France : Manuel Valls, un Catalan dans l’arène

La déroute socialiste aux municipales a convaincu François Hollande de nommer d’urgence un nouveau Premier ministre. Avec pour mission de redonner le moral aux électeurs avant la fin du quinquennat. Pas vraiment une partie de plaisir !

Manuel Valls, le nouveau Premier ministre français. © LIONEL BONAVENTURE / AFP

Manuel Valls, le nouveau Premier ministre français. © LIONEL BONAVENTURE / AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 8 avril 2014 Lecture : 6 minutes.

Au journal de 20 heures sur TF1, ce 2 avril, sa raideur est un peu plus prononcée que d’habitude. Menton volontaire, sourire à peine esquissé… La froideur de Manuel Valls s’explique, bien sûr, par la fonction de Premier ministre de la France que le président de la République lui a confiée deux jours auparavant. En finir avec le "trop d’inégalités, trop de pauvreté, trop de souffrance" dont sont victimes les Français ? La tâche ne s’annonce pas comme une partie de plaisir.

Oubliées les petites phrases provocatrices pour la gauche. Les 35 heures à "réaménager", l’âge de la retraite à repousser et le mot socialisme à remiser au placard ? "C’est de la préhistoire !" jure-t-il. L’image qu’il entend renvoyer aux Français est celle du chef d’une équipe "de combat" qui a reçu mission de concilier l’inconciliable : soutenir les entreprises "pour créer de l’emploi et de la croissance" ; et baisser les impôts des ménages tout en respectant l’engagement pris au niveau européen de ramener les déficits dans les clous. Pour qu’à la fin du quinquennat présidentiel les Français soient moins déprimés qu’aujourd’hui.

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Si François Hollande s’est résigné à faire appel à son ministre de l’Intérieur, qui n’appartient pas au premier cercle de ses intimes, c’est qu’il y a péril en la demeure. La déculottée reçue par la gauche aux élections municipales des 23 et 30 mars appelait une réaction énergique.

Le PS derrière l’UMP et le FN aux européennes ?

Ce scrutin local s’est en effet transformé en joute nationale, sur fond de rejet populaire sans précédent du président de la République et de son gouvernement, où les couacs avaient fâcheusement tendance à se multiplier. Le Parti socialiste et ses alliés de gauche ont perdu 155 villes de plus de 10 000 habitants qu’ils détenaient depuis fort longtemps pour certaines – 1912, par exemple, pour Limoges ! Et plusieurs "barons" ont mordu la poussière, tels Pierre Moscovici, le ministre de l’Économie et des Finances, ou Bernard Poignant, conseiller à l’Élysée.

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Paris a certes élu la socialiste Anne Hidalgo, mais cette victoire ne saurait occulter la "vague bleue" de l’UMP, qui a pris le contrôle de la majorité des municipalités d’importance. Ni faire oublier la forte poussée de la droite extrême : le Front national double ses scores antérieurs et administrera à l’avenir une douzaine de cités.

À persister dans sa feinte indifférence, le chef de l’État s’exposait à de nouveaux désastres. La colère gronde dans l’aile gauche du PS, qui n’a toujours pas digéré le virage social-libéral pris en janvier ni le "pacte de responsabilité" consistant à abaisser de 30 milliards d’euros les charges des entreprises afin de restaurer leur compétitivité et de les inciter à embaucher et à investir.

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Pis, les sondages annoncent une nouvelle bérézina, dans un mois et demi, lors des élections européennes : le PS y arriverait en troisième position, derrière l’UMP et le FN. Ces sinistres présages en vue de la présidentielle et des législatives de 2017 imposaient de ne plus attendre une hypothétique reprise économique capable de faire enfin reculer le chômage.

Le problème est qu’on voit mal ce que le gouvernement Valls a de nouveau.

La réponse du président a été de remplacer une équipe Ayrault usée jusqu’à la corde par une autre, plus "compacte". Le problème est qu’on voit mal ce que le gouvernement Valls a de nouveau. Sur les seize ministres (ministres délégués et secrétaires d’État seront nommés ultérieurement) qu’il compte, deux seulement ne faisaient pas partie du précédent : François Rebsamen, ministre du Travail, et Ségolène Royal, ministre de l’Écologie et ex-compagne du chef de l’État.

Ledit gouvernement n’est pas si "vallsien" que cela. Le Premier ministre a certes obtenu la promotion de deux de ses soutiens : le bouillant Arnaud Montebourg à l’Économie et le très à gauche Benoît Hamon à l’Éducation nationale. Mais il a dû renoncer à nommer l’un de ses proches à l’Intérieur. L’omniprésence des poids lourds "hollandais" verrouille le dispositif au bénéfice du président.

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La vraie nouveauté est que, à l’exception d’une ministre radicale de gauche – Sylvia Pinel, au Logement -, tous les ministres sont socialistes. Les Verts ont refusé les postes proposés par Valls, qui tenait pourtant à leur présence afin de "gauchir" son image, et ont estimé par la voix de Cécile Duflot, leur chef de file, que "les idées portées par le nouveau Premier ministre depuis plusieurs années […] ne constituent pas la réponse adéquate aux problèmes des Françaises et des Français". Ils se limiteront donc à un soutien à géométrie variable à ce gouvernement trop peu à gauche à leur goût. Leur mot d’ordre sera "ni défiance automatique ni confiance absolue".

Manuel Valls va devoir marquer une rupture

Même s’il affirme s’inscrire "dans la continuité" de Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls va devoir marquer une rupture. Elle consistera à forcer ses ministres à "jouer de façon collective" et à aller vite pour concilier "croissance et justice".

L’attelage Hollande le temporisateur/Valls l’homme pressé tiendra-t-il ? Sur le fond, l’un et l’autre sont des sociaux-démocrates convaincus que la loi du marché est incontournable et que la lutte contre les déficits est une priorité. Mais le président ne peut oublier que son Premier ministre fut son concurrent lors de la primaire de 2011 et qu’il ne cache pas son désir de briguer un jour l’Élysée…

Les obstacles qui se dressent devant le couple exécutif sont d’importance. Destiné à équilibrer le "pacte de responsabilité" en faveur des entreprises, un "pacte de solidarité" devrait se traduire par des baisses d’impôts en faveur des particuliers, qui, inévitablement, amputeront les recettes de l’État et compliqueront la réduction des déficits.

La phrase tarabiscotée prononcée par Hollande, le 31 mars – "Le gouvernement aura à convaincre l’Europe que cette contribution à la compétitivité et à la croissance doit être prise en compte dans le respect de nos engagements" – assortie d’une confirmation de son intention de comprimer les dépenses publiques de 50 milliards d’euros laisse songeur. Traduction : "Bruxelles devrait nous donner un peu plus de temps pour respecter notre engagement de réduire notre déficit à 3 % de notre produit intérieur brut afin de préserver la croissance." En somme, il s’agit d’une version light de la ligne antiaustérité inaugurée par Matteo Renzi, le nouveau président du Conseil italien.

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Lorsque, avant la fin de ce mois, il présentera son programme "de stabilité et de réformes", Manuel Valls, Européen convaincu parce que né espagnol, aura fort à faire pour convaincre Bruxelles de donner un troisième coup de canif au plan de retour à l’orthodoxie. Il n’est même pas excessif de parler de gageure.


À gauche, Zaki Laïdi, d’origine marocaine, à droite, avec Manuel Valls, Ibrahima Diawadoh
N’jim, d’origine mauritanienne. © Meigneux et Nossant / Sipa

Les Africains de Matignon

Dans ses nouvelles fonctions, Manuel Valls pourra compter sur deux collaborateurs originaires du continent.

o Le premier se nomme Ibrahima Diawadoh N’Jim. Valls et lui se sont rencontrés à Évry, en 2001. Plus qu’un homme de confiance, ce discret Franco-Mauritanien – et musulman pieux – est un ami intime : il fut son témoin de mariage. Au cours des deux années qu’il a passées Place Beauvau, il était chargé des "affaires réservées", mais conseillait aussi le ministre sur tous les dossiers liés à l’intégration, à la diversité et au culte. "Je vais conserver les mêmes attributions", nous confie-t-il, à peine installé dans son nouveau bureau à Matignon. Disposant d’un important carnet d’adresses ouest-africain – il se rend régulièrement en Mauritanie et au Sénégal -, N’Jim devrait également s’occuper des connexions africaines du Premier ministre. Celui-ci est "très attaché au continent" et souhaite "une intensification de la coopération", glisse son conseiller.

o Même si les relations internationales ne devraient pas être sa préoccupation principale, Valls pourra aussi s’appuyer sur l’expertise d’un autre de ses proches : Zaki Laïdi. Marocain d’origine, ce politologue est directeur de recherche au centre d’études européennes de Sciences-Po Paris et auteur de plusieurs ouvrages sur l’Europe. Pour soutenir l’action de Valls, il a récemment publié des tribunes dans divers médias, du Journal du dimanche au Nouvel Observateur. Membre du conseil national du PS et théoricien de la "modernisation de la gauche", il sera candidat aux élections européennes du 25 mai et figurera en troisième position sur la liste socialiste dans la région Sud-Est. Benjamin Roger

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