Chine : le baiser du Dragon
De Taïwan à Hong Kong et de Bangkok à Jakarta, la République populaire de Chine étend les tentacules de son économie surpuissante. Beaucoup lui reprochent d’avoir l’affection un brin envahissante.
On la surnomme déjà la "révolution des tournesols". Une révolution encore pacifique mais qui, chaque jour, se durcit un peu plus. Du 18 mars au 10 avril, des étudiants ont occupé le Parlement taïwanais. Et le 30 mars, une gigantesque manifestation a rassemblé entre 80 000 et 100 000 personnes contre le frère ennemi chinois, de l’autre côté du détroit de Formose. Pendant ce temps-là, les Hong-Kongais se mobilisent contre le "nuage de criquets", comme ils surnomment, peu aimablement, les Chinois. L’ex-colonie britannique rétrocédée en 1997 – elle a aujourd’hui le statut de Région administrative spéciale – supporte de plus en plus difficilement l’influence grandissante de Pékin.
Liberty Times, un quotidien taïwanais, n’a pas hésité à publier une tribune signée par plusieurs centaines de Hong-Kongais appelant leurs cousins taïwanais à dire "non" à la sinisation. "Vous devez tirer les leçons de notre expérience, écrit le journal. En ouvrant trop largement notre économie à la République populaire, nous avons perdu notre identité. Hong Kong et Taïwan sont aujourd’hui dans le même bateau, et celui-ci est la cible de la Chine."
Un accord en trompe l’oeil
Sur le banc des accusés : une série d’accords économiques visant à instaurer une sorte de marché commun entre les trois parties. "C’est un accord en trompe l’oeil, proteste le professeur Lin, de l’université de Taïwan. La puissance économique chinoise est telle que les petits Dragons [surnom donné par les économistes à ces nouveaux pays industrialisés que sont Taïwan, Hong Kong, Singapour et la Corée du Sud] que nous sommes ne tiendront pas longtemps. C’est de facto une réunification non pas politique, mais économique. La Chine est en train de nous avaler." Depuis 2008, les rapports s’étaient pourtant peu à peu détendus entre les deux Chines. On était loin de la guerre civile qui, en 1949, accoucha de deux États : la République de Chine et la République populaire de Chine, l’une et l’autre revendiquant la pleine autorité sur l’ensemble du pays. "La Chine n’ayant renoncé à aucun de ses objectifs de réunification, les gens se disent qu’elle s’efforce d’y parvenir par les moyens de l’économie", commente Stéphane Corcuff, du Centre d’études français sur la Chine contemporaine, à Taipei.
Cette "révolution des tournesols" s’inspire également de l’exemple hong-kongais.
Cette "révolution des tournesols" s’inspire également de l’exemple hong-kongais. Après la rétrocession, le territoire pensait avoir devant lui de longues années de paix grâce à la formule "un pays, deux systèmes" négociée par Londres et Pékin. La lune de miel n’a pas duré, l’influence du régime communiste est de plus en plus forte. Dans tous les domaines. Et les flots de touristes chinois qui déferlent dans les rues de Central District, le quartier des affaires, provoquent des pulsions racistes chez nombre de Hong-Kongais exaspérés.
"Désormais deuxième économie mondiale, la Chine est devenue plus pragmatique, estime le professeur Cheng Li, de l’université de Pékin. Il n’est plus question de réunification par les armes, mais de soft power. Cette influence "douce" se ressent jusqu’en Asie du Sud-Est, à Bangkok ou à Jakarta. Mais en même temps, la Chine continue de faire peur."
Et de fait, parallèlement à cette vague d’accords économiques, des bruits de bottes retentissent ici ou là. Des différends territoriaux opposent en effet la Chine à plusieurs de ses voisins – Japon, Vietnam, Philippines, etc. – à propos d’archipels en mer Jaune ou en mer de Chine méridionale. Et la répression au Tibet et dans la province musulmane du Xinjiang ne fait pas dans la dentelle. Bref, beaucoup d’Asiatiques en viennent à penser que le grand Dragon chinois a décidément l’affection bien… envahissante.
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