Algérie : libération soudaine de soixante détenus d’opinion

Soixante détenus – militants ou journalistes – ont été libérés en l’espace de deux jours, atteste Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne des droits de l’homme.

Entrée de la prison d’El Harrach, à Alger. © Ramzi Boudina/REUTERS

Publié le 1 avril 2022 Lecture : 4 minutes.

La cadence s’est un peu ralentie, dans l’après-midi de jeudi 31 mars, à la grande déception des familles regroupées devant les portails des différents établissements pénitentiaires du pays. La procédure d’élargissement des détenus d’opinion, lancée le 30 mars, a concerné pour l’instant des prisons implantées dans 13 wilayas, à savoir Alger, Tizi-Ouzou, Tlemcen, Ouargla, Jijel, Blida, Aïn Temouchent, Boumerdès, Bordj Bou Arredj, Sétif, Constantine, Chlef et Batna.

Des décisions qu’aucune annonce officielle n’est venue étayer. Même les avocats des prisonniers ne voient pas d’explication juridique à ces libérations.

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Faut-il y voir un effet de la visite, le 30 mars, à Alger, du secrétaire d’État américain Antony Blinken, lequel a abordé la question des libertés lors de son déjeuner avec le président algérien ? Mystère. Quoi qu’il en soit, les organisations et militants des droits de l’homme ont été pris de court.

« Pourquoi ces libérations et pourquoi l’absence de communication ? Ce sont des questions auxquelles nous n’avons pas de réponse pour le moment. C’est un régime qui ne donne pas d’éléments d’analyse cohérents », a déclaré à Jeune Afrique Abdelouahab Fersaoui, président du Rassemblement action jeunesse (RAJ), une ONG dissoute en octobre 2021 après une requête introduite par le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales. Les détenus ont été tout autant surpris par leur libération.

« Procédure métaphysique »

« Mercredi à midi, l’administration de la prison m’a demandé de rédiger une demande de liberté provisoire adressée au  juge d’instruction chargé de mon dossier. C’est une procédure qui relève de la métaphysique car, en principe, c’est l’avocat qui doit introduire une telle requête. Je n’ai rien compris », témoigne Abdelkrim Zeghileche, fondateur de Radio Sarbacane, incarcéré depuis le 24 janvier 2022 dans le quartier spécial réservé aux détenus accusés de terrorisme de la prison de Boussouf, à Constantine.

Parmi les détenus libérés, figure aussi le militant des droits humains pro-Hirak Zaki Hannache

À 16 heures, sa remise en liberté lui a été notifiée. « Je suis dans le flou total. Je n’ai aucune explication à cette libération soudaine », confie l’intéressé, qui reste sous le coup du chef d’inculpation d’« appartenance à une organisation terroriste », en l’occurrence Rachad (ce qu’il nie), en attendant l’issue de son procès.

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Depuis 2019, Abdelkrim Zeghileche a séjourné à quatre reprises en prison. Sa dernière condamnation remonte à juin 2020 – deux ans de prison ferme pour « atteinte à l’unité nationale » et « outrage au président de la République ». Une peine qui a été ramenée en appel à six mois ferme.

Parmi les détenus libérés, figure aussi le militant des droits humains pro-Hirak Zaki Hannache, écroué le 18 février dernier. Ce militant très actif sur les réseaux sociaux et qui se bat pour la libération des détenus d’opinion est poursuivi pour « apologie d’actes terroristes et diffusion de fausses informations ».

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La liste des élargis comprend, en outre, Lazhar Zouaimia, arrêté le 19 février, à l’aéroport de Constantine, alors qu’il arrivait du Canada, d’où il avait soutenu le mouvement du Hirak. Il a été placé sous mandat de dépôt pour plusieurs chefs d’inculpation.

Citons également le cas de Brahim Laalami, un tailleur d’une trentaine d’années qui a été le premier à brandir une pancarte au début du mois février 2019, à Bordj Bou Arreridj, pour dénoncer la candidature à un cinquième mandat de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika. Depuis, il a été poursuivi et condamné au cours de plusieurs procès.

Encore 300 détenus

Malgré ces mesures de clémence, il resterait, selon le vice-président de la Ligue algérienne des droits de l’homme, Saïd Salhi, près 300 détenus d’opinion dans les prisons algériennes, pour beaucoup accusés d’appartenance à une organisation terroriste, à la suite de l’introduction dans le code pénal, en juin 2021, de l’article 87 bis.

Nous encourageons le gouvernement à élargir cette mesure de libération à l’ensemble des détenus d’opinion »

Une disposition qui étend la définition du terrorisme à tout acte « visant la sûreté de l’État, l’unité nationale et la stabilité et le fonctionnement normal des institutions », pour inclure le parti islamiste Rachad et le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK).

« Nous encourageons le gouvernement à élargir cette mesure de libération à l’ensemble des détenus d’opinion et à adopter un nouveau cap d’ouverture et de respect des libertés », plaide Saïd Salhi.

Abdelouahab Fersaoui estime, lui, que les autorités doivent aller plus loin et « annuler toutes les poursuites contre les militantes et militants, les hirakistes, les journalistes et les partis politiques et associations, abroger toutes les lois liberticides, notamment l’article 87 bis du code pénal, et lever toutes les entraves liées à l’exercice effectif des libertés fondamentales, dont la liberté d’expression, d’opinion, de rassemblement, de la presse, et ouvrir un véritable dialogue avec toutes les forces démocratiques pour l’amorce d’un véritable processus de changement et la mise du pays sur les rails de la démocratie ».

Rien, pour l’instant, ne permet d’entrevoir une telle issue. Une piste est évoquée par l’avocat et militant politique Moumen Chadi dans une publication sur sa page Facebook : un avant-projet de loi de réconciliation nationale qui autoriserait un juge d’instruction à répondre favorablement à une requête de liberté provisoire introduite par un détenu dont l’affaire est en phase d’instruction.

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