria sahraouie Aminatou Haïdar. Cet activisme, qui a donné lieu à un film de propagande, Enfants des nuages. La dernière colonie, agace au plus haut point la diplomatie chérifienne. "La Minurso est à Laayoune et dans le reste du Sahara pour observer le cessez-le-feu et organiser un référendum. La surveillance des droits de l’homme n’est pas son mandat. Nous n’avons pas à accepter un changement des règles du jeu sans notre accord", explique un haut diplomate qui a requis l’anonymat.

La position marocaine ne s’appuie pas seulement sur les subtilités du droit international public ("La question du Sahara relève du chapitre VI de la charte de l’ONU, qui invite les parties à la négociation, au dialogue et à la médiation", rappelle le même haut diplomate), mais aussi sur de réelles avancées institutionnelles, reconnues par le Conseil de sécurité : création d’un Conseil national des droits de l’homme (CNDH) avec antennes au Sahara, "nouveau modèle de développement pour les provinces sahariennes", préparé par le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Driss El Yazami et Nizar Baraka, qui président ces instances, étaient à Washington la semaine de la présentation du rapport de Ban Ki-moon. Ils s’imposent ainsi comme les acteurs du lobbying royal. Entre-temps, Mohammed VI a su, une nouvelle fois, manier la pression : en mai 2012, Rabat avait retiré sa "confiance" à l’envoyé spécial Christopher Ross ; en avril 2013, des opérations militaires conjointes avec le Pentagone avaient été reportées juste avant un vote crucial à l’ONU. Cette fois, Mohammed VI a laissé entendre qu’une extension du mandat de la Minurso signifierait la fin de celle-ci.

"La diplomatie est affaire de pragmatisme"

la suite après cette publicité

Ainsi le Sahara, pierre angulaire de la diplomatie marocaine, permet-il d’éclairer un fonctionnement fait de professionnalisme et de constance célébrés par les pays amis. Mais le même dossier recèle toutes les ambiguïtés et les hésitations d’un royaume jaloux de ses acquis et chatouilleux quand on le critique. Dans une belle unanimité de façade, éditorialistes locaux et zaïms politiques se répandent en diatribes contre les "manoeuvres de la pseudo-RASD", le soutien "des voisins d’El-Mouradia [présidence algérienne]" et la duplicité onusienne. À Rabat ou dans les chancelleries, les cadres du ministère ont un langage plus fleuri, mais versent volontiers dans le zèle patriotique. "En réalité, la diplomatie est affaire de pragmatisme, tempère un membre du cabinet du ministre Salaheddine Mezouar. Nous entretenons nos alliances avec prudence, nous parlons à tous et nous devons anticiper les défis que nous posent nos adversaires." Le populisme ne fait pas bon ménage avec la diplomatie, et Mezouar, qui n’est pas homme à tonitruer, marche dans le sillon tracé par le roi et son conseiller Taïeb Fassi-Fihri, épaulé par Youssef Amrani, comme lui un vieux routier de la diplomatie.

Pour reprendre la formule d’un autre diplomate, né à Rabat, le Maroc se conçoit comme un "vieux pays". L’invocation d’une époque glorieuse participe, à l’évidence, de la construction d’un récit national et du désir de renouer avec le passé impérial. Le Maroc a été le premier État à reconnaître les États-Unis, en 1777. Un argument qui ne suffit pas à entretenir de bonnes relations. Le Maroc est aussi un partenaire sécuritaire, comme la majorité des pays de la région, dans la guerre contre le terrorisme de l’ère Bush, mais aussi associé à l’Otan et à l’Africom. Par ailleurs, le royaume a signé, il y a une dizaine d’années, un accord de libre-échange avec les États-Unis. Tous ces éléments ont permis au pays d’être l’un des principaux bénéficiaires du Millenium Challenge Account. Mohammed VI a su, lors de sa rencontre avec Barack Obama en novembre 2013, placer le Maroc comme une tête de pont sur le continent africain.

la suite après cette publicité

Que les problèmes se règlent entre frères du golfe

Avec la France, les relations, qualifiées à l’envi de partenariat d’exception, sont aujourd’hui froides, sans être mauvaises, depuis la convocation par une juge d’instruction d’Abdellatif Hammouchi, patron de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), le 20 février. La convocation avait été présentée par sept policiers à la résidence de l’ambassadeur Chakib Benmoussa, alors que Hammouchi était le matin même, si l’on en croit les informations en possession de la juge, en réunion avec ses homologues français, espagnol et portugais dans le cadre d’un "G4" consacré aux questions de sécurité, de terrorisme et de lutte contre l’immigration clandestine, Place Beauvau. Insatisfait des réponses apportées par les plus hautes autorités à Paris, le Maroc a suspendu l’accord de coopération judiciaire avec la France. "Nos partenaires à Paris ne semblent pas avoir immédiatement pris conscience de la gravité de la situation. Il ne s’agit pas d’une erreur technique. Mais nous travaillons à surmonter la situation actuelle", confie une source proche du dossier. À l’ONU, Paris continue de soutenir la position marocaine, en toute discrétion.

Troisième pilier des relations extérieures marocaines : les pays du Golfe, avec lesquels le Maroc maintient des relations étroites, bâties sur la confiance personnelle et le maillage familial. Une solidarité entre monarchies qui lui a valu une offre de rejoindre le Conseil de coopération du Golfe, en 2011, au moment où les régimes de la région se sentaient menacés par le déclenchement du Printemps arabe. L’offre d’adhésion s’est muée en partenariat stratégique, et notamment une enveloppe de 5 milliards de dollars (3,6 milliards d’euros) de dons en cinq ans. On a évoqué une médiation de Rabat dans la récente crise entre le Qatar, d’un côté, et l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, de l’autre. "Nous avons de bonnes relations avec tous et souhaitons que les problèmes se règlent entre pays frères", se contente de commenter une source diplomatique. Une manière de dire que Rabat n’a pas reçu de mandat pour être médiateur…


Salaheddine Mezouar
Ministre des Affaires étrangères, 60 ans

Mi-politique, mi-technocrate, il est toujours secrétaire général de son parti, le Rassemblement national des indépendants, deuxième force de la majorité depuis octobre 2013. Repéré lors des négociations de l’ALE avec les États-Unis, il a été ministre de l’Économie et des Finances de 2007 à 2011. Au quotidien, il peut compter sur une ministre déléguée de son parti, la jeune Mbarka Bouaida.


Taïeb Fassi-Fihri
Conseiller du roi, 56 ans

Aussi discret qu’incontournable, il est le conseiller diplomatique de Mohammed VI… même si le titre n’existe pas officiellement. Ancien secrétaire d’État, puis ministre des Affaires étrangères (2002-2012), il garde un oeil attentif sur son ex-ministère. À son actif, les accords de libre-échange (ALE) avec les États-Unis, le statut avancé auprès de l’Union européenne.


Omar Hilale
Ambassadeur à l’ONU, 63 ans

"Brillant", "tranchant", "patriote", les compliments ne manquent pas quand on évoque Omar Hilale dans les salons feutrés de Rabat. Ancien conseiller de Taïeb Fassi-Fihri, ambassadeur (Indonésie, Australie…), ambassadeur à Genève (ONU), secrétaire général du ministère, à nouveau ambassadeur à Genève, c’est un changement de style à ce poste.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires