Prostitution : islamistes et maisons closes, le blues des filles de joie tunisiennes
Des prostituées réclament la réouverture des maisons closes en Tunisie, dont certaines ont été fermées sous la pression des salafistes. Et veulent retrouver le statut protégé qui était le leur.
Une manifestation de femmes sur la place du Bardo ? Rien de plus normal depuis l’installation de l’Assemblée nationale constituante (ANC) sous la coupole de l’ancien palais beylical, fin 2011. Mais, en ce 11 mars, ce sont une dizaine de prostituées de Sousse (Sahel) qui sont venues battre le pavé pour interpeller les élus et réclamer la réouverture des maisons closes. "Le 8 mars, ils ont célébré les femmes, en oubliant celles qui ne sont pas à la fête. Nous étions 40 et faisions vivre nos familles, soit près de 300 personnes", s’insurge l’une d’elles. Toutes sont sans ressources depuis que des salafistes les ont expulsées du quartier qui leur avait été concédé sous les remparts de Sousse et ont obtenu des autorités sa fermeture.
Le même scénario s’est reproduit au Kef, à Béja et à Kairouan. "Sur 14 maisons closes en Tunisie, seules 4 sont encore opérationnelles", indique un policier en civil qui surveille les abords de l’ANC. Au même moment, on s’empressait de tirer la lourde porte de fer qui désormais marque l’entrée de l’impasse Sidi-Abdallah-Guech, dans la médina, aménagée en une multitude de réduits qu’occupent les filles de joie de Tunis. "Ici, nous avons été protégées ; les forces de l’ordre sont intervenues immédiatement quand, le 8 février 2011, les barbus ont voulu détruire et murer nos locaux. Voilà à quoi ils avaient la tête quand le pays faisait sa révolution !" raconte Naïma, l’une des locataires de l’ancien bordel indigène de l’époque coloniale. Elle revendique, comme ses consoeurs, un statut conforme à la réglementation en vigueur, car en Tunisie l’activité en maison close est reconnue et contrôlée par l’État. Le ministère de l’Intérieur recense ainsi les travailleuses du sexe, leur assure deux fois par semaine une visite médicale et leur octroie la qualité d’employée du ministère à titre de profession sur leur carte d’identité. En dehors de ce cadre, l’activité est considérée comme du racolage et tombe sous le coup de la loi.
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Les prostituées de Sousse ont été reçues par la vice-présidente de l’ANC, Mehrezia Labidi, du parti islamiste Ennahdha, qui a été la seule personnalité à se prononcer sur la question : "En tant qu’élue, je suis prête à les écouter et à examiner leurs revendications, d’autant que ces femmes vivent dans des conditions sociales et financières difficiles." Les autres partis politiques préfèrent éluder le sujet pour ménager les susceptibilités de leurs électeurs, tandis que les mouvements féministes et démocrates rejettent ce qu’ils considèrent comme une exploitation et soutiennent la fermeture des maisons closes, rejoignant ainsi, pour des raisons différentes, les plus conservateurs. "Au nom des droits humains, plusieurs pays ont fermé les maisons closes mais sont revenus sur cette décision", explique le professeur Ridha Kamoun, président de l’Association tunisienne de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles (MST) et le sida, même s’il ajoute qu’il est difficile d’établir une corrélation entre la fermeture des maisons closes et une éventuelle augmentation des agressions sexuelles ou la diffusion des MST, tout en notant que "les chiffres du sida sont stables mais dans certaines populations à risque, dont celle des prostituées, on est dans une phase d’épidémie concentrée avec des taux qui sont passés de 0,03 % à 13 % depuis 2010".
La prostitution : utile pour "endiguer les pulsions" ?
Aujourd’hui, la prostitution est une réalité qui s’organise surtout de manière clandestine pour répondre aussi à la demande étrangère. Quand les filles d’Abdallah-Guech facturent leurs prestations entre 3 et 10 euros et paient des impôts, certaines clandestines "peuvent se faire jusqu’à 1 500 euros par mois !" affirme Leïla, 22 ans, qui a abandonné ses études et pour laquelle "vendre son corps" est moins immoral que voler ou dealer. Elle rappelle que dans des quartiers comme Ennasr, le racolage dans les cafés est monnaie courante et que les cinémas du centre-ville sont aussi devenus, à certaines heures, des lieux de passe. Leïla assume sa situation, mais Yamina, 35 ans, qui fait de l’e-prostitution, justifie son choix par l’enfant qu’elle a à charge.
La brigade des moeurs assure que les réseaux existent et que ce n’est pas tant les prostituées que leurs souteneurs qui les intéressent.
Dans ce milieu interlope, aucune fille de joie n’évoque de proxénète. Pourtant, la brigade des moeurs assure que les réseaux existent et que ce n’est pas tant les prostituées que leurs souteneurs qui les intéressent. "Je ne me hasarde pas avec des inconnues ; je préfère une maison close où les filles sont propres, même si elles ne sont plus toutes jeunes", reconnaît Khaled, un artiste qui fréquente Abdallah-Guech depuis plus de quarante ans. Quant à l’opinion, si elle s’offusque du racolage trop voyant, elle ne conteste pas l’utilité de la prostitution. "Dans une société coincée par les tabous autour du sexe, du corps et de la femme, il faut des espaces régulateurs pour endiguer les pulsions. Contrairement aux idées reçues, ici l’atmosphère est bon enfant, cette gaudriole est certainement plus saine que ce que l’on peut imaginer", conclut Khaled.
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Du côté des gays
Si être gay est difficile à assumer dans un pays musulman, faire commerce de son corps l’est encore plus. La prostitution masculine est d’autant plus discrète que l’homosexualité est interdite et sévèrement sanctionnée par la loi. Pourtant, le phénomène existe et prend de l’ampleur. Pendant longtemps, on a imputé la prostitution des hommes, surtout jeunes, à l’essor du tourisme sexuel, mais aujourd’hui, il y a une demande locale. "Grosso modo, 10 % des Tunisiens sont homos. Beaucoup s’en cachent ; la prostitution en est une conséquence. Dans les zones urbaines, les gays ont leurs lieux de prédilection – cafés, hammams -, où ils peuvent faire des rencontres ou satisfaire des clients curieux et qui cherchent, paradoxalement, à affirmer leur virilité", précise Yasser, qui tapine sur l’avenue Mohammed-V, quand il ne racole pas dans des soirées privées.
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