Tchad : les mutins de Panurge
Les uns après les autres, la plupart des anciens chefs de guerre ont déposé les armes et rentrent au pays. Fini le maquis, ils aspirent à une paix durable.
Ahmat Hassaballah Soubiane est l’un de ces hommes qui murmurent à l’oreille du président. Conseiller spécial d’Idriss Déby Itno (IDI), cet ancien ambassadeur à Washington a une prédilection pour la diplomatie. Même si, comme une grande partie de l’actuelle classe politique tchadienne, ce sexagénaire à la voix douce et au ton professoral a passé une partie de sa vie l’arme au poing dans les rangs des mouvements "politico-militaires". Aujourd’hui, il reçoit dans le vaste bureau qu’il occupe au siège du Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti au pouvoir, dont il préside le Conseil permanent des fondateurs – une sorte de bureau politique bis.
Arabe originaire de l’est du pays, Ahmat Hassaballah Soubiane fait partie de ceux qui ont rejoint la rébellion en 1989 contre Hissène Habré. "La paranoïa de Habré avait rendu l’atmosphère irrespirable. Personne n’était à l’abri d’une accusation de complot. Cela pouvait arriver à tout moment et à chacun d’entre nous", se souvient-il.
En 1990, les troupes conduites par Déby Itno chassent le dictateur. Soubiane devient ministre de l’Intérieur, mais il n’est pas en bons termes avec Tom et Timan Erdimi, alors tout-puissants dans l’entourage du chef de l’État. IDI le nomme ambassadeur aux États-Unis et au Canada.
En 2004, les divergences deviennent criantes, notamment lorsque Soubiane adresse une lettre aux militants du parti au pouvoir pour leur expliquer son opposition à une modification de la Constitution de 1996 qui permettrait au chef de l’État de briguer un troisième mandat (cette réforme sera adoptée en 2005). Limogé, le diplomate quitte les États-Unis et prend le maquis dans l’est du Tchad, à la frontière avec le Soudan.
Coalisé avec d’autres groupes rebelles, il échoue à prendre N’Djamena en 2006. Mais IDI appréciant cet homme raffiné et courtois, des négociations aboutissent à son retour. "Il faut en finir avec cette période sombre de notre histoire. Notre pays a assez souffert. Désormais, il faut le développer", explique l’ancien rebelle.
Timan, le neveu félon réfugié à Doha
Soubiane n’est pas le seul à avoir troqué le treillis de combat contre un costume-cravate. Mahamat Nour Abdelkerim est lui aussi rentré à N’Djamena, le 6 février. Ultime retour après ses nombreux va-et-vient entre rébellion et pouvoir ?
En avril 2006, à la tête d’une colonne du Front uni pour le changement (FUC), le chef de guerre tente de renverser Idriss Déby Itno. Avant de signer la paix, à la faveur d’un accord de réconciliation scellé en novembre 2006 à Tripoli, sous l’égide de Mouammar Kadhafi. Nour est même nommé ministre de la Défense. Mais, là aussi, l’idylle tourne court. Il démissionne en 2007 et reprend les armes. Pas pour longtemps, car ses soutiens soudanais le pressent une nouvelle fois de négocier.
En octobre 2010, un nouvel accord de paix est conclu. IDI, Mahamat Nour et les autorités soudanaises mettent sur pied une force mixte de sécurisation le long de la frontière tchado-soudanaise, et Nour le rebelle part s’installer dans les Émirats, à Dubaï. Rentré à N’Djamena début février 2014 dans l’indifférence générale, il dit souhaiter désormais "une paix définitive".
Comme Nour et Soubiane, la plupart des anciens chefs rebelles sont rentrés au pays ou envisagent de le faire. Seule une poignée de seigneurs de guerre, de plus en plus isolés, refuse de rendre les armes. Le principal mouvement résiduel est l’Alliance nationale, dirigée par Mahamat Nouri, qui, privé de ses soutiens soudanais et libyens, a peu de chances de parvenir à conquérir le pouvoir à la kalachnikov. Pas plus que l’Union des forces de résistance (UFR), de Timan Erdimi, réduit à menacer de lancer des attaques si le pouvoir ne négocie pas avec lui. Or il n’est pas sûr que la réconciliation avec Timan, son neveu félon réfugié à Doha (Qatar), soit une priorité pour Idriss Déby Itno.
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