Algérie bashing
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 21 avril 2014 Lecture : 3 minutes.
En Occident, et en France en particulier, où la rengaine "quand on voit ce qu’on leur a laissé et ce qu’ils en ont fait" a la vie dure, l’Algérie génère, par méconnaissance, volonté de nuire ou paresse intellectuelle, une litanie de clichés dont peu de pays en Afrique sont à ce point l’objet. Avec "El-Djazaïr", la nuance n’est jamais de mise. Quelques exemples parmi tant d’autres :
– "Boutef", la momie (dixit Daniel Cohn-Bendit), marionnette des généraux ou de son clan. Rien n’est plus faux. Primo, l’intéressé, physiquement très diminué mais intellectuellement alerte, n’est pas homme à se laisser manipuler. Secundo, lesdits généraux, dont tout le monde parle sans les connaître, sont décédés ou à la retraite depuis de longues années… Seul reste des fameux "décideurs" du début des années 2000 Mohamed Mediène, alias Toufik, patron du tentaculaire DRS, les services de renseignements.
– L’Algérie se résume à chômage de masse, pauvreté endémique, sous-développement, mafia politique, pouvoir verrouillé, population bâillonnée qui ne songe qu’à franchir la Méditerranée sur des embarcations de fortune… ou à se soulever contre un régime oligarchique honni, lequel vampirise toutes les richesses nationales. En réalité, l’Algérie d’aujourd’hui – ni enfer ni paradis – est un pays dont la situation est le fruit du comportement de tous ses enfants, dirigeants comme citoyens. Et où la réalité du pouvoir, le fameux "système", obéit à une architecture bien plus complexe que l’hégémonie d’une poignée d’hommes qui feraient la pluie et le beau temps selon leur bon vouloir. Un pays qui s’est toujours relevé d’épreuves qu’aucun de ses voisins d’Afrique du Nord n’a connues, où le niveau d’éducation global et l’indice de développement humain sont meilleurs que chez la majorité de ces derniers (seule la Tunisie fait mieux, mais de très peu), où l’on peut librement déverser sa bile sur les gouvernants, dans les médias comme dans la rue, caricaturer son président malade ou ses ventripotents généraux. Une contrée dont les habitants sont passés maîtres dans l’art de la débrouille, de l’inventivité et, en somme, de la survie en environnement hostile, malgré trois décennies d’un "socialisme scientifique" stérilisant, tant sur le plan économique que sur celui des mentalités.
– Quinze ans de Bouteflika : un grand gâchis, un bilan désastreux, dit-on. Jugez-en : réconciliation nationale, paix, stabilité – véritable mantra de la campagne électorale -, davantage d’infrastructures, d’écoles, d’universités, de logements ou d’hôpitaux construits que durant tout le reste de la période postindépendance, un salaire minimum et un revenu national brut par habitant multipliés par trois, une dette extérieure quasi apurée. Compte tenu des immenses moyens financiers disponibles, ce n’est pas non plus l’exploit du siècle. Mais encore faut-il reconnaître ce développement global et garder à l’esprit les conditions dans lesquelles il a été mené.
On peut cependant légitimement estimer que trois mandats suffisaient. Que 77 ans est un âge trop avancé et qu’il était grand temps de passer la main aux générations suivantes. Que les séquelles d’un ulcère hémorragique puis d’un AVC justifiaient largement ce passage de témoin. Ou encore que la liste des problèmes à résoudre est nettement plus longue que celle de ceux qui l’ont été. Que l’ouverture démocratique n’est pas à la hauteur des attentes des Algériens. Que la bureaucratie, la corruption et les entraves à l’initiative privée, entre autres, sont des comportements suicidaires insuffisamment combattus qui rendent impossible l’exploitation d’un immense potentiel économique. Nombreux sont les griefs que l’on peut formuler – les amoureux de ce pays, lesquels rêvent de le voir occuper la place qui devrait être la sienne, ne s’en privent d’ailleurs pas. Mais il n’est pas de critique constructive sans objectivité. Or, avec l’Algérie, nos émérites commentateurs en font rarement preuve.
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