Bakchich, gombo & Cie
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 28 avril 2014 Lecture : 2 minutes.
L’Union africaine, qui n’aime rien tant que s’autocélébrer, n’a pas encore instauré de journée continentale de lutte contre la corruption, mais elle devrait y songer. Tous les sondages, toutes les études le démontrent : cet Ebola de la morale, ce virus des services publics, que les Camerounais comparent au gombo tant il met du liant dans les relations, ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui. Un citadin de Nairobi, Luanda, Lagos, Kinshasa ou Douala – parmi les métropoles les plus gangrenées par le mal – verse en moyenne quinze pots-de-vin de toute nature par mois, et l’on ne peut pas vivre un seul jour dans ces villes sans être confronté au phénomène de la corruption de proximité.
L’exemple, il est vrai, vient d’en haut, souvent de très haut. Si l’on estime que les trois quarts des entreprises dans des pays aussi différents que le Burkina, le Cameroun, la RD Congo ou le Kenya doivent recourir à des dessous-de-table pour remporter des appels d’offres, bénéficier des services publics élémentaires ou conclure des contrats, c’est bien parce que le trafic d’influence y est devenu l’un des éléments clés du fonctionnement de l’État. Et que ceux qui le mettent en oeuvre – ministres, hauts fonctionnaires, familles présidentielles, etc. – ont fini par considérer comme légitime une captation qui leur permet de redistribuer cette manne auprès de leur clan et de leur clientèle politique. Mais le plus grave, sans doute, c’est quand ce fléau touche les secteurs essentiels pour l’avenir et le développement du continent que sont la santé et l’éducation. Le manque de contrôles, d’inspections et de sanctions a favorisé le laxisme et la vénalité d’enseignants et de médecins qui monnayent soins et diplômes, médicaments et cours dans la plus parfaite inconscience. Les usagers qui en ont les moyens ont développé des stratégies de contournement en ayant recours, pour leurs enfants, aux enseignements privés et, pour leur santé, aux achats de médicaments revendus par les personnels des hôpitaux. Dans des pays où les groupes électrogènes suppléent l’absence d’électricité, les surpresseurs celle d’eau courante et les véhicules 4×4 celle de routes décentes, cette situation aberrante est acceptée comme une fatalité. Les autres, autant dire l’immense majorité des citoyens, sont condamnés aux écoles bondées, aux maîtres évanescents et aux mouroirs des services d’urgence.
Réagir, oui, mais comment, quand on constate que les processus démocratiques et la mise en place du multipartisme, joints à la dérégulation économique, ont eu un effet démultiplicateur sur le clientélisme, donc sur la corruption, et que les campagnes d’éradication (au Cameroun, par exemple) s’apparentent souvent à des campagnes d’élimination de rivaux trop gourmands ? Sans doute faut-il que l’Afrique cesse de considérer cette endémie comme un mal importé, extérieur et passager, soluble dans des slogans et une justice expéditive. Ce sont des normes et une culture sociales enracinées au plus profond d’elle-même qu’il lui revient, avec courage, de remettre en question. Faute de quoi la corruption ne sera plus seulement une opportunité certes stigmatisée mais acceptée avec résignation par ceux qui en sont les victimes – en attendant qu’elle se reproduise en leur faveur. Elle deviendra naturelle.
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