Cinéma : « Mille soleils » de Mati Diop, une affaire de famille

Dans un moyen-métrage audacieux, Mati Diop prolonge l’un des films les plus marquants du cinéma africain, Touki Bouki, signé par son oncle Djibril Diop Mambety.

Après des débuts d’actrice, la fille de Wasis Diop s’impose comme réalisatrice. © Andrew H. Walker / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Après des débuts d’actrice, la fille de Wasis Diop s’impose comme réalisatrice. © Andrew H. Walker / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Publié le 4 avril 2014 Lecture : 4 minutes.

Silhouette fine et noire, pull velu sous lequel apparaît un tee-shirt du groupe britannique Joy Division… Lorsqu’elle arrive en trombe à l’entretien, avec son look taillé dans le rock, on se dit que Mati Diop aurait pu suivre la voie musicale tracée par son père, Wasis. Raté. Cette comète de 31 ans se fait un prénom dans les salles obscures, dans le sillage de son oncle Djibril. Yeux noisette, taches de son sur peau cappuccino : sa beauté métisse éclatait déjà dans 35 Rhums, le film de la réalisatrice Claire Denis. Après ces premiers pas en tant qu’actrice (et déjà le premier rôle féminin), une dizaine d’autres rôles ont suivi. Mais Mati s’impose aujourd’hui comme réalisatrice, avec un moyen-métrage projeté au Cinéma du Panthéon, à Paris, à partir du 2 avril, et déjà primé par plusieurs festivals (le Festival international de cinéma de Marseille, le Festival international du film d’Amiens…).

Raconter l’histoire des acteurs de Touki Bouki

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Mille Soleils est une manière d’assumer et de prolonger l’héritage familial. Il continue l’histoire de Touki Bouki, réalisé par Djibril Diop Mambety en 1972. Dans ce long-métrage qui a marqué la génération de son auteur, deux amants prennent la décision de quitter Dakar pour rejoindre Paris. Mais tandis qu’Anta, la jeune femme, prend la mer, son amour, Mory, ne peut se résoudre à fuir son pays. Dans Mille Soleils, Mati Diop part sur les traces de Magaye Niang, l’acteur sénégalais qui interpréta Mory et qui, à l’image de son personnage, a préféré l’Afrique à l’Europe.

Ce premier moyen-métrage est particulièrement ambitieux. "J’ai tenté de relever de multiples défis de mise en scène, souligne la réalisatrice. Je voulais raconter l’histoire des acteurs, de ce qu’ils sont devenus. Mais aussi établir un dialogue entre la génération de Magaye [qui correspond aux premiers pas démocratiques du Sénégal, sous l’égide de Léopold Sédar Senghor] et celle d’aujourd’hui, qui veut renouveler le personnel politique. Je souhaitais également jouer de l’ambiguïté entre réalité et fiction… le tout sans signer un "film calebasse", garni de clichés sur le folklore africain."

Le résultat est un ovni cinématographique.

Le résultat est un ovni cinématographique. S’il accuse encore certaines maladresses (un fil narratif décousu, des flous qu’on imagine pas toujours volontaires), il révèle la plasticienne derrière la réalisatrice. Mati Diop filme une Afrique kaléidoscopique, montrant le rouge des abattoirs de Dakar, la fièvre jaune qui s’abat sur les rues de la ville et surtout ses nuits bleues, ponctuées de palabres et d’embrouilles. Par petites touches impressionnistes, elle cerne le destin de son personnage, sorte de Gary Cooper africain, promenant sa dégaine de cow-boy déglingué sur le thème musical du célèbre western High Noon. Elle brosse surtout de beaux moments d’émotion en technicolor, comme lorsque son héros assiste à la projection de Touki Bouki et doit affronter ses rêves brisés.

Autodidacte

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La trajectoire atypique de Mati Diop explique cette patte de plasticienne. Passé son bac à Paris, où elle est née et a grandi, elle voulait se libérer du carcan scolaire. "Je ne souhaitais pas intégrer une école de cinéma comme la Femis, m’inscrire dans une tradition française qui ne me passionnait pas. J’avais besoin de liberté, d’apprendre à faire les films… en les faisant." En autodidacte, la jeune femme commence par réaliser des vidéos et des bandes sonores pour des pièces de théâtre montées par des amis. Poussée par la nécessité, "comme une fièvre", elle réalise bientôt un premier court-métrage, Last Night, resté confidentiel. Mais son rapport passionné et "organique" au cinéma a besoin d’être canalisé. Elle intègre une résidence d’artistes du Palais de Tokyo, qui abrite le Musée d’art moderne de la ville de Paris, puis l’école Le Fresnoy, située dans l’agglomération lilloise, une école transdisciplinaire formant aux arts visuels et aux nouvelles technologies. De fait, son cinéma est empreint des qualités et des défauts de beaucoup de créations contemporaines : une volonté farouche d’échapper à la facilité, à l’explication, qui génère autant d’images fortes que de lenteurs contemplatives et de flous scénaristiques. Son style séduit ses pairs. Sur la dizaine de films courts à son actif, beaucoup ont été récompensés. Atlantiques, réalisé en 2010, a notamment reçu un Tiger Award au Festival international du film de Rotterdam. Snow Canon, réalisé en 2011, a été sélectionné en compétition à la 68e édition de la Mostra de Venise.

"Me retourner sur une histoire qui est aussi la mienne"

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Mille Soleils est le projet dans lequel elle s’est le plus investie. Elle mûrit l’idée depuis 2008. Son oncle, mort dix ans auparavant d’un cancer du poumon, laisse alors un grand vide. Et elle mesure l’importance de Touki Bouki, qui n’était resté pendant longtemps pour elle qu’une cassette VHS traînant dans le salon familial. "Je n’ai pas grandi dans le culte de ce film, mais j’ai compris que c’était un objet exceptionnel. Mille Soleils n’est pas un hommage, mais un moyen de me retourner sur une histoire qui est aussi la mienne."

Après avoir réalisé de longs séjours à Dakar dans son enfance, la jeune femme retourne au pays et, aidée par son cousin, part caméra numérique au poing, pour filmer des séquences de nuit en préparation du tournage. Celui-ci dure finalement une quinzaine de jours dans la capitale sénégalaise. Entre deux scènes rigoureusement écrites, la réalisatrice réussit à capter des moments d’improvisation très vivants, comme cette conversation houleuse entre son personnage principal et un chauffeur de taxi, en fait un rappeur issu du groupement de protestation Y en a marre. La diffusion de son moyen-métrage dans un cinéma parisien est une belle opportunité pour la jeune réalisatrice. Mais celle-ci espère aujourd’hui que le film, qui continue de tourner dans les festivals, rencontrera aussi un public africain.

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