Présidentielle algérienne : calife à la place du calife !

Noms d’oiseau, anathèmes, lynchage médiatique… À quelques jours du scrutin présidentiel, les partisans des six candidats ne font pas dans la dentelle. Consternant.

Supporters d’Abdelaziz Bouteflika, le 27 mars, à Tlemcen, sa ville natale. © Samir Sid

Supporters d’Abdelaziz Bouteflika, le 27 mars, à Tlemcen, sa ville natale. © Samir Sid

Publié le 11 avril 2014 Lecture : 5 minutes.

Quelques jours avant sa clôture, le 14 avril, la campagne électorale pour le scrutin présidentiel n’a enregistré aucune dérive significative. Pas d’incidents ni d’affrontements entre partisans des six candidats en lice. Mais elle n’en a pas moins donné lieu à quelques séquences verbales où l’hystérie le dispute au ridicule.

Dans le langage imagé du Journal télévisé, les candidats sont évoqués sous le terme de forsane ("cavaliers"). Une manière d’assimiler la course à El-Mouradia… à une fantasia. Tous les prétendants sont, il est vrai, issus du mouvement nationaliste, sous différentes déclinaisons. Du national-ouvriérisme de la trotskiste Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), au national-populisme de Moussa Touati, patron du Front national algérien (FNA), en passant par le nationalisme nostalgique d’Ali Fawzi Rebaïne, leader d’Ahd 54 ("serment 54"), ou le nationalisme boy-scout du benjamin des candidats, Abdelaziz Belaïd, 50 ans, président d’une nouvelle formation, Djabhat el-Moustakbal ("front de l’avenir"). Hormis Louisa Hanoune, tous ont fait leurs armes au Front de libération nationale (FLN, ancien parti unique et première force politique).

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La répartition régionale est assez équilibrée. Avec trois représentants – Hanoune (Jijel), Ali Benflis et Belaïd (Batna, en pays chaoui) -, l’Est se taille la part du lion. Deux candidats sont originaires du Centre : Touati (Médéa, dans le Titteri) et Rebaïne (Alger). Quant à Abdelaziz Bouteflika, il est le seul à incarner l’Ouest (Tlemcen). Grand absent : le Sud. Mais il s’agit d’une absence structurelle.

L’élection est jouée d’avance ?

Une grande partie de l’opinion publique, les partis qui comptent, les médias et les chancelleries sont d’accord sur un point : l’élection est jouée d’avance. Pour eux, Bouteflika, président-candidat, remportera le scrutin dès le premier tour. Et ce malgré son âge, 77 ans, et un état de santé précaire dû aux lourdes séquelles d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Se faire élire sur un fauteuil roulant ? "Et alors ? s’insurge un de ses partisans, Franklin Roosevelt n’a-t-il pas brigué avec succès un quatrième mandat alors qu’il était paralytique ?" Sans doute, mais Roosevelt avait animé sa campagne. Ce qui n’est pas le cas du favori des pronostics pour le scrutin du 17 avril. Incapable de se déplacer ou de discourir, Bouteflika fait campagne par procuration via Abdelmalek Sellal, ex-Premier ministre et directeur de sa campagne, comme lors des présidentielles de 2004 et de 2009.

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Meeting des tenants du boycott, le 21 mars, à Alger. © Louiza Ammi

Deux improbables attelages se sont invités dans la partie : Barakat ! ("ça suffit !"), un mouvement de contestation plus bruyant que massif, et les partisans du boycott. Si Barakat ! peine à mobiliser la rue, c’est que ses partisans se trouvent essentiellement sur les réseaux sociaux. Échaudés par la décennie noire (les années 1990, marquées par les massacres commis par les groupes islamistes) et les convulsions du Printemps arabe, les Algériens, dont une majorité aspire au changement, préfèrent le statu quo à l’anarchie. Barakat ! se résume ainsi aujourd’hui à quatre nombres : 50 manifestants, 150 journalistes, 600 policiers et 2 000 badauds. Ses premières manifestations ont provoqué quelques interpellations. Puis, au fil du temps, les forces de l’ordre ont mis en oeuvre ce que le général Abdelghani Hamel, directeur général de la sûreté nationale, appelle pudiquement "la gestion démocratique des foules".

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Autres intrus : les boycotteurs. Toutes les élections présidentielles pluralistes algériennes ont donné lieu à un "front du refus", mais celui de 2014 est celui qui ratisse le plus large : des laïcs du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) aux Frères musulmans du Mouvement de la société pour la paix (MSP) en passant par le salafiste Abdallah Djaballah ou encore par le libéral Ahmed Benbitour, éphémère Premier ministre de Bouteflika. Animé par une vingtaine de partis, ce front a obtenu des pouvoirs publics l’autorisation de tenir, le 21 mars, un meeting dans une salle omnisports de la capitale. Avec une assistance de quelque 5 000 personnes, ce rassemblement a remporté un franc succès. À ceci près qu’il a été phagocyté par des militants du Front islamique du salut (FIS), dissous en 1992 et considéré comme le premier responsable de la décennie noire, qui ont entonné un slogan de sinistre mémoire : "Aleyha nahya, wa aleyha namout" ("Pour elle – sous entendu la charia – je vivrai, pour elle je mourrai"). Pris en otage par les ouailles d’Ali Benhadj, le front du refus se fait depuis plus discret.

>> Lire aussi : Quelle tête de file pour les islamistes ?


Louisa Hanoune, candidate du Parti des travailleurs (trotskiste), le 27 mars à Blida. © Louiza Ammi

Les titres de presse indépendante ont sombré dans un "tout sauf Bouteflika" primaire

Invoquer l’âge avancé ou la maladie d’un concurrent est mal perçu par le pays profond. Difficile donc pour les rivaux de Bouteflika d’en faire un argument électoral. S’attaquer à son bilan est également hasardeux, celui-ci étant globalement positif. C’est ce qui explique que le discours développé confine parfois au ridicule. Louisa Hanoune a ainsi pour tête de Turc non pas Bouteflika mais Ali Benflis, "coupable" de remettre en question la règle dite des 51 %-49 %, selon laquelle toute entreprise de droit algérien doit être détenue majoritairement par des capitaux nationaux.

La quasi-totalité des titres de la presse indépendante a sombré dans un TSB (tout sauf Bouteflika) primaire, comme l’illustre le lynchage médiatique subi par les artistes qui ont participé, contre un cachet, à un clip de campagne en faveur du président sortant. Surpris par l’ampleur des protestations sur les réseaux sociaux, Mohamed Bounoughaz, animateur d’un talk-show populaire sur une chaîne de télévision privée, a dû faire amende honorable : "Si j’avais su, je n’aurais pas participé à ce clip. Je m’engage à verser l’intégralité de mon cachet [1 000 euros] à des associations caritatives."

Dans le camp Bouteflika, ce n’est guère mieux : langage ordurier et insultes fleurissent. Sellal affirme que, "par leurs agissements, ces gens-là [les opposants au quatrième mandat] veulent la faillite de l’État. Nous leur réserverons cent fois ce que nous avons fait aux terroristes de Tiguentourine". Mais la palme revient à Amara Benyounès, ministre de l’Industrie : "Que Dieu maudisse le géniteur de celui qui ne nous aime pas !"

Une campagne électorale est certes une guerre de programmes donnant lieu à un débat contradictoire. Mais celle de la présidentielle du 17 avril a tourné à la bataille de chiffonniers. C’est même parfois fatwa contre fatwa. À une certaine presse qui les traite de cheyyatine (adeptes de la brosse à reluire), les partisans d’un quatrième mandat répondent que les journalistes sont des chayatine ("démons"). Bouteflika est comparé à Kim Jong-un, Ali Benflis est présenté comme le valet des multinationales, Sellal hérite du statut de bouffon du suzerain et Louisa Hanoune est qualifiée d’indécrottable hystérique, sous le regard médusé d’une opinion qui ne sait trop s’il faut en rire ou en pleurer. Seule conséquence de ce spectacle pathétique : une promesse d’abstention record. Vivement le 14 avril !

Ils ont osé le dire…

Moussa Touati : "J’accorderai aux familles une allocation mensuelle de 10 000 dinars [92 euros] par enfant à charge."

Abdelaziz Belaïd : "Parité pour parité, que les jeunes filles accomplissent leur service militaire."

Louisa Hanoune : "Nous n’avons pas besoin d’observateurs internationaux. Les élections sont une affaire algérienne."

Abdelmalek Sellal : "Bouteflika s’engage à faire de son prochain mandat celui de l’accès de la jeunesse aux postes de responsabilité."

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