RDC : à quoi joue Léon Kengo wa Dondo ?
En évoquant une possible révision de la Constitution, le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo, a jeté le trouble. A priori, il est exclu de toucher à la limitation du nombre de mandats présidentiels en RDC. Mais déjà l’opposition s’inquiète.
C’est un pavé dans la mare politique congolaise qu’a lancé, le 24 mars, le président du Sénat. En détaillant le calendrier de la session parlementaire qui venait de s’ouvrir, Léon Kengo wa Dondo a indiqué que des points non inscrits à l’ordre du jour, dont une révision de la Constitution, allaient être examinés. Dans le contexte actuel à Kinshasa, cette sortie a fait l’effet d’une bombe.
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Le président, Joseph Kabila, est en effet à deux ans de la fin de son dernier mandat. Selon la Constitution, il ne peut plus se représenter, mais une grande partie de l’opposition le soupçonne de chercher un stratagème pour se maintenir au pouvoir.
Léon Kengo wa Dondo est aux abonnés absents
Depuis cette annonce, Léon Kengo wa Dondo, qui avait reçu début mars Jeune Afrique à son domicile de Kinshasa, est aux abonnés absents. La question est devenue, semble-t-il, trop sensible. "Rien n’est décidé à ce jour, tient seulement à préciser Franck Mwe di Malila, l’un de ses proches. Une révision constitutionnelle est possible. Mais elle ne pourra, de toute façon, pas porter sur le nombre (limité à deux) ou la durée des mandats présidentiels, qui ne peuvent pas être modifiés, en vertu de l’article 220."
Si l’on s’en tient à l’annonce du 24 mars, la révision porterait sur le mode de scrutin pour l’élection des députés provinciaux, qui passerait au suffrage indirect. L’idée avait déjà été avancée en janvier par le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Apollinaire Malumalu, puis le 21 mars par la majorité présidentielle, réunie dans la ferme du président à Kingakati, près de Kinshasa. Ses partisans se défendent cependant de toute manipulation, puisque cette option, en allégeant le calendrier électoral, diminuerait les risques d’un report de la présidentielle de 2016, et du coup la possibilité pour Joseph Kabila de jouer les prolongations. Pas de quoi néanmoins rassurer les principaux opposants, qui sont vent debout contre cette proposition. D’abord parce qu’ils veulent mettre la main sur les gouvernorats de province dans leurs fiefs respectifs (l’Équateur pour Jean-Pierre Bemba, toujours détenu à La Haye par la Cour pénale internationale ; le Kasaï-Occidental pour Étienne Tshisekedi, le Sud-Kivu pour Vital Kamerhe). Or les adversaires de Kabila redoutent que le suffrage indirect permette au pouvoir de "corrompre" plus facilement un certain nombre de grands électeurs à leur détriment. Ensuite parce que les opposants craignent que cette révision n’ouvre la boîte de Pandore. Samy Badibanga, le président du groupe parlementaire UDPS et alliés, y voit par exemple "la première étape d’une stratégie qui conduira à adopter une nouvelle Constitution pour permettre au président de se représenter." "Il veut se faire élire au suffrage indirect par le Parlement", ajoute-t-il.
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Vital Kamerhe : "Cette réforme serait une régression"
L’ancien président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, devenu un opposant très en vue, partage cette analyse. "Cette réforme serait, estime-t-il, une régression. Et je vous garantis que s’il y a modification on touchera à d’autres articles."
Il est vrai que la précédente révision constitutionnelle, en janvier 2011, qui ne devait initialement porter que sur un article relatif au découpage du territoire, avait abouti à l’adoption d’un scrutin présidentiel à un seul tour très favorable à Joseph Kabila.
Et puis l’identité de Léon Kengo wa Dondo a donné crédibilité au projet de révision. À 78 ans, ce vieux routier de la politique, trois fois Premier ministre sous Mobutu et aujourd’hui deuxième personnage de l’État, est en effet revenu au coeur du pouvoir. Il s’entretient régulièrement avec le président Joseph Kabila et c’est de lui que sont venues plusieurs annonces d’importance. Kengo avait ainsi déclaré qu’un gouvernement d’union nationale pourrait être constitué à l’issue des concertations organisées par Kabila en octobre 2013. Ce coup politique avait rameuté une grande partie de l’opposition (Kamerhe et Tshisekedi exceptés) et permis le relatif succès de ces concertations.
Depuis, Kengo, qui se bat sur deux fronts, a rassemblé ses alliés sous le nom "d’opposition républicaine" et tente de négocier leur entrée au gouvernement. "Le président est impressionné par sa connaissance du monde politique congolais, assure un diplomate en poste à Kinshasa. Il a de l’influence."
Son positionnement, à mi-chemin entre le pouvoir et l’opposition, lui permet en effet de parler avec tout le monde, et surtout de convaincre, comme l’a démontré son élection inattendue à la tête du Sénat, en 2007, face au candidat de Kabila, Léonard She Okitundu. Début mars, dans sa résidence kinoise, il revenait sur cet épisode avec jubilation. "J’avais reçu chaque sénateur deux, trois, quatre fois. Sous Mobutu, j’avais été procureur général, professeur, ambassadeur, et bien sûr trois fois Premier ministre. Je connaissais déjà presque tous les sénateurs !" Grâce à de multiples services rendus tout au long de sa très longue carrière, Kengo a su se créer un réseau d’hommes politiques qui lui sont redevables, ce qui fait toujours sa force. "Lorsque vous aidez quelqu’un dans l’adversité, cela crée chez lui un souvenir impérissable", ajoutait cet homme raide et courtois.
Pourquoi ne pas redevenir Premier ministre ?
Mais que peut-il encore espérer, pour lui-même ? La prochaine élection présidentielle ne semble pas être son objectif. Cette épreuve lui réussit en effet beaucoup moins que les cénacles de Kinshasa. En 2011, il avait obtenu moins de 5 % des voix selon les chiffres officiels. "J’ai été surpris et déçu, confie-t-il. Cela ne reflète pas la réalité des urnes." Il fait preuve par ailleurs d’une lucidité, rare dans le monde politique, sur le poids des années qui "amènent chacune son lot de problèmes". Le Kengo d’aujourd’hui est à l’évidence moins fringant que le Premier ministre qu’il fut dans les années 1980, et il lui arrive de chercher un mot pendant de longues secondes.
Mais il lui reste suffisamment d’intelligence politique pour un ultime coup d’éclat. Pourquoi ne pas, par exemple, redevenir une dernière fois Premier ministre ? Le symbole serait fort et, début mars, il confiait que cette éventualité l’intéressait, à la condition d’avoir les mains libres.
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