Crise en Centrafrique : l’épopée des réfugiés musulmans au Tchad
Fuyant la Centrafrique, ces musulmans ont échoué au Cameroun avant d’être acheminés dans la capitale économique tchadienne. Retour sur l’épopée de ce premier convoi, arrivé mi-mars.
Lundi 17 mars. Avec un jour de retard, le premier convoi de réfugiés tchadiens et centrafricains en provenance du nord du Cameroun fait son entrée dans la cour d’un lycée en construction à l’entrée de Moundou, la capitale économique du Tchad. D’une dizaine de bus (loués à un transporteur camerounais) descendent des femmes, des enfants, des personnes âgées et quelques jeunes. Ils viennent d’un camp de transit établi par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Nzekou, petite localité camerounaise. Ils s’y étaient réfugiés après avoir fui les villes de Bambari et de Carnot, respectivement dans le centre et l’ouest de la Centrafrique (RCA).
Leurs histoires se ressemblent. Nés en RCA, où leurs familles sont établies depuis une ou deux générations, voire plus, ils partagent le même sentiment d’incompréhension face à la violence extrême et soudaine dont ils font l’objet parce qu’ils sont musulmans. S’ils sont tous soulagés et se réjouissent d’être sains et saufs, ils se demandent comment et où recommencer leur vie.
>> Lire aussi : Centrafrique : les musulmans, la mort aux trousses
Abdel Razak, la quarantaine, a gardé des liens avec sa famille – de lointains cousins – installée à N’Djamena. Après quelques jours au centre d’accueil de Moundou, il gagnera la capitale tchadienne grâce aux moyens de transport de l’OIM. "Mes cousins feront tout pour me permettre de m’insérer socialement avec mes deux femmes et mes sept enfants", assure-t-il. L’avenir de Chamsadine est plus incertain. Fils d’un commerçant de Mbaïki (sud-ouest de la RCA), lui et son frère sont les seuls membres de leur famille à avoir survécu au massacre, mais son frère est devenu fou. Quant à Chamsadine, il a perdu trois doigts de la main droite : des miliciens anti-balaka ont jeté une grenade dans la boutique de son père. Sans contact avec sa famille restée au Tchad, il espère qu’une bonne âme lui prêtera de l’argent pour ouvrir une boutique. "Sans le plein usage de ma main, c’est la seule chose que je pourrai faire facilement pour le moment", avoue-t-il, la voix brisée.
Le 19 février, le Tchad a annoncé la fin de l’évacuation de ses ressortissants fuyant la RCA. Mais, par petits groupes, des musulmans tchadiens et centrafricains arrivent toujours. Selon l’OIM, ils étaient 82 000 début mars, près de 100 000 fin mars, et leur nombre devrait croître dans les prochaines semaines. Ces rapatriés et réfugiés sont accueillis dans les grandes villes du Sud principalement – Moundou, Sarh, Doba, Am-Timan et surtout Sido, à la frontière avec la RCA – ainsi qu’à N’Djamena. Au fil des semaines, l’élan de solidarité s’estompe, les dons diminuent. Dans les camps de fortune, les vivres viennent parfois à manquer. Et la promiscuité commence à peser.
Offrir des terres et des outils aux agriculteurs
Pour les ONG, le défi immédiat est la saison des pluies (de mai à septembre). "D’ici là, il faut protéger les abris sommaires, améliorer les conditions d’hygiène en installant des latrines et des systèmes d’adduction d’eau potable pour éviter les cas de choléra", explique Foura Sassou Madi, coordinateur du site d’urgence de Sido pour Médecins sans frontières (MSF France). Sur le marché de la petite ville de 17 000 habitants, qui héberge près de 9 000 "retournés", le prix des céréales a doublé. "Si nous ne recevons pas de surplus d’ici à la saison des pluies, nous risquons la famine", s’inquiète Abel Nguerta, le chef traditionnel de la ville.
En concertation avec les ONG, le gouvernement réfléchit à long terme, notamment à des solutions de réinsertion des réfugiés. Parmi les pistes envisagées : offrir des terres et des outils aux agriculteurs, aménager davantage d’espaces de transhumance pour les éleveurs arrivés avec leurs bêtes (selon une enquête, 1,8 million de têtes de bétail ont traversé la frontière) et aider ceux qui s’installent en ville à monter leur entreprise. Tout un programme dont le Tchad, qui abrite déjà des "retournés" de Libye et du Nigeria – ainsi que des réfugiés soudanais – devra supporter le poids.
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