Inde : qui brisera la vague safran ?

Personne, sans doute. Face à un parti du Congrès à bout de souffle, les nationalistes hindous du BJP, qui ont choisi cette couleur pour emblème, ont toutes les chances de remporter les législatives. Le futur Premier ministre devrait donc se nommer Narendra Modi. Verdict le 16 mai.

Des habitans d’Udupi vont voter, le 17 avril 2014. © CITIZENSIDE/RAMAKRISHNA BHAT / AFP

Des habitans d’Udupi vont voter, le 17 avril 2014. © CITIZENSIDE/RAMAKRISHNA BHAT / AFP

Publié le 22 avril 2014 Lecture : 5 minutes.

Bombay, quartier de Dharavi, en Inde. Dans la pénombre, des hommes sont assis derrière un amoncellement de détritus : pots de yaourt, bouteilles en plastique vides, fils électriques… Il est tôt, mais dans ce bidonville le plus peuplé d’Asie les petites mains sont déjà au travail. Douze heures par jour pour un salaire quotidien de 150 roupies (moins de 2 euros), la vie est dure pour les recycleurs !

Dans un environnement aussi hostile, parler de politique est un luxe presque déplacé. Même si, ici plus qu’ailleurs, on attend des élections en cours un vrai changement. "Avant, les habitants de Dharavi étaient plutôt pour le parti du Congrès, estime Ganesh, 26 ans. Mais qu’est-ce que celui-ci a fait depuis dix ans ? La corruption est partout et empêche le pays de se développer. On manque d’eau, de toilettes, d’espace. Du coup, beaucoup se tournent vers Narendra Modi et son BJP." Son ami Shailesh, 24 ans, qui organise des visites du bidonville à l’intention des touristes, renchérit : "Au Gujarat, Modi a montré qu’il pouvait faire des choses. Il a construit des routes, fait venir des entreprises…"

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Le budget publicité du BJP, 50% supérieur à celui du Congrès

Il n’y a pas que dans ce quartier déshérité qu’enfle la vague safran, couleur du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti national-hindouiste. C’est aussi le cas dans les milieux d’affaires, chez les jeunes urbains, les étudiants, les petits commerçants, les expatriés… Dans tous ces milieux, les fameuses "routes du Gujarat" sont citées en exemple. Et qu’importe si elles masquent bien d’autres défaillances et font oublier l’implication de Modi dans les pogroms antimusulmans qui ont ensanglanté l’État, en 2002. À la télévision, sur les affiches, à la radio et sur les réseaux sociaux, le leader du BJP est partout.

"Il n’a pas encore remporté l’élection, mais il est déjà le grand vainqueur de la bataille médiatique", écrit The Economic Times. À en croire ce quotidien, le BJP aurait dépensé en publicité, tous médias confondus, une somme de 50 % supérieure à celle investie par le Congrès. Un matraquage d’autant plus efficace que ce dernier parti est aujourd’hui à peu près inaudible, en raison de son bilan, bien sûr, mais aussi du profil de son candidat.

Fils de Rajiv et de Sonia, et donc petit-fils d’Indira, Rahul Gandhi, 43 ans, peine à asseoir sa légitimité. "Qu’a-t-il à montrer en dehors du fait qu’il est le rejeton d’une illustre dynastie ?" persifle Modi. Au pouvoir depuis plus de dix ans, le Congrès a perdu tout crédit en raison des multiples scandales de corruption dans lesquels ses membres ont été impliqués. En 2010, par exemple, la vente frauduleuse de concessions de téléphonie mobile a fait perdre à l’État la bagatelle de 32 milliards d’euros ! "La corruption est assurément le principal fléau dont souffre ce pays, explique à Jeune Afrique Sanjay Singh, le porte-parole de l’Aam Aadmi Party (AAP). Elle explique l’état lamentable des routes, des hôpitaux, des écoles, ainsi que le prix élevé du gaz." De fait, le bilan du Congrès n’a rien de très glorieux : croissance qui patine en dessous de 5 %, finances publiques en piteux état, forte inflation, faiblesse de la monnaie… Tout cela pèse sur l’investissement, le pouvoir d’achat des plus pauvres et l’emploi. Surtout celui des jeunes.

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Dans ce contexte, même le prometteur AAP semble s’essouffler. Ce parti est né en 2011 d’un mouvement citoyen de lutte contre la corruption. À l’époque, il avait suscité un immense engouement populaire. Deux ans plus tard, en décembre 2013, il avait bluffé tout le monde en remportant les élections dans l’État de New Delhi et en propulsant son leader, Arvind Kejriwal (45 ans), au poste de gouverneur. Les soutiens financiers avaient alors afflué, et les recrutements s’étaient multipliés. Résultat : l’AAP a réussi à présenter dans l’ensemble du pays 426 candidats – chiffre considérable. Hélas ! tous ne sont pas forcément dignes de la cause qu’ils défendent.

Ses détracteurs l’accusent de ne pas avoir d’expérience, voire d’être stupide

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Depuis février, la magie est pourtant un peu retombée. Sans doute en raison de la décision précipitée de Kejriwal de quitter son poste de gouverneur… quarante-neuf jours après son élection. Dépité de n’avoir pas réussi à faire passer sa loi anticorruption à la Lok Sabha (chambre basse du Parlement), il a préféré jeter l’éponge pour se consacrer aux élections nationales. Décision qui lui a valu une bordée de critiques. Dans le meilleur des cas, ses détracteurs regrettent son "inexpérience". Dans le pire, ils le soupçonnent d’être "stupide". "Il aurait dû rester aux manettes et faire ses preuves, c’est ce que l’électorat attendait. Au lieu de ça, il a pris la fuite", s’insurgent-ils. De même, son choix de quitter Delhi pour venir défier Modi à Bénarès, ce bastion hindouiste, est perçu comme une stratégie égoïste et manquant de vision à long terme. "Qu’est-il venu faire ici alors qu’il est presque assuré de perdre ? Il aurait dû se présenter là où il avait les meilleures chances d’être élu, entrer au Parlement, puis demander des comptes au BJP", commente un observateur. Kejriwal lui-même a fini par admettre publiquement son "erreur". Pourtant, de nombreux Indiens continuent de louer son courage et la justesse de sa cause. "L’AAP est encore jeune, mais en quarante-neuf jours il a sans doute davantage fait contre la corruption qu’aucun autre parti avant lui", estime le directeur de l’université de Varanasi (autre nom de Bénarès). Mais n’est-il pas trop tard ? "C’est vrai, le temps nous est compté, admet Sanjay Singh. Mais nous allons tout faire pour gagner à Varanasi." Et ailleurs, bien sûr. Selon ses militants, l’AAP ambitionne de remporter entre 30 et 40 sièges au niveau national.

Reste que, face à un parti au pouvoir discrédité et à un challengeur qui se cherche, le BJP a une sacrée carte à jouer. À défaut d’obtenir la majorité absolue (soit 272 sièges sur 543 élus), ses dirigeants espèrent au moins dépasser le seuil des 200, auxquels pourraient s’ajouter entre 35 et 45 autres sièges, grâce aux alliances nouées avec une trentaine de partis régionaux. "D’autres formations régionales qui n’ont pas encore franchi le pas pourraient alors nous rejoindre", estime un dirigeant du parti. Un tel scénario est-il vraisemblable ? Les bookmakers en sont convaincus. Et les habitants de Dharavi aussi. Sauf coup de théâtre, le futur Premier ministre de l’Inde devrait s’appeler Narendra Modi.

Mamata fait de la résistance

Dans sa course aux alliances avec les partis régionaux, le BJP a tenté d’amadouer Mamata Banerjee. En vain. Le Trinamool Congress (TMC), parti de la toute-puissante Chief Minister de l’État du Bengale occidental, lui a opposé une fin de non-recevoir. "Les dirigeants hindouistes sont pourtant allés jusqu’à lui proposer une aide financière qui lui aurait permis d’alléger le fardeau de la dette de son État", explique un spécialiste. Mais pas question en effet pour celle qui, en 2011, a réussi à bouter les communistes hors du Bengale occidental, qu’ils détenaient depuis trente-quatre ans, de compromettre ses chances de réélection, l’an prochain, en se mettant à dos les 25 % de musulmans que compte cet État. Pour le BJP, c’est un manque à gagner certain. À lui seul, le TMC pourrait en effet obtenir entre 25 et 30 sièges à l’Assemblée, ce qui ferait de lui la troisième force politique indienne, derrière le BJP et le Congrès.

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