RDC – Burundi : quand les États-Unis jouent au shérif constitutionnel
En RDC ou au Burundi, voire au Congo-Brazza ou au Burkina Faso, Washington s’oppose à toute modification de la Constitution destinée à permettre à un chef d’État de se maintenir au pouvoir. Et le fait savoir.
Accra, juillet 2009. "L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts. Elle a besoin d’institutions fortes." Dans les capitales du continent, tout le monde a gardé en tête les mots du président américain, Barack Obama, censés guider la nouvelle politique des États-Unis en Afrique. Et à en croire les déclarations récentes de Washington, le temps est venu de mettre en pratique ce discours en s’opposant publiquement aux modifications constitutionnelles permettant aux présidents en place de se représenter. Ainsi à Kinshasa, en janvier, Russ Feingold, l’envoyé spécial américain dans la région des Grands Lacs, a encouragé vivement les présidents africains à "respecter les mandats qui leur ont été assignés".
Bis repetita le 8 avril, à Bujumbura : "Nous encourageons le respect de la Constitution et de l’État de droit", a déclaré Samantha Power, l’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies, après sa rencontre avec le président Pierre Nkurunziza. Dans le contexte burundais actuel, où le pouvoir vient d’échouer à faire adopter une réforme constitutionnelle et chercherait – selon l’opposition – à revenir à la charge par d’autres voies, la déclaration de Power a été interprétée comme une mise en garde. Mais Bujumbura n’a pas voulu s’en offusquer. "Les États-Unis ont fait un simple commentaire", affirme Willy Nyamitwe, le porte-parole adjoint de la présidence : "Cela ne nous gêne pas car le président Nkurunziza a affirmé à Samantha Power que la Constitution ne serait pas modifiée avant les élections", prévues pour 2015.
L’intransigeance grandissante des États-Unis tient en partie à la personnalité de ces deux diplomates : Russ Feingold et Samantha Power.
Et de toute façon, selon Nyamitwe, la loi fondamentale n’empêcherait pas Nkurunziza de concourir à nouveau, "puisque sa première élection, en 2005, était au suffrage indirect" et que la limitation à deux mandats ne porterait "que sur les élections au suffrage direct"… Une interprétation de la Constitution qui est loin de faire consensus. Et si le département d’État des États-Unis se refuse à trancher ce débat, un de ses responsables fait savoir "qu’une démocratie qui ne connaît pas de transmission régulière et pacifique du pouvoir n’en a que le nom". Washington a fait passer le même message de fermeté à Brazzaville et Ouagadougou.
"L’intransigeance grandissante des États-Unis tient en partie à la personnalité de ces deux diplomates [Russ Feingold et Samantha Power] récemment nommés, constate Jason Stearns, spécialiste de la région des Grands Lacs à l’université américaine de Yale. Mais elle n’est pas totalement nouvelle." En 2012, déjà, Washington avait en effet désapprouvé la volonté du président sénégalais d’alors, Abdoulaye Wade, de se représenter. Cela ne l’avait toutefois pas empêché de le faire, en s’appuyant sur une lecture contestée de la Constitution – pour être finalement battu dans les urnes.
Le président ougandais a les mains libres
Mais la voix de l’Oncle Sam porte davantage dans la région des Grands Lacs. "Depuis quelque temps, les États-Unis font preuve de plus de fermeté avec leurs alliés dans cette zone, remarque Jason Stearns. C’est le cas pour l’Ougandais Yoweri Museveni sur la question des droits des homosexuels. Cela a été le cas pour le Rwandais Paul Kagamé et la rébellion du Mouvement du 23-Mars. Et aussi pour le Congolais Joseph Kabila avec les déclarations de Feingold." Même si le pouvoir congolais s’est abstenu de réagir publiquement, lesdites déclarations ont été très remarquées et ont agacé en haut lieu.
"Pour des raisons historiques et économiques, la voix des Américains pèse lourdement en RD Congo", glisse un diplomate en poste à Kinshasa, où, selon la Constitution, Joseph Kabila doit quitter le pouvoir en 2016. Quant à Museveni, la question ne se pose plus pour lui : le président ougandais a les mains libres depuis l’abrogation, en 2005, de la limitation des mandats. Enfin, au Rwanda, une révision de la Constitution n’est pas exclue, à en croire Paul Kagamé dans un récent entretien à Jeune Afrique (no 2778, du 6 au 12 avril). Mais le problème d’une éventuelle nouvelle candidature de sa part ne se posera pas avant la prochaine présidentielle, prévue pour 2017. D’ici là, l’administration Obama ne sera plus en place.
Et les Européens ?
Vis-à-vis de la RD Congo, la position des Européens diffère sensiblement de celle de Washington. "Les Américains sont beaucoup plus offensifs que les Belges et les Français sur la question du respect de la Constitution. Nous ne nous permettons pas de tenir le même discours qu’eux", reconnaît un diplomate européen en poste à Kinshasa. À Paris, on assume cette position plus réservée : "Nous n’avons pas à nous prononcer sur tel ou tel pays, explique Romain Nadal, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères. Nous nous fierons au jugement de l’Union africaine, qui est la gardienne des principes démocratiques."
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