Football : Mondiaux en Russie et au Qatar, l’ombre de la corruption plane sur la Fifa

Pour obtenir l’organisation de la compétition en 2018 et en 2022, la Russie et le Qatar ont-ils soudoyé des membres du comité exécutif de la Fifa ? Certains l’affirment et réclament des sanctions exemplaires. Ont-ils la moindre chance d’être entendus ?

Le Trinidadien Jack Wamer, ancien vice-président de la Fifa, en juin 2011 à Port of Spain. © Shirley Bahadur/AP/Sipa

Le Trinidadien Jack Wamer, ancien vice-président de la Fifa, en juin 2011 à Port of Spain. © Shirley Bahadur/AP/Sipa

Alexis Billebault

Publié le 9 avril 2014 Lecture : 6 minutes.

Avec le Trinidadien Jack Warner (71 ans), le présent ressemble souvent au passé. L’ancien vice-président de la Fédération internationale de football association (Fifa) a, le 17 mars, de nouveau été mis en cause par le Daily Telegraph, le quotidien britannique qui l’accuse d’avoir indûment touché une somme de 1,68 million d’euros : 860 000 euros pour lui, 538 000 euros pour l’un de ses fils et 287 000 euros pour un employé de sa compagnie. Coïncidence ? Ces versements ont eu lieu peu de temps après l’attribution au Qatar, le 2 décembre 2010, de la Coupe du monde 2022…

Les faits rapportés par le Daily Telegraph n’ont pas surpris ceux qui suivent de près les affaires de la Fifa : l’âpreté au gain de Warner est de notoriété publique. "Il est ouvert aux magouilles", confirme Jean François Tanda, un journaliste suisse d’origine angolaise travaillant désormais à Blick, un quotidien de langue allemande dont le siège est à Zurich. L’argent a été versé par Kemco Group, la société qatarie, dont le propriétaire n’est autre que Mohamed Ibn Hammam, autre ancien vice-président de la Fifa. "Il s’agit peut-être de business entre les deux hommes, via leurs sociétés respectives, commente Tanda. C’est en tout cas ce qu’ils affirment. Et, de fait, rien ne dit qu’il y a un lien avec le foot et l’attribution de la Coupe du monde au Qatar." D’autant que, selon plusieurs observateurs, Warner aurait donné sa voix non à l’émirat, mais aux États-Unis. Mais on ne prête qu’aux riches… Car ce n’est certes pas la première fois que Warner est soupçonné d’avoir vendu son vote lors du scrutin du 2 décembre 2010.

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Le Qatar cherche à influencer certains votes

Il est vrai qu’il est loin d’être le seul. À l’époque, France Football et la presse chypriote avaient par exemple évoqué le cas d’un autre membre du comité exécutif de la Fifa, un certain Marios Lefkaritis. Et révélé que le Qatar avait obtenu une concession de 51 000 m² près de Nicosie et une autorisation de bâtir un hôtel grand luxe à Larnaca sur un terrain de 7 ha appartenant à la famille dudit Lefkaritis. De même, certains se sont étonnés que la compagnie Qatar Airways ait ouvert une ligne vers Buenos Aires (Argentine) et une autre vers São Paulo (Brésil), alors que des soupçons de corruption pesaient, et pèsent toujours, sur l’Argentin Julio Grondona et le Brésilien Ricardo Teixeira. Ce dernier a d’ailleurs démissionné de la Fifa en mars 2012. Cette même compagnie aérienne a également ouvert une liaison entre Doha et Phuket, la célèbre station balnéaire thaïlandaise, alors que Worawi Makudi, le représentant de ce pays au comité exécutif, aurait voté pour le Qatar. Même chose pour les villes de Tokyo, Ankara et Barcelone… Il ne fait guère de doute que le Qatar a cherché à influencer certains votes. Reste à savoir s’il l’a fait en respectant les règles de la Fifa.

Il faut se souvenir que lors du vote de décembre 2010, les rapports techniques n’étaient pas favorables aux deux pays finalement choisis : la Russie et le Qatar.

C’est justement la raison pour laquelle l’Américain Michael J. Garcia, président de la chambre d’instruction de la commission d’éthique de la fédération internationale, a décidé d’enquêter dans les pays candidats à l’organisation des Coupes du monde 2018 (Russie, Angleterre, Portugal/Espagne et Belgique/Pays-Bas) et 2022 (Qatar, Australie, États-Unis, Corée du Sud et Japon). Car il faut se souvenir que lors du vote de décembre 2010 (les deux compétitions ont, contrairement à l’usage, été attribuées le même jour) les rapports techniques n’étaient pas favorables aux deux pays finalement choisis : la Russie et le Qatar.

Garcia, qui fut naguère procureur fédéral de New York, dispose de moyens financiers considérables pour mener son enquête. Il devrait rendre son rapport à la fin de l’année. "Il va avoir du mal à faire parler certaines personnes que rien n’oblige à témoigner, estime Tanda. Les documents sensibles sont à l’abri dans des cabinets d’avocats ou des sociétés fiduciaires qui ne sont aucunement soumis à la juridiction de la Fifa."

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Si malgré tout Garcia parvenait à prouver certains cas de corruption, est-il envisageable qu’un nouveau vote ait lieu ? Certains pays, notamment l’Australie et les États-Unis, n’ont toujours pas digéré le verdict de 2010. On peut donc imaginer qu’ils fassent pression sur la Fifa pour que tout soit remis à plat. Peuvent-ils avoir gain de cause ? Contrairement à certains de ses confrères suisses, Tanda, même s’il n’écarte pas complètement cette hypothèse, se montre circonspect. "Seule la Fifa est habilitée à prendre une telle décision, explique-t-il. Or Joseph Blatter, son président, mesure parfaitement les conséquences d’un tel choix. Les Qataris ont déjà dépensé des sommes importantes pour la construction de stades. Si l’organisation du Mondial leur était retirée, ils intenteraient à coup sûr des procès à la Fifa. L’hypothèse fait trembler cette dernière, même si sa santé financière est resplendissante."

Le rôle joué par les gouvernements des pays dont certains dirigeants de la Fifa sont originaires pose parfois question.

Au-delà des soupçons pesant sur certains membres du comité exécutif, le rôle joué par les gouvernements des pays dont ils sont originaires pose parfois question. Le cas de Michel Platini, président de l’UEFA et statutairement vice-président de la Fifa, fait notamment débat. Nicolas Sarkozy, qui était encore chef de l’État en 2010 et n’a jamais caché sa proximité avec le Qatar, a-t-il fait pression sur l’ancien capitaine des Bleus pour qu’il accorde sa voix à ce pays plutôt qu’aux États-Unis ? Pure supputation, bien sûr, mais les mauvaises langues remarquent que Laurent, le fils de Platini, a ultérieurement été nommé directeur général de l’équipementier Burrda Sport, qui appartient à Qatar Sports Investments (QSI), le fonds souverain propriétaire notamment du Paris Saint-Germain.

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Un pays bénéficiant de moyens illimités

"Les stades au Qatar qui accueilleront la Coupe du monde 2022 ont été dessinés par des architectes allemands, et le métro de Doha est construit avec l’aide de la Deutsche Bahn, première entreprise ferroviaire d’Allemagne", rappelle Tanda. Comment croire que les autorités de ce pays puissent ne pas y regarder à deux fois avant de se rallier à l’idée d’une sanction ? En 2010, quand la Coupe du monde a été attribuée, le monde entier était en pleine crise financière. Et de nombreux gouvernements ont vu d’un bon oeil le fait que soit choisi un pays disposant de moyens apparemment illimités.

Quoi qu’il en soit, un pays, au moins, n’est pas mécontent que l’attention soit ainsi polarisée sur le Qatar : c’est bien sûr la Russie, organisatrice de la compétition planétaire en 2018. Pourtant, Michael J. Garcia s’intéresse aussi à son cas. En Angleterre, éliminée au premier tour en 2010, la presse multiplie les révélations sur des actes de corruption présumés impliquant des membres du comité exécutif. La Russie a été désignée dès le deuxième tour, cas extrêmement rare. "Un expert zurichois du blanchiment d’argent me disait récemment qu’en Russie beaucoup de choses s’achètent", ajoute Tanda.

La Russie privée de dessert ?

Après l’annexion de la Crimée et les bruits de bottes à la frontière avec l’Ukraine, des voix, certes isolées, commencent à s’élever pour réclamer l’exclusion de la Russie de la prochaine Coupe du monde au Brésil (12 juin-13 juillet). C’est le cas de deux sénateurs américains, Mark Kirk et Dan Coats, du Parti républicain, qui ont demandé à la Fifa de se réunir d’urgence pour en décider – ils souhaitent également que l’organisation de la Coupe du monde 2018 soit retirée au pays de Vladimir Poutine. Ils s’appuient sur l’article 3 de la charte de la Fifa, qui prévoit que "toute discrimination à l’encontre d’un pays, d’un individu ou d’un groupe de personnes pour des raisons d’ethnie, de sexe, de langue, de religion, de politique ou pour toute autre raison est expressément interdite, sous peine de suspension ou d’exclusion". Rappelons qu’en 1992, en pleine guerre des Balkans, la Yougoslavie fut exclue de l’Euro suédois et des qualifications pour la Coupe du monde 1994 aux États-Unis. Dans l’hypothèse, improbable, où l’équipe russe serait priée par la Fifa de rester à Moscou, elle serait suppléée par celle d’Israël – en fonction du classement de celle-ci dans la poule de qualification. Au Mondial, la Russie figure dans le groupe H avec la Belgique, la Corée du Sud et l’Algérie. Or cette dernière n’entretenant pas de relations diplomatiques avec l’État hébreu, elle pourrait refuser de disputer le match. Et la Fifa se retrouverait avec un sacré sac de noeuds sur les bras !

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