Trois mois après l’élection de Catherine Samba-Panza, où en est la Centrafrique ?

Rivalités au sein de l’exécutif, administration déliquescente, économie paralysée : trois mois après l’élection de Catherine Samba-Panza, la magie n’opère plus. Mais pouvait-il en être autrement ?

Catherine Samba-Panza et son Premier ministre, André Nzapayéké, à bangui, le 5 février. © Issouf Sanogo/AFP

Catherine Samba-Panza et son Premier ministre, André Nzapayéké, à bangui, le 5 février. © Issouf Sanogo/AFP

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Publié le 12 mai 2014 Lecture : 5 minutes.

Article paru dans Jeune Afrique n°2781-2782 (27 avril-10 mai), mis à jour le 12 mai 2014, à 12:28.

C’était il y a un peu plus de trois mois. Plébiscitée par le Conseil national de transition (Parlement provisoire), Catherine Samba-Panza, 59 ans, accédait à la présidence de la Centrafrique. Son élection était accompagnée d’un cortège de réactions dithyrambiques et de grandes espérances. Devant les micros et caméras du monde entier, on louait son "instinct maternel" et son indépendance d’esprit. Elle était même présentée comme "l’espoir de la Centrafrique", la seule capable de panser les plaies d’un pays ravagé par les bandes armées et les violences interconfessionnelles.

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Force est de constater qu’un peu plus de mesure eût été de rigueur. Après seulement cent jours, la magie Samba-Panza a cessé d’opérer, l’assurance a laissé place au doute. Certes, la présidente de la transition fait toujours bonne impression auprès de la communauté internationale, qui loue son dynamisme et sa combativité. Mais le pays, lui, est toujours à l’arrêt. "À Bangui, la situation sécuritaire s’améliore grâce à l’appui des forces internationales. Pour le reste, rien n’avance. Il n’y a pas de cap politique. Une feuille de route a été établie, mais sans consultation, à la va-vite. On a peur que le calendrier électoral ne puisse pas être respecté, car rien n’est fait", juge même un diplomate de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC).

La situation économique est particulièrement inquiétante. Dans l’ouest du pays, le corridor menant au Cameroun est peu à peu sécurisé, ce qui permet une légère reprise de l’activité, mais l’essentiel des taxes est encore perçu par les groupes armés, ex-Séléka et anti-balaka. Conséquence : en avril, les revenus de l’État risquent de ne pas atteindre les 2 milliards de F CFA (3 millions d’euros) espérés. Dans le même temps, les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) tardent à déboucher sur un accord. Début avril, l’institution a demandé à Bangui de nouvelles garanties avant de reprendre ses activités en Centrafrique. La gestion des finances publiques est floue, la liste des fonctionnaires n’est toujours pas à jour.

Catherine Samba-Panza a pris les rênes d’un État à l’agonie

Catherine Samba-Panza, qui a pris les rênes d’un État à l’agonie, n’est évidemment pas la seule responsable de cette situation. "Quand elle est entrée au palais présidentiel, il n’y avait rien, pas même une photocopieuse ! Comment voulez-vous qu’elle fasse des miracles en trois mois ?" s’exclame l’un de ses conseillers. "C’est une femme seule, qui n’a pas les instruments pour diriger : son gouvernement est faible, les forces de défense et de sécurité sont inexistantes, il n’y a pas de structure, pas d’administration. Le pays est en train de couler, mais c’était déjà le cas à la fin de l’ère Bozizé", résume un diplomate en poste à Bangui.

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Reste que le manque d’expérience politique de la présidente semble se faire sentir. "Elle ne dispose pas d’un entourage soudé, à même d’expliquer son message et de mettre en oeuvre sa politique. Il manque aussi dans son équipe une personnalité dotée d’une forte capacité de réflexion", poursuit un proche. Un vide qui a notamment permis à Jean-Jacques Demafouth, ex-rebelle et ancien ministre de la Défense d’Ange-Félix Patassé, de gagner en influence, outrepassant ses fonctions de ministre conseiller chargé des relations avec la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (Misca) et l’armée française.

Le tandem que forme Samba-Panza avec André Nzapayéké, son Premier ministre, montre également ses limites. En théorie définies par les accords signés en janvier 2013 à Libreville, les relations entre les deux têtes de l’exécutif ne cessent de se dégrader – même si le niveau de crispation n’a pas atteint celui du couple Djotodia-Tiangaye. À plusieurs reprises, la présidente a contesté l’autorité de Nzapayéké, qui se retrouve réduit au rang de simple collaborateur. Son gouvernement, sous le feu des critiques du fait du manque d’implication ou de l’incompétence de certains ministres, va prochainement subir un profond lifting. Et comme pour ajouter à la confusion, Catherine Samba-Panza a créé une sorte de gouvernement bis, formé d’une vingtaine de conseillers dont certains ont rang de ministre. Nzapayéké, qui dispose d’un cabinet aussi important, a fait de même. Résultat : l’action gouvernementale est paralysée par d’incessantes rivalités.

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Compte tenu de la marge de manoeuvre réduite dont elle dispose, Catherine Samba-Panza n’a d’autre choix que de s’appuyer sur la communauté internationale. Mais la coordination avec ses partenaires étrangers laisse parfois à désirer. "Elle ne se sent pas assez soutenue, l’aide qu’elle sollicite n’arrive pas aussi rapidement qu’elle le souhaiterait", concède un diplomate occidental. La France, qui a dépêché sur place des experts pour assister certains ministères, reste sa plus fidèle alliée. Pour Paris, Samba-Panza demeure le pivot de la transition, même si certains attendent d’elle plus de détermination afin d’accélérer la réconciliation nationale, notamment en impliquant d’autres acteurs politiques, et plus de fermeté dans la lutte contre l’impunité.

À n’Djamena, un accord tacite

Sur le plan régional, la présidente de la transition – qui n’était pas présente en janvier au sommet de N’Djamena où le sort de Michel Djotodia fut scellé – peine à s’imposer, victime de l’éternelle querelle de leadership entre ses homologues. "Elle n’entrait pas dans les plans des chefs d’État de la CEEAC, aucun des parrains du processus de transition n’imaginait qu’elle serait élue. Ça ne facilite pas les choses", explique un diplomate européen.

Ses relations avec le Tchad d’Idriss Déby Itno sont particulièrement difficiles. À N’Djamena, un accord tacite aurait été conclu entre les différents protagonistes, prévoyant que si un chef de l’État chrétien était élu (ce qui est le cas de Catherine Samba-Panza), le Premier ministre devrait être musulman. Depuis la nomination du chrétien Nzapayéké, Déby boude et l’a clairement fait comprendre à Samba-Panza, mi-février, lorsqu’elle est venue en visite officielle au Tchad. Dans ce contexte, le retrait des soldats tchadiens manifeste également sa défiance à l’égard des nouvelles autorités de Bangui. Depuis le 14 avril, même le contingent de la force tripartite qu’ils formaient avec des troupes soudanaises et locales a quitté la Centrafrique.

De plus en plus en butte aux critiques, Samba-Panza commence à montrer des signes d’agacement, notamment vis-à-vis de la presse, qu’elle accuse de présenter son action de manière tendancieuse. Le 7 avril, le directeur de publication du quotidien Le Palmarès a été arrêté après la parution d’un article jugé diffamatoire envers la présidente. Une semaine plus tard, son homologue du journal Le Peuple subissait le même sort. Les deux hommes, poursuivis pour outrage, diffamation et incitation à la haine, ont finalement été mis en liberté provisoire le 22 avril. Une affaire qui, quels que soient les propos incriminés, n’incite pas à l’optimisme.

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Par Vincent DUHEM

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