« L’Armée du salut » : Abdellah Taïa, sa vie est un film

On connaissait l’écrivain marocain et son courage dans l’affirmation de son identité homosexuelle. On découvre un cinéaste, qui adapte à l’écran l’un de ses romans très autobiographique. Chapeau l’artiste !

« J’ai décidé d’être cinéaste à l’âge de 13 ans » confie Abdellah Taïa. © Larry Busacca / AFP

« J’ai décidé d’être cinéaste à l’âge de 13 ans » confie Abdellah Taïa. © Larry Busacca / AFP

Renaud de Rochebrune

Publié le 5 mai 2014 Lecture : 2 minutes.

Auteur de recueils de nouvelles et de cinq romans (dont Le Jour du roi, prix de Flore 2010), Abdellah Taïa semblait destiné à une carrière d’écrivain depuis sa naissance en 1973… dans le bâtiment d’une bibliothèque, à Salé, où son père était gardien et où il a vécu jusqu’à ses 2 ans. Et pourtant. "J’ai décidé d’être cinéaste à l’âge de 13 ans", répond cet homme au physique frêle et à la voix fluette, à mille lieues de l’auteur "arrivé" et sûr de son importance, quand on lui demande pourquoi il a échangé le stylo pour la caméra en adaptant au cinéma L’Armée du salut, son roman très autobiographique paru en 2006.

Abdellah Taïa n’est donc pas, comme tant d’autres, un écrivain qui s’est laissé tenter par l’occasion de porter l’un de ses livres sur le grand écran, mais un cinéaste dans l’âme qui, dit-il, écrit avec des images plein la tête. L’auteur marocain confesse s’être d’abord formé au septième art en visionnant, dès son enfance, une multitude de films égyptiens de la grande époque (ceux de Salah Abou Seif, de Youssef Chahine et de Yousry Nasrallah, entre autres) ; ce qui peut paraître étonnant vu son style très art et essai. Et ensuite, ce qui n’est pas moins surprenant pour qui veut fabriquer des images animées, en regardant les toiles des grands maîtres, du Titien jusqu’à Monet. On peut se choisir de plus mauvais parrains.

Le réalisateur, au style affirmé, ne craint pas de proposer de longues séquences peu bavardes, sobres et sans musique.

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De fait, L’Armée du salut, qui sort dans les salles françaises le 7 mai, révèle un réalisateur au style affirmé, ne craignant pas de proposer de longues séquences peu bavardes, sobres et sans musique, mais toujours conçues esthétiquement pour faire entrer le spectateur dans un monde âpre, complexe et peu accueillant. Un monde où le héros – prénommé lui aussi Abdellah – doit se battre pour exister alors que, dans le quartier populaire où il vit, son homosexualité en gestation ne saurait être acceptée ni même simplement considérée. Ni par la société, ni par sa famille, notamment sa mère aux allures de dragon et son grand frère traité par tous – lui compris – comme un demi-dieu.

Il se dit musulman laïque

Établi à Paris depuis qu’il a traversé la Méditerranée, en 1999, pour entamer un doctorat en littérature – tout en gagnant sa vie, dans un premier temps, comme baby-sitter -, Abdellah Taïa est l’un des premiers à avoir affronté le tabou de l’homosexualité au Maroc, en 2007, en faisant son coming out à la une de l’hebdomadaire TelQuel, sous le titre "Homosexuel envers et contre tous". Contre tous mais pas contre l’islam, qu’il ne considère pas comme homophobe – un reproche qu’il réserve au colonisateur d’autrefois et aux pouvoirs publics.

Lui qui se dit musulman laïque a d’ailleurs pris soin d’éviter la pente du film scandaleux, ne trichant pas avec la réalité des situations – dès le début, un plan évoque, sans la montrer de façon réaliste, une scène de sodomie – mais sans jamais tomber dans le scabreux. L’écrivain-cinéaste permet ainsi à tous les publics – enfants exceptés bien sûr – de voir son oeuvre. Y compris au Maroc ? Il faudrait pour cela y trouver un distributeur. Ce qui n’est pas gagné…

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