Algérie : nous sommes tous épris de « Liberté »

La procédure de dépôt de bilan du quotidien a été lancée le 6 avril. Les intellectuels dénoncent la fin de l’un des derniers médias critiques du pouvoir.

Le quotidien a été créé en 1992 à Alger par trois journalistes. © YAD KRAMDI/AFP

BOUSSOIS PRO 2 (1)
  • Sébastien Boussois

    Docteur en sciences politiques, spécialiste des relations euro-arabes et collaborateur scientifique du Cecid (Université libre de Bruxelles), auteur d’« Émirats arabes unis, à la conquête du monde » (éd. Max Milo).

Publié le 7 avril 2022 Lecture : 3 minutes.

Depuis plusieurs années, des mouvements populaires et citoyens tentent de faire bouger l’Algérie. Le départ du président Bouteflika n’y a rien fait, pas plus, bien sûr, que les premières années mortifères du règne d’Abdelmadjid Tebboune. L’Algérie ne va nulle part et, pour éviter que cela ne se voie trop, elle se mure dans le silence. Pourtant, on l’observe, et on ne peut que désespérer de ce beau pays.

Pour étouffer les voix dissonantes, le pouvoir coupe les dernières sources d’information qui essayent d’offrir un son de cloche différent, de réveiller les consciences et de ressusciter un chouïa d’espoir dans le plus grand pays d’Afrique.

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La disparition programmée du quotidien Liberté en est le nouvel exemple, peut-être le dernier. Le Hirak mort et enterré par la pandémie et la répression, ce média était l’un des derniers à témoigner d’un espoir de changement.

Contre l’intégrisme et la corruption

Voir un journal qui est une référence en matière de combat pour la liberté d’expression délibérément sabordé tant par l’actionnaire que par le pouvoir est inadmissible. Nous sommes tous épris de Liberté : dénonçons sa fermeture !

Quotidien créé en 1992 à Alger par trois journalistes, Liberté tire à près de 40 000 exemplaires chaque jour dans tout le pays. Journal généraliste de langue française, il est connu à l’international pour la publication des caricatures d’Ali Dilem.

Après la guerre civile, le journal sera toujours une épine dans le pied du pouvoir

Liberté se confond avec l’histoire de l’Algérie contemporaine : dans un contexte de libération de la parole et d’espoir démocratique face à la montée des islamistes en 1988, le titre apporte du sang neuf, une autre façon de lutter contre l’intégrisme.

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Au point d’en payer le prix pendant la décennie noire avec l’assassinat de quatre employés, dont deux membres de la rédaction : Hamid Mahiout et Zineddine Aliou Salah. Après la guerre civile, le journal sera toujours une épine dans le pied du pouvoir car l’islamisme n’est pas le seul adversaire du quotidien, il y a aussi la corruption. En août 2003, il est suspendu avec cinq autres journaux.

Depuis, Liberté dénonce l’immutabilité des dirigeants algériens tout comme le mur dans lequel ils conduisent l’Algérie depuis trop d’années. Le 6 avril, la procédure de dépôt de bilan a débuté. Une pétition a été mise en ligne sur le site du journal.

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« Nous, intellectuels, universitaires, chercheurs et artistes algériens, profondément attachés au pluralisme médiatique, ne pouvons rester insensibles au risque de la disparition d’un titre qui porte la voix plurielle de l’Algérie. C’est parce qu’un journal est un espace d’échange et de transmission des idées, des valeurs et d’expression citoyenne nécessaire à la vitalité démocratique d’un pays, qu’il faut le préserver, le défendre et le faire vivre. »

« Il faut se battre ! »

Des écrivains – parmi lesquels Yasmina Khadra, Boualem Sansal, Kamel Daoud –, des sociologues, des acteurs, des comédiens comme Fellag, des universitaires, d’anciens ambassadeurs, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-eddine Hafiz, des journalistes, des artistes, des économistes, des scientifiques : tout ce que le pays compte d’intellectuels dénonce ce scandale qui renforce un peu plus encore le repli de l’Algérie sur elle-même.

Plus de voix dissidentes, plus d’autre option politique, plus d’espoir démocratique pour 44 millions d’Algériens : pour que Liberté résiste, pour que Liberté demeure, il faut se battre ! On ne noircit pas un pays avec du pétrole, on le noircit avec de l’encre pour l’embellir et le faire vivre.

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