Lettre ouverte à Éric Zemmour

Malgré une entrée en campagne spectaculaire, le polémiste d’extrême droite Éric Zemmour ne semble pas avoir la moindre chance d’accéder au second tour de l’élection présidentielle. Il faudra pourtant continuer à combattre ses idées.

Mise sous pli des professions de foi du candidat d’extrême droite à Rennes, le 4 avril 2022. © Quentin Vernault/Hans Lucas via AFP

Adel Taamalli© DR Adel Taamalli
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Publié le 5 avril 2022 Lecture : 7 minutes.

Monsieur,

Je dois admettre que, face à l’importance du nombre d’interpellations qui vous ont déjà été destinées, j’ai longtemps hésité avant de vous adresser cette missive.

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En observant l’impact de vos diatribes sur la campagne présidentielle, j’ai continué à résister à vous dévoiler ma part de vérité. Vous connaissant tel que vous vous affichez, je ne m’attendais pas à ce que vous réagissiez autrement que par d’hautains coups de menton, d’injustes usages du “ben-voyonisme”, de la fanfaronnade.

La réitération de vos vielles lunes, à l’image de vos attaques contre l’islam et ceux qui le professent, contre l’immigration extra-européenne, le politiquement correct, la vision paxtonnienne du pétainisme, bien que m’ayant heurté, n’est pas parvenue à me faire franchir le Rubicon de la prise à partie publique, me disant que mon jugement se devait d’être magnanime vis-à-vis d’un homme qui se passionne, comme moi, pour l’histoire et… pour le football.

Imperméabilité

Fidèle à mon inclination à chercher partout ce qui peut alimenter mes réflexions, y compris chez l’adversaire idéologique, j’ai persévéré dans l’attitude qui était, à votre égard, déjà la mienne auparavant : comprendre, au-delà de l’image renvoyée par le polémiste, votre argumentaire, l’étudier avec une certaine bienveillance, et même, faire miennes quelques-unes de vos assertions, telles que celle rappelant les effets pervers de la loi Pleven (qui pour moi participe de la fâcheuse tendance à assigner à résidence identitaire la plupart des associations antiracistes).

Je me suis tout de même maintenu dans mon imperméabilité devant le claironnement de votre assimilationnisme hors-sol, m’apparaissant comme suranné dans notre XXIe siècle mondialisé. Ce qui se vérifia entre autres dans ma position en réaction à votre dénonciation des prénoms dits musulmans. Si au moins vous aviez eu la présence d’esprit, à l’époque, d’enrober dans une formulation doucereuse votre critique de la géographie nouvelle de la distribution des prénoms des enfants de France…

Malgré les salves de plus en plus nauséabondes tirées sur CNews, je m’évertuais à garder une posture compréhensive

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Mais non, vous choisissiez la polémique et le mensonge. La polémique, comme à l’endroit d’Hapsatou Sy avec laquelle vous dépassiez les bornes de la bienséance républicaine inhérente au débat public. Le mensonge car, contrairement à vos affirmations, nos parents immigrés n’ont pas été hors-la-loi lorsqu’ils nous ont attribué ces prénoms. Nous étions, en vertu de la législation qui ne nous accordait la nationalité française que beaucoup plus tard, nés étrangers sur le sol de la patrie. La loi napoléonienne sur le stock de prénoms admissibles, abrogée d’ailleurs en 1993, ne nous concernait donc pas.

Fierté

Symboliquement, par cette affaire des prénoms, vous me refusiez le droit de jouir de ce qui s’apparentait pour moi à une fierté sans pareille d’appartenir à l’histoire de mon pays de naissance et de cœur. Je suis en effet depuis toujours subjugué par le fait que seule la France semble capable d’enfanter des types originaux de grands hommes, que le destin n’aurait jamais dû faire sortir du rang.

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Le triptyque cité de manière classique que composent Jeanne d’Arc, Napoléon, de Gaulle, parsème depuis l’enfance mon imaginaire de légendes dorées, de joies non feintes tirées par exemple des victoires d’Orléans, d’Austerlitz, de la Libération, enfin de peines amères devant les épreuves qu’ils endurèrent, que ce soit dans la Normandie brûleuse de pucelle ou sur l’isolée lointaine de l’Atlantique, en passant par le désert à traverser dans l’attente qu’une République se meurt.

Malgré tout, malgré surtout les salves de plus en plus nauséabondes tirées quotidiennement sur CNews, je m’évertuais à garder une posture compréhensive. Fidèle à cette pratique, j’ai suivi les mots qui étaient les vôtres lors de votre précampagne automnale, servi que vous étiez par des médias assoiffés de buzz et vous laissant, en conséquence, un espace appréciable grâce auquel vous opériez votre mue devant la France entière. D’idéologue en chef de l’extrême-droite française, vous vous transformiez, dans un faux suspense, en aspirant à la présidence de la République.

Je n’ai pas apprécié que vous soyez traité de la façon dont vous a invectivé Jean-Luc Mélenchon, comme un chien

Au passage, vous débitiez des attaques ciblées contre les étrangers immigrés, à propos desquels vous juriez d’interdire de bénéficier des aides non-contributives et même, en cas de chômage, de demeurer en France. Jamais ne vous a été posée la question de savoir ce que vous faisiez de leurs enfants scolarisés. Des futures Leonarda ?

À aucun moment, pour les immigrés venus au titre du regroupement familial leur permettant de rejoindre un de nos compatriotes, vous n’aviez été renvoyé dans vos cordes à propos de leur conjoint(e) français(e), qui s’échine pour deux dans des emplois généralement sous-payés, mais essentiels à la bonne marche du pays. De nouvelles familles berlinoises séparées par un mur aussi large que la Méditerranée ?

Ni cette précampagne, ni sa suite lorsque vous vous déclariez officiellement, ne m’ont convaincu de vous brocarder. Je n’ai d’ailleurs pas apprécié, malgré la justesse des accusations de racisme qu’il vous a lancées si l’on se réfère à vos condamnations, que vous soyez traité de la façon dont vous a invectivé Jean-Luc Mélenchon, comme un chien. Vraisemblablement un atavisme chrétien chevillé à mon corps défendant du fait du surgissement français de mon existence : « Tendre l’autre joue… »

Ravissement et détestation

Si j’ai changé mon fusil d’épaule en me forçant à faire publier cette lettre, c’est que je voulais vous faire part de deux sentiments contradictoires vous concernant. J’éprouve, aujourd’hui, du ravissement et de la détestation à votre évocation. Permettez-moi d’en expliciter les raisons.

Même s’il représente une large cohorte de Français, votre socle s’est amenuisé

Un ravissement, tout d’abord. Observer votre chute dans les sondages, après avoir craint votre qualification au second tour de l’élection présidentielle, a suscité en moi une sensation que j’avais oubliée devant le spectacle déplorable de notre vie politique. Ni votre vision antihumaniste des réfugiés ukrainiens, que vous avez dû soumettre à vos atermoiements sur la question de leur accueil dans le but de parer à une stratégie électorale ratée depuis le Réveillon, ni votre promesse fascisante de créer un ministère de la remigration, tenue dans une quête éperdue de redonner à votre candidature une flamboyance définitivement hors d’atteinte, n’ont permis d’élargir le nombre de vos partisans.

Même s’il représente une large cohorte de Français, votre socle s’est amenuisé. Seulement 1/10e de la population soutient vos affirmations acerbes. C’est une satisfaction pour moi, même si je ne méconnais pas la gêne attisée sur votre gauche par la candidature Le Pen.

A ce titre, un conseil d’ami : méfiez-vous de sa nièce qui, en vous rejoignant, a sans doute déjà prévu, une fois sa tante écartée après sa défaite prévisible, de lancer une OPA sur votre jeune parti. Par cette relégation future, vous redeviendriez ce que vous avez toujours été, l’idéologue en chef de l’extrême-droite, un Charles Maurras des temps modernes. Un ravissement qui se transforme finalement en inquiétude pour moi, tant Marion Maréchal sera plus politique que vous et donc, sous ses airs faussement ingénus, j’en ai bien peur, plus efficace lors de l’élection de 2027 et/ou celle de 2032.

Alors que ces situations m’étaient inconnues naguère, je vois de plus en plus de regards noirs me transpercer

Une détestation, ensuite. Non de votre propre personne, ce dont je suis incapable. En cela, je reste fidèle à l’humanisme. Je respecte le père de famille, le fils aimant, le frère que vous êtes peut-être. Je crois savoir que vous êtes croyant dans le judaïsme. Si tel est le cas, j’en profite pour exprimer ma considération et mon estime pour votre foi en l’Éternel.

La haine qui m’habite s’adresse à la personnalité publique, celle qui, instrumentalisant l’effroi suscité par les attentats de la décennie noire des années 2010, instille dans des esprits de plus en plus nombreux l’idée que je fais potentiellement partie, en compagnie de mes semblables issus d’ancêtres musulmans ou africains, d’un corps étranger à mon pays, d’une cinquième colonne. Alors que ces situations m’étaient inconnues naguère, je vois de plus en plus de regards noirs de rejet me transpercer, jetés par les yeux de ceux que je côtoie au quotidien.

Guerre idéologique

Si je porte une barbe qui trahirait ma foi religieuse, elle est pourtant aussi courte et taillée que celle d’Édouard Philippe. Serait-ce alors dû à la couleur brune de ma peau ? Ou serais-je simplement sujet à de la paranoïa ? Difficile de répondre. Mais que se passera-t-il si ma fille, libre d’elle-même, décide un jour de porter le voile ? Devrais-je, à cause de vous, et d’autres, car vous n’êtes pas le seul responsable de l’opposition française irrationnelle à cet accoutrement, me battre pour protéger l’honneur de ma fille bafoué si elle était invectivée ? Serais-je obligé de me dédire, par l’action, de mes propos par lesquels je la conforte dans le caractère indéniablement français de sa personne ?

Mais que se passera-t-il si ma fille, libre d’elle-même, décide un jour de porter le voile ?

Du fait de l’influence de plus en plus perceptible du phénomène qui porte votre nom, la zemmourisation, je me dois, de façon à tenter de protéger l’avenir de mes enfants, de vous déclarer la guerre. Solennellement. Très sérieusement. Obligatoirement. Idéologiquement, cela s’entend ! À mes risques et périls, surtout si l’un de vos émules, et ce n’est pas impossible si l’on en juge la désaffection grandissante des électeurs vis-à-vis des partis dits de gouvernement, s’emparent dans le futur des commandes du pays. Vous me trouverez donc, à partir d’aujourd’hui, sur votre chemin. Mon vœu par cette résolution ? Contribuer, par-delà mes contradictions, à vous faire barrage, en m’aidant de mes faibles moyens pour vous combattre, et participer, je l’espère, à l’expulsion de l’âme de la France de vos idées nauséabondes.

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