Maroc : de la colonisation au décès de Hassan II, Abdellah Taïa, au nom de la mère
« Vivre à ta lumière », que l’écrivain marocain vient de publier, retrace, à travers le regard de la mère de l’auteur, le parcours d’une « femme du peuple », déterminée à faire plier la fatalité.
« Tout est vrai », assure Abdellah Taïa. Sous les traits de Malika, avec Vivre à ta lumière, sorti le 4 mars dernier, l’auteur rend un hommage poignant, à sa mère M’barka Allali. Dix ans après la mort de cette dernière, il signe là son œuvre la plus nécessaire : le « roman de l’origine de l’origine ».
Figure centrale de Vivre à ta lumière, Malika n’est pourtant pas décrite comme un personnage omnipotent. Ce sont au contraire ses failles qui légitiment sa constante force de conviction et sa foi en l’avenir. Le récit nous dévoile une femme issue d’un milieu populaire qui tente de s’arracher au destin. Usant tant de malice que de sorcellerie, elle tente d’offrir toujours plus à ses enfants. Plus que ce que la vie leur promet. Plus que ce qu’eux-mêmes pensent mériter.
Par les mots, il s’offre la puissance libératrice du pardon réciproque
D’une certaine manière, ce roman est, pour Abdellah Taïa, la consécration du fantasme originaire. « C’est le retour à la mère, au corps de la mère », confie-t-il. Néanmoins, à travers le personnage, d’Ahmed puis de Jaâfar, on découvre des rapports mère-fils teintés de ressentiment et d’incompréhension. « Ces choses ont toujours été là et reviennent par l’écriture », raconte-t-il. En faisant face au passé de sa mère, l’auteur explore les limites de ce lien. Enfin, par les mots, il s’offre la puissance libératrice du pardon réciproque.
Retour sur le Maroc post-colonial
Abdellah Taïa ne comprend pas que l’on puisse lui reprocher des références fréquentes à la spiritualité, la superstition et l’histoire dans ses textes. « Ce sont des éléments que l’on a intégrés, en tant que Marocains. C’est même à partir de cela que l’on se construit. » Cette continuité thématique, son dernier roman n’y échappe pas. Ses personnages entretiennent, d’ailleurs, un rapport quasi passionnel avec le surnaturel. Par lui peuvent advenir l’ascension comme la chute.
En toile de fond, l’œuvre revient sur les épisodes politiques les plus marquants du Maroc post-colonial. « C’est quelque chose qui m’a marqué et dont j’ai voulu parler. Mais je n’ai pas voulu l’évoquer de façon complexe », précise-t-il. Ainsi, Mehdi Ben Barka apparaît subtilement aux protagonistes, leur insufflant l’espoir d’un Maroc où les inégalités s’effaceraient.
Rupture avec l’orientalisme
L’autre fil d’Ariane dans la bibliographie de l’auteur est l’homosexualité. La sienne, d’abord, qu’il projette sur ses personnages. Puis celle, latente, silencieuse, dans la société marocaine. Naturellement, Vivre à ta lumière met aussi en avant des relations homosexuelles, ancrées dans des rapports de forces violents, mais également au cœur d’histoires d’amour sincères.
Je ne comprends pas que ces descriptions du Maroc continuent à faire autorité dans l’imaginaire collectif
Ce Maroc-là, Abdellah Taïa reproche aux intellectuels occidentaux de l’avoir censuré. « Ils sont venus au Maroc, y ont vécu parfois. Mais ils n’ont jamais parlé des luttes anti-colonialistes ni des luttes de la communauté LGBT de l’époque », regrette-t-il, faisant allusion aux auteurs de la « Beat Generation » et à Paul Bowles en particulier.
Le titre de son roman fait écho à la lumière dans les œuvres d’Eugène Delacroix, mais c’est surtout pour lui une « critique de ces Occidentaux qui parlent souvent de la lumière du Maroc » et une volonté de « rupture avec cette vision orientaliste du Maroc ». « Ils parlent de la simplicité avec laquelle vivent les Marocains, avec un mépris mal dissimulé, juge-t-il. Je ne comprends pas que ces descriptions du Maroc continuent à faire autorité dans l’imaginaire collectif. »
Vivre à ta lumière, d’Abdellah Taïa, Seuil, 208 pages, 18 euros
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Esclavage : en Guadeloupe, un nouveau souffle pour le Mémorial ACTe ?
- Fally Ipupa : « Dans l’est de la RDC, on peut parler de massacres, de génocide »
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- Francophonie : où parle-t-on le plus français en Afrique ?
- Pourquoi tous les Algériens ne verront pas le film sur Larbi Ben M’hidi