Libye : le Guide est mort, vive le roi !

Pour sortir la Libye du chaos, certains prônent la restauration de la monarchie constitutionnelle des Senoussi. Fervent partisan de cette solution, le chef de la diplomatie, Mohamed Abdelaziz, ne ménage pas ses efforts pour convaincre ses compatriotes.

Mohamed Abdelaziz, ministre libyen des Affaires étrangères. © Mustafa Ozturk / AFP

Mohamed Abdelaziz, ministre libyen des Affaires étrangères. © Mustafa Ozturk / AFP

Publié le 30 avril 2014 Lecture : 6 minutes.

La diplomatie ne lui suffit plus. Ministre des Affaires étrangères d’un État mort-né, Mohamed Abdelaziz s’est engagé à sa manière. Son credo : restaurer la monarchie des Senoussi pour rétablir un semblant d’unité et mettre un terme aux impérities de la classe politique et à l’anarchie sécuritaire. "Pour le moment, il n’y a pas la maturité politique nécessaire pour mettre en place des institutions démocratiques nationales", nous a-t-il confié sans ambages, admettant à demi-mot l’échec patent de la transition. Et de trancher : "Face au chaos qui prévaut en Libye, la seule option est le retour à une monarchie constitutionnelle."

D’ordinaire calme et nuancé, celui qui vient de céder la présidence du conseil de la Ligue arabe à son homologue marocain se sent comme investi d’une mission : oeuvrer à "un retour à la source originelle". Une solution radicale mais qu’il veut croire consensuelle. Il en est persuadé : "La doctrine des Senoussi est modérée et influente en Afrique du Nord. Elle est assez puissante pour contrer l’extrémisme religieux qui menace le pays et atténuer ou éliminer les divisions politiques et régionales."

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La monarchie : une période faste

Plus que le ministre impuissant, c’est le citoyen et le militant convaincu qui s’est révélé lors du XXVe sommet de la Ligue arabe, à Koweit City, le 25 mars, martelant publiquement que cette voie royale pourrait "rétablir la sécurité et la stabilité en Libye". Cela fait plusieurs mois que le chef de la diplomatie s’emploie discrètement à convaincre les conseils locaux, tribus, milices et clans des bienfaits d’une monarchie restée gravée dans la mémoire des aînés comme une période faste, mais mal connue des jeunes révolutionnaires qui ont renversé Kadhafi. Devenu le chef de file de cette mouvance qu’il pense salvatrice, le ministre des Affaires étrangères a élaboré une feuille de route et fait campagne pour la tenue d’un référendum sur le retour à une monarchie constitutionnelle.

Le ministre des Affaires étrangères a élaboré une feuille de route et fait campagne pour la tenue d’un référendum sur le retour à une monarchie constitutionnelle.

Dans sa ville natale arabe de Zintan, nichée dans les montagnes berbères de l’Ouest et qui abrite la deuxième milice la plus puissante de la région, les dignitaires locaux ne seraient pas insensibles à ce projet politique. Dans l’Est, berceau traditionnel des monarchistes, qui avaient fait de Benghazi leur capitale, les très actifs militants du mouvement fédéraliste, traversé par plusieurs courants, soutiennent mordicus Abdelaziz lorsqu’il appelle à la réintroduction d’une version réformée de la première Constitution, adoptée à Benghazi le 7 octobre 1951. "Je crois que le passage à la monarchie séduit un grand nombre de responsables locaux, exaspérés par la situation politique et sécuritaire actuelle", plaide le ministre. Et de citer en exemple la stabilité démocratique des monarchies espagnole et marocaine.

Interrogé à ce sujet en septembre 2011, le président du Conseil national de transition (CNT), Mustapha Abdeljalil, confiait à J.A., avec la prudence de circonstance, que "toutes les options sont sur la table". "C’était une erreur du CNT que de ne pas avoir rétabli la Constitution dès 2011, déplore l’influent militant monarchiste Fathi Sikta. Le système républicain ne convient pas à la Libye, qui a besoin d’un garant moral, les Senoussi, et d’un chef de gouvernement à poigne, élu par le peuple." Selon ce fils d’un ministre en exercice du temps de la monarchie, la Constitution la plus adéquate serait celle de 1963 où avait été introduit un amendement mettant fin au fédéralisme pour inscrire "l’unité comme nouvel objectif", ainsi que l’avait déclaré le roi Idriss. La feuille de route de la transition adoptée par le CNT devait orchestrer la rédaction, puis l’adoption d’une nouvelle Constitution censée conduire à la tenue d’élections générales. Il n’en a rien été. Trois ans plus tard, les espoirs démocratiques s’étiolent et le pays s’enlise, plus que jamais menacé par des groupes jihadistes et otage, selon le mot des diplomates français, d’un "kaléidoscope" d’interlocuteurs et de forces armées.

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Restaurer la monarchie par un référendum ?

La déclaration d’Abdelaziz a été saluée par certains de ses ambassadeurs en Europe et par des anciens membres du CNT. À Tripoli, les avis sont partagés. Au sein du Parti de la justice et de la construction (PJC, Frères musulmans), la réaction est sans équivoque. "Personne n’a l’autorité nécessaire, et certainement pas Abdelaziz, pour appeler au retour de la monarchie. Les Libyens veulent un système démocratique", gronde un conseiller du président du PJC, Mohamed Sowane. "Il n’est pas réaliste de revenir soixante ans en arrière. Certains se réfugient dans le passé au lieu de bâtir l’avenir", ironise un député libéral. "C’est une option débattue en Libye, pas seulement par Abdelaziz. Cette question doit être réglée de manière démocratique par référendum", nuance Ali Zeidan, ancien chef d’un gouvernement qui a décidé, début mars, de réhabiliter par décret le défunt roi Idriss – lequel a régné de l’indépendance, en 1951, jusqu’au coup d’État de Kadhafi, en 1969 – et de restituer la nationalité libyenne à sa famille. Un nouveau symbole qui s’ajoute au drapeau de la Libye post-Kadhafi, à l’hymne national et à la dénomination "Groupe des 60" (constituants) qui doit siéger à El-Beïda… Autant de références à la Libye monarchique.

C’est le très discret prince Mohamed el-Senoussi, 51 ans, héritier légitime du roi Idriss aujourd’hui établi à Londres, qui serait intronisé.

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Le chef de la diplomatie s’est aussi rapproché des descendants du roi Idriss comme le très controversé prince Idriss el-Senoussi, qu’il a retrouvé à Rome, en marge de la conférence des Amis de la Libye, le 6 mars. Ce dernier, qui se présente comme le prince héritier, entend bien jouer un rôle dans cette future Libye monarchique. "Abdelaziz est venu me dire que les Libyens étaient attachés à ma famille et qu’il avait besoin de moi", s’enorgueillit ce mondain qui se prévaut de son entregent dans le monde des affaires ou dans les cénacles politiques et diplomatiques. "Je suis en contact permanent avec tous les chefs de tribu et je me rends en Libye chaque semaine pour les rencontrer. L’accueil est favorable dans les trois grandes régions, et le programme sera prêt en mai", ajoute-t-il.

Mais c’est plutôt le très discret prince Mohamed el-Senoussi, 51 ans, héritier légitime du roi Idriss aujourd’hui établi à Londres, qui serait intronisé. Le chef de la diplomatie a donc également pris langue avec ce dernier, qui confie être prêt à revenir en Libye, à la demande du peuple uniquement, pour exercer une autorité morale sur un gouvernement qui serait élu démocratiquement. Les Libyens sont-ils disposés à placer leurs espoirs en lui ? La monarchie peut-elle s’épanouir dans le contexte sécuritaire actuel et renaître sur les cendres de quarante-deux ans de dictature ? L’avenir le dira.

Des observateurs sceptiques

Selon un diplomate d’un pays limitrophe, la piste d’un retour à la monarchie est une "impasse". Pour ce fin connaisseur de la Libye, "les Senoussi n’ont plus vraiment de légitimité ni d’ancrage local parmi les chefferies tribales, et cette monarchie sans prestige ne constitue pas une solution crédible". Dans les chancelleries occidentales, on est tout aussi sceptique. Si Londres ne se dit pas opposé à un projet de "retour à la stabilité par la monarchie", un diplomate français se dit peu enclin à soutenir cette initiative. "Cette solution arrive tardivement et semble sous-estimer le fait qu’il est plus complexe encore de mettre en place un système monarchique qu’un système républicain. Il va être très difficile de parvenir à un consensus et de susciter l’adhésion nécessaire", souligne Mohamed Benhamou, président du Centre marocain des études stratégiques. Dans un pays en passe de devenir un État failli, la tenue d’un référendum relèverait, en outre, de l’exploit. Enfin, les islamistes, qui dominent le Congrès général national (CGN, Parlement), sont bien décidés à faire barrage à tout projet de rétablissement d’une monarchie constitutionnelle.

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