Rwanda : comment renouer avec les exilés ?

L’objectif de Kigali : renouer avec les exilés qui ont fui le Rwanda en 1994. La méthode : les inviter pour de courts séjours. Un programme qui ne convainc pas tout le monde.

Rencontre entre la diaspora rwandaise et Paul Kagamé, en visite en France, en 2011. © Vincent Fournier pour J.A.

Rencontre entre la diaspora rwandaise et Paul Kagamé, en visite en France, en 2011. © Vincent Fournier pour J.A.

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Publié le 28 avril 2014 Lecture : 4 minutes.

Son périple ressemble à celui de tant d’autres réfugiés hutus qui avaient pris la route de l’exil en juin 1994, fuyant l’offensive de l’Armée patriotique rwandaise (branche armée du Front patriotique rwandais, FPR, aujourd’hui au pouvoir) contre les forces génocidaires. "J’ai suivi tout le monde jusqu’à Goma", raconte Alphonse Hagengimana, 22 ans à l’époque. Après deux mois dans l’est de la RDC, il gagne Kinshasa, puis transite successivement par le Gabon, le Congo, la Centrafrique et la Côte d’Ivoire. En 1999, il pose ses valises en Belgique, où il vit depuis.

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Là-bas, immergé dans une communauté rwandaise très politisée, qui compte nombre de nostalgiques du régime Habyarimana imprégnés de l’idéologie anti-Tutsis et anti-FPR, Alphonse n’est pas franchement incité à renouer avec son pays. "Les réfugiés rwandais en Belgique étaient les otages de ces gens, qui nous disaient que si un Hutu retournait au Rwanda, il serait assassiné", explique-t-il. Cette peur a longtemps habité le coeur d’Alphonse, malgré les récits qu’il lui arrivait d’entendre de la bouche d’autres réfugiés, donnant du pays une tout autre image. "Certains y retournaient en cachette. Ils ne voulaient pas que ça se sache dans les milieux rwandais de Belgique", témoigne le quadragénaire.

"Viens voir"

J’étais parti pour trois semaines, mais je suis finalement resté quatre mois.

En 2011, par le bouche-à-oreille, Alphonse entend parler d’un programme relayé par l’ambassade du Rwanda à Bruxelles. Intitulé Ngwino Urebe ("Viens voir"), celui-ci s’adresse aux Rwandais de la diaspora qui ont coupé les ponts avec le pays depuis 1994. Il leur propose de revenir faire un séjour au pays. Billet d’avion, hébergement, restauration, transports sur place…, pendant deux semaines, tout est pris en charge par les autorités. "L’ambition du gouvernement était d’assurer aux Rwandais de l’extérieur qu’ils étaient considérés comme des Rwandais à part entière et qu’ils étaient libres de revenir s’installer à tout moment ou de se rendre au pays régulièrement", explique Gérard Ntwari, à l’époque ambassadeur en Belgique.

Après une réunion d’information, Alphonse surmonte ses appréhensions et embarque pour Kigali. Là-bas, il constate que le gouvernement a mis les petits plats dans les grands, organisant des rencontres avec divers élus et personnalités. "Sur place, la peur [des exilés] se dissipait lorsqu’ils constataient qu’ils étaient libres de sillonner le pays et qu’ils étaient bien accueillis. Un certain nombre d’entre eux ont par la suite manifesté l’envie d’y retourner", assure l’ambassadeur Ntwari, affecté depuis à Dakar, où il a continué de promouvoir l’initiative Ngwino Urebe.

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Alphonse est de ceux-là : "J’étais parti pour trois semaines, mais je suis finalement resté quatre mois. Depuis 2011, j’ai fait six séjours et il m’est arrivé d’y rester jusqu’à huit mois d’affilée. J’ai même créé une entreprise à Kigali tout en poursuivant mes activités en Belgique." Depuis, il s’efforce de transmettre sa vision à certains réfugiés installés dans le royaume et demeurés méfiants envers le "nouveau Rwanda".

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Comme l’équipe de l’association Jambo, qui édite depuis Bruxelles le site Jambonews, très critique envers les autorités de Kigali. Pour Jambonews, les bénéficiaires du programme Ngwino Urebe offriraient des témoignages "automatisés", avant tout destinés à faire l’éloge du régime. Lequel chercherait par là à "exhiber des trophées". "Ce sont des gens de ma génération, ils sont plutôt ouverts d’esprit, précise Alphonse à propos de ces exilés qui décrivent le Rwanda comme une prison à ciel ouvert. J’essaie de leur expliquer que lorsqu’on a quitté le pays à l’âge de 10 ans, on n’a rien à craindre et qu’il ne faut pas se laisser prendre en otage par ceux qui ont des choses à se reprocher." Gérard Ntwari confirme : "La justice est susceptible de demander des comptes aux Rwandais de l’étranger qui ont participé au génocide. Mais les autres n’ont aucune raison d’avoir peur."

Des gens avec un lourd passé participent à la reconstruction du pays

Les initiatives des autorités pour désamorcer le potentiel de nuisance de leurs détracteurs en exil se heurtent parfois à l’incompréhension de certains Rwandais, en particulier chez les rescapés. Car parmi les bénéficiaires de la politique d’intégration pratiquée par Kigali figurent des responsables de l’ancien régime, des officiers qui poursuivirent la lutte dans les forêts de RDC sous la bannière des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) – comme le général Paul Rwarakabije, aujourd’hui à la tête de l’administration pénitentiaire – ou d’ex-notables réputés, durant les années noires qui ont précédé le génocide, pour leur zèle anti-Tutsis – comme Séraphine Mukantabana, devenue ministre des Réfugiés. Et les enfants de génocidaires de premier plan peuvent aujourd’hui travailler au sein des services de l’État sans être taxés d’infamie. "Même si je trouve courageux de la part du gouvernement rwandais de réintégrer les enfants ou les proches des extrémistes, je fais partie de ceux qui sont excédés en voyant des gens avec un lourd passé participer, parfois hypocritement, à la reconstruction du pays", s’indigne une rescapée.

Pris en étau entre des contempteurs en exil qui lui reprochent de stigmatiser sans discernement les Hutus et une frange de citoyens qui jugent qu’il est encore trop tôt pour donner quitus aux responsables de l’extermination de leurs familles, le gouvernement rwandais n’a pas fini, vingt ans après, de solder l’héritage empoisonné du génocide.

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