Tunisie : le Canada, nouvel eldorado des jeunes diplômés

Bloqués par la conjoncture économique, peu attirés par une Europe en déclin, les Tunisiens rêvent de plus en plus du pays à la feuille d’érable. Le diplôme restant la meilleure voie d’accès au visa, de nombreuses écoles en Tunisie proposent des formations reconnues outre-Atlantique.

Le siège du collège LaSalle à Tunis. © LaSalle

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Publié le 9 avril 2022 Lecture : 5 minutes.

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Emploi et formation : inventer les modèles qui marchent

Du partage de talents entre télécoms et fintech aux jeunes diplômés dragués à l’international, en passant par les recettes des business schools pour convaincre les candidats… Tour d’horizon des dernières tendances de l’emploi et de la formation en Afrique.

Sommaire

« Académie de Sherbrooke », « Canada-Services », « Institut canadien des technologies », « Collège LaSalle ». Dans les rues ou dans les publicités ciblées sur les réseaux sociaux, les références au pays à la fleur d’érable pullulent en Tunisie. Les autorités et entreprises du Canada, essentiellement celles de la province francophone du Québec, et les jeunes Tunisiens sont « tombés en amour » depuis des années, et tout (ou presque) indique que l’idylle se poursuivra encore longtemps.

Une fois n’est pas coutume, cette histoire d’amour passionnée est d’abord une histoire de chiffres. En 2021, pour 100 Québécois qui partaient à la retraite, seulement 86 jeunes arrivaient sur le marché de l’emploi, selon Québec International, agence de développement économique de la province francophone. Outre-Atlantique, la même année, le chômage des jeunes a atteint 43 % chez les 15-24 ans dont 31 % chez les diplômés de l’enseignement supérieur. Près de 21 500 Tunisiens ont donc décidé de traverser l’Atlantique pour vivre au Québec, selon le dernier recensement en 2016.

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« Les affinités entre nos deux pays sont naturelles et évidentes alors que nous vivons une pénurie de main-d’oeuvre sans précédent, assène d’emblée Karl Blackburn, président du Conseil du patronat du Québec et tout juste nommé vice-président et trésorier de l’Alliance des patronats francophones, créées le 29 mars à Tunis. Plus que jamais, dans le contexte actuel, nous [l’Alliance regroupe les organisation patronales de 25 pays francophones] devons travailler ensemble pour assurer un écosystème économique prospère. »

Politique d’immigration choisie

Nombreuses sont donc les structures à s’être installées en Tunisie pour promouvoir cet « écosystème économique prospère », autrement dit promettre une bonne éducation et/ou un travail au Canada pour des jeunes Tunisiens qui considèrent l’avenir bouché dans leur pays. Quarante pour cent des immigrés tunisiens installés au Québec sont arrivés après 2011. Les raisons de cet exode fusent chez les candidats au départ interrogés : « Il y a plus d’emplois au Canada qu’en Europe », « C’est une porte d’entrée pour les États-Unis », « Si je suis étudiant, je peux légalement travailler 20 heures par semaine, qui propose cela en Europe ? » « Obtenir un diplôme là-bas, c’est l’assurance d’avoir un permis de travail pendant trois ans », « La société est moins raciste qu’en Europe, notamment qu’en France ».

Nous voulons mettre en place un programme gagnant-gagnant.

Entre 60 et 80 Tunisiens franchissent chaque jour l’entrée de Canada-Services, société qui facilite les démarches pour obtenir un visa. « Cela monte à 200 si l’on prend en compte les appels téléphoniques, assure le directeur général, Ali Settey. D’autant que, maintenant, de plus en plus de Tunisiens ont un membre de la famille installée là-bas. La moitié de ceux qui viennent nous voir ont une connaissance sur place. » Ce qui fait gagner de précieux points. Car être autorisé à s’installer au Canada, c’est réussir un examen : celui de l’obtention du visa.

Le Canada a une politique d’immigration choisie, qui dépend des besoins de chaque province. Au Québec, les ingénieurs informatique, les développeurs de jeux vidéos, les infirmiers et les comptables sont particulièrement recherchés. Or, avec des écoles d’ingénieurs particulièrement bien cotées, les frais diplômés tunisiens sont les bienvenus pour travailler dans les nombreux studios du Québec (qui accueille un tiers des sociétés canadiennes du secteur). Résultat, 44 % des Tunisiens exilés ont au moins un niveau licence, contre 20,5 % pour le reste des Québécois. Seulement tous les candidats au départ ne sont pas des geeks surdiplômés. Et tout le monde n’a pas les moyens de s’acquitter des 20 000 à 35 000 dollars canadiens que coûte un programme de formation de deux à trois ans (47 000 à 82 000 dinars tunisiens).

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Formations adaptées aux besoins des provinces

Le Canada ne propose qu’une quarantaine de bourses par an aux Tunisiens. Alors, un marché d’écoles estampillées canadiennes a fleuri ces dernières années en Tunisie comme dans toute l’Afrique. Elles proposent des formations spécialement adaptées aux besoins du futur pays d’adoption. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Québec a décidé de co-piloter le comité Formation au sein de l’Alliance des patronats francophones : « Nous voulons mettre en place un programme gagnant-gagnant. D’ici au mois de juin, nous proposerons une feuille de route concernant la formation, les échanges et le mentorat », assure Karl Blackburn. En attendant, l’ancien député libéral pourra s’inspirer des expériences actuelles.

Les intervenants sont des experts en formation dans les entreprises tunisiennes.

Le Collège LaSalle, le plus grand collège (établissement d’enseignement de deux ans entre le bac et l’université) privé bilingue d’Amérique du Nord, est installé en Tunisie depuis 1999. Le site a vu le jour grâce à un partenariat entre l’Agence canadienne de développement international (ACDI), le Pricat (Programme de renforcement institutionnel canadien en Tunisie) et le Cettex (Centre technique du textile tunisien). Il propose 33 programmes d’études répartis sur six écoles différentes, allant de la mode à la gestion commerciale. Malgré une formation reconnue outre-Atlantique, tous les diplômés n’auront pas accès au visa.

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Omar Gargouri, le responsable de l’Académie de Sherbrooke, le sait bien. Son école a signé un partenariat d’équivalence avec le Cegep (collège public de la région de Sherbrooke). Comme ses concurrentes, elle ouvre la porte à la poursuite des études ou à un travail au Canada, mais l’ancien cadre de Poulina, le plus grand employeur privé de Tunisie, insiste également sur la plus-value nationale : « Nos intervenants sont des experts en formation dans les entreprises tunisiennes. Nous connaissons très bien les besoins en Tunisie avec, en plus, la valorisation d’un savoir-faire et d’une pratique canadiennes. » Un atout supplémentaire pour les demandeurs d’emplois.

Après trente-cinq ans à travailler à l’ambassade du Canada en Tunisie, Ridha Blel dirige maintenant Eduinvest, qui oriente les Tunisiens sur leur choix d’études au Canada. Selon lui, l’opération séduction du Québec en Tunisie pourrait être encore plus forte. Membre du réseau tuniso-canadien des affaires, il espère d’ailleurs organiser pour la première fois un Salon de l’éducation à l’automne. « La Canada est l’un des rares pays à ne pas avoir besoin de faire de campagne marketing agressive pour attirer. Tous les Tunisiens aiment le Canada. »

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